Incendies et aménagement : ces solutions pour des territoires à l'épreuve du feu

Les flammes qui ont sinistré l’Aude au début du mois d’août rappellent que des étés toujours plus chauds et secs amplifient le risque. Face à cette réalité, experts et élus plaident pour une meilleure intégration de la prévention incendie au cœur de l’aménagement du territoire.

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Mégafeu
Début août 2025, un mégafeu a ravagé 16 000 hectares dans l’Aude.

Le 5 août, trois ans après les incendies dévastateurs de Gironde, le massif des Corbières, dans l’Aude, a été ravagé sur 16 000 hectares, causant 26 victimes dont un décès. Or, selon la Mission interministérielle sur le changement climatique, la moitié des forêts françaises pourraient être exposées aux flammes d’ici 2050. Pauline Vilain-Carlotti, géographe spécialiste des incendies, alerte sur « des feux plus fréquents et plus intenses », nourris par des vagues de chaleur précoces, des sols et une végétation asséchés. Sans oublier un « impensé historique » : le lien quasi inexistant entre urbanisme et forêt, qui laisse le risque largement absent des documents d’aménagement. « A peine plus de 200 communes disposent d’un Plan de prévention des risques d’incendie de forêt [PPRIF, NDLR] », déplore-t-elle, alors que la pression immobilière sur les lisières fragilise ces zones.

Penser « hors saison » et urbanisme du feu

Pour Jordan Szcrupak, paysagiste-concepteur et enseignant à l’Ensa Marseille, la stratégie centrée sur la lutte - qui bénéficie de 75 % du budget national - a atteint ses limites. Il défend une approche « hors saison de feu », agissant en amont sur trois leviers : réduire les gaz à effet de serre, mieux gérer les combustibles végétaux qui se multiplient avec la déprise agricole, et repenser le foncier et l’urbanisme, notamment aux zones d’interface forêt-habitat qui concentrent les vulnérabilités. « Un débroussaillement bien fait protège jusqu’à 90 % des habitations.La loi du 10 juillet 2023 a d’ailleurs harmonisé et renforcé les obligations légales de débroussaillement, en intégrant biodiversité et paysage, et accéléré l’élaboration des PPRIF. Mais cela reste insuffisant sans un bâti adapté », rappelle ce paysagiste. Le guide « Construire durable en zone à risque d’incendie de forêt » (Envirobat BDM) recommande, par exemple, des mesures simples : remplacer les volets en PVC par du bois plein, soigner les embrasures, etc. « Beaucoup de logements des années 1970-1990 utilisent des matériaux standards peu performants. Leur rénovation offre une occasion de renforcer la sécurité face au feu, en valorisant les pins locaux dans les ossatures, bardages ou isolants, plutôt que des matériaux pétroliers », souligne Jordan Szcrupak.

Vers une gestion paysagère intégrée

Les jardins « doivent aussi devenir pyro-résistants », en limitant les strates végétales qui concentrent la chaleur, en privilégiant les feuillus, et en éloignant les stockages à risque (bois, gaz, fioul) des façades. En résumé, il appelle à inventer un « urbanisme de l’inflammabilité », adapté à chaque territoire selon sa géographie, son histoire et le niveau de préparation des habitants. L’approche fragmentée du risque, où les collectivités pilotent l’urbanisme et l’Etat, le risque naturel, freine par ailleurs le dialogue. Il plaide ainsi pour une démarche paysagère fédérant collectivités, agriculteurs et habitants autour d’une gestion forestière active, d’un urbanisme résilient et d’une sensibilisation accrue. « La culture du risque ne se vit pas de la même façon pour un service public et pour un habitant attaché à son territoire », rappelle-t-il. Dans ce même esprit, Pauline Vilain-Carlotti prône le retour à une mosaïque paysagère ou encore à « des vergers et potagers plutôt que des plantations ornementales laissées à l’abandon. » Autre piste : le brûlage dirigé, comme celui pratiqué par les éleveurs en lien avec les services forestiers à Sindia en Sardaigne, « qui a amélioré à la fois la résilience locale et la production fourragère. » Jordan Szcrupak imagine aussi des interfaces forêt-habitat repensées en « lisières multifonctionnelles », mêlant cultures, pastoralisme et zones ouvertes pour freiner la propagation des flammes.

Valorisation durable des forêts

Sur le terrain, Jacques Galy, maire de Puilaurens et président de l’association des communes forestières de l’Aude, constate la fermeture des milieux : « il y a 20 ou 30 ans, on voyait tous les villages depuis un point haut des Corbières. Aujourd’hui, on ne voit plus que la forêt et la garrigue qui gagne du terrain sur les vignes en friche. » Il propose d’instaurer de véritables périmètres de protection autour des villages, à l’instar des monuments historiques, avec des sanctions fortes contre les propriétaires négligents, jusqu’à l’expropriation. Il dénonce aussi des règles inadéquates, comme l’interdiction de broyer les bords de route avant fin juin, alors que « les fauches printanières créaient une bande verte moins inflammable. » Pour lui, la reconstruction doit s’appuyer sur une stratégie claire : inventorier les zones incendiées, nettoyer, valoriser le bois brûlé et privilégier la replantation d’essences résistantes. La gestion des forêts privées, morcelées et délaissées, reste un défi majeur. Jeannine Bourrely, conseillère au Centre régional de la propriété forestière (CRPF) Occitanie, souligne : « la forêt méditerranéenne rend de nombreux services écologiques et paysagers. Pourtant, leur seule valeur économique reconnue reste le bois, peu rentable car de faible qualité dans ces régions, ce qui freine les travaux d’entretien. »

Planification stratégique

Ainsi, « les éclaircies déficitaires destinées à limiter la propagation du feu sont rarement subventionnés, à l’exception notable de l’agglomération d’Alès. » La sylvicultrice suggère des campagnes d’information pour encourager la gestion active, la revente ou la mutualisation entre propriétaires, ainsi qu’un financement collectif de l’entretien des interfaces forêt-habitat dans les lotissements. Enfin, tous s’accordent sur l’urgence d’une planification stratégique à long terme, intégrant prévention, gestion et aménagement. Pour Jordan Szcrupak, « l’animation territoriale est un enjeu clé », notamment sur les lisières périurbaines, qui doivent devenir « des zones stratégiques aménagées sur 200 m à 1 km autour des zones sensibles » pour freiner la progression du feu. « Des financements existent, comme le Fonds vert, pour appuyer ces études, mais il faut que les territoires en soient informés. » L’enjeu est clair : bâtir des territoires capables de vivre avec le feu, plutôt que de le subir.

Chiffres-clés dans l’Aude

258 000 ha de forêt (40 % du territoire), +46,5 % depuis 1989
73 % en propriété privée, majoritairement morcelée (inférieure à 10 ha)
15 000 ha de friches apparus depuis 2005 (ex-vignes)
20 % des propriétaires seulement respectent l’obligation légale de débroussaillement
8 plans de prévention des risques d’incendie de Forêt (Pprif) approuvés au cours des sept dernières années (source PDPFCI 2018-2027)

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