Quelles dispositions essentielles retenir de la loi sur la prévention des incendies, dans le domaine de l’aménagement du territoire ?
Face à l’intensification du risque incendie, la proposition de loi adoptée par le parlement vise en amont, à intégrer le risque incendie dans le cadre de l'aménagement du territoire.
Elle fait ainsi figurer la prévention du risque incendie dans les plans de gestion des espaces protégés, dans les documents de gestion durable des forêts, dans la stratégie nationale des aires protégées et plus largement dans les documents d’urbanisme.
Ainsi la loi met à la charge de l’Etat l’élaboration d’une carte analysant « la sensibilité du territoire européen de la France au danger prévisible de feux de forêt et de végétation ».
Sur la base de cette carte, un arrêté interministériel établira la liste des communes exposées à un danger élevé ou très élevé de feux. Les communes figurant sur cette liste qui ne sont pas couvertes par un plan de prévention des risques d'incendies de forêt (PPRif), pourront voir sous l’autorité du préfet, une partie de leur territoire être qualifiée de “zone de danger” et être en conséquence exposée à un certain nombre d'interdictions ou de limitations en matière de construction.
La loi se fixe également pour objectif de mieux réguler l’interface entre les forêts et les zones urbaines. Il s’agit notamment de faire respecter les obligations légales de débroussaillement (OLD) à proximité des zones d’habitation. Aussi le périmètre des OLD sera directement intégré dans les PLU. Cela permettra notamment de mieux informer les particuliers quant à leurs obligations.
Les OLD ont globalement été étendues notamment aux abords des sites Seveso à proximité des bois et forêts.
Les feux hors norme de l’été 2022 ont-ils inspiré ces dispositions ?
Si la proposition de loi tire immanquablement les leçons des feux de l’été 2022, je tiens à souligner la capacité d’anticipation dont ont su faire preuve les commissions de l’aménagement du territoire et celle des affaires économiques du Sénat, puisque c’est à leur initiative qu’a été lancée, avant même le tragique été 2022, la mission de contrôle sur la prévention et la lutte contre l’intensification et l’extension du risque incendie, dont les recommandations ont trouvé une traduction législative dans les dispositions de la proposition de loi adoptée.
Au Sénat nous avons toutefois tenu à compléter ces dispositions pour tenir compte des retours d’expérience des feux « hors normes » particulièrement marquants de l’année 2022 dont ceux de Gironde.
En réaction à ces incendies le Sénat a notamment fourni une assise juridique aux « coupes tactiques » auxquelles il a été fait recours pour la première fois depuis 1949, afin de freiner la propagation de feux devenus difficilement maîtrisables. Le Sénat a également rendu obligatoire l’élaboration d’un plan de protection des forêts contre les incendies (PPFCI) dans les départements dont les bois et forêts sont classés à risque d’incendie. Ces derniers n’étaient obligatoires jusqu’à présent que dans les zones classées particulièrement à risque.
Le renforcement de cette obligation découle directement de la survenance d’incendie et de l’aggravation du risque dans des zones qui étaient jusque-là épargnées.
Les schémas de cohérence territoriale et les plans locaux d’urbanisme devront-ils se saisir de la prévention des incendies ? Faut-il créer des zones inconstructibles en raison du risque incendie ?
La mission d’information sénatoriale proposait en effet d’intégrer dans les documents d’urbanisme des préconisations techniques visant à renforcer la résilience des constructions et installations aux incendies de forêts.
Aussi le texte prévoyait que dans les territoires dont les bois et forêts sont réputés à risque, mais non couverts par un PPRif, le PLU puisse définir des secteurs dans lesquels il impose aux constructions, aux travaux, aux installations et aux aménagements de respecter des prescriptions techniques permettant d’en réduire la vulnérabilité aux incendies.
Cette disposition a toutefois été supprimée par l’Assemblée Nationale, car outre le transfert au Maire d’une responsabilité qui incombe à l’État, cette disposition est déjà satisfaite, le code de l’urbanisme permettant aux plans locaux d’urbanisme de définir des règles visant à limiter la vulnérabilité des constructions nouvelles au risque d’incendie, voire d’interdire les nouvelles constructions dans certaines zones particulièrement exposées au risque d’incendie ou d’imposer des règles de retrait entre une construction et les limites parcellaires.
Il subsiste toutefois la possibilité, pour le Préfet, dans les zones visées, d’adresser des recommandations techniques permettant de réduire la vulnérabilité des constructions aux incendies.
Une disposition visait à imposer la participation des acteurs en charge de la défense des forêts contre l’incendie à l’élaboration des SCoT et des PLU. Celle-ci a finalement été supprimée car elle aurait complexifié les procédures existantes et accru les motifs de recours. Par ailleurs la réglementation en vigueur n’interdit pas aux communes qui le souhaitent d’associer ces acteurs à l’élaboration de ces documents.
En tant que représentant des collectivités, le Sénat s’est montré attentif à ne pas brider l’initiative locale. Aussi, si des zones doivent être interdites à la construction, c’est aux communes au travers des PLU de les définir. La priorité est plutôt à ce que les communes concernées soient couvertes par un PPRif qui emporte de facto, une série de contraintes d’urbanisme de nature à circonscrire le risque.
Des massifs aux communes, quelle sont les bonnes échelles de planification ?
Le plan de protection des forêts contre l'incendie (PPFCI) qui constitue l’un des principaux outils en matière de lutte contre les incendies possède un champ d'application en pratique quasi exclusivement départemental. Or, le risque incendie peu peser sur des espaces naturels cohérents infra ou supra-départementaux, il s’agit dès lors d’être en capacité d’adapter la réponse en s’affranchissant des limites administratives. Aussi, la proposition de loi a-t-elle pour objectif d’améliorer l’aménagement et la valorisation des forêts en appréhendant la défense de la forêt contre les incendies à l’échelle de chaque massif forestier.
Comment remédier aux problèmes d’accessibilité entretenus par l’atomisation de la propriété forestière ?
Pour leur entretien, leur exploitation mais également leur protection en cas d'incendie, les forêts françaises, privées ou publiques sont desservies par des voies d'accès à la ressource forestière ainsi que des voies de défense des bois et forêts contre l’incendie, dites « pistes DFCI ». Ces voies jouent en effet un double rôle de voie d'accès sécurisée pour les forces de sécurité civile et de coupure de combustible. La proposition de loi permettra d’améliorer la connaissance et la prise en compte par les acteurs des synergies potentielles entre ces voies par le renforcement de la concertation entre acteurs forestiers, collectivités territoriales et services d'incendie et de secours et en améliorant la connaissance et la desserte des forêts.
La loi prévoit ainsi l’établissement d’un « cahier des charges visant à améliorer la mutualisation des voies d’accès aux ressources forestières et les voies de défense des bois et forêts contre l’incendie ». Il définit notamment « les responsabilités de chaque acteur en matière de remise en état de ces voies après usage ». Elle rend également obligatoire, l’établissement et la mise à jour d’une « cartographie des voies d’accès aux ressources forestières et des voies de défense des forêts » par les régions.
Peut-on imaginer un transfert des bonnes pratiques de la forêt publique vers le privé ?
La forêt privée représente près des trois quarts des surfaces boisées totales en France. Or celle-ci fait l’objet d’une gestion plus indirecte que la forêt publique, et d’un niveau de protection plus faible face au risque d’incendie.
Le Sénat proposait d’encourager les propriétaires forestiers à une gestion plus durable et responsable, en étendant le périmètre du dispositif d’encouragement fiscal à l’investissement en forêt (Defi forêt) aux petites propriétés boisées dotées de codes des bonnes pratiques sylvicoles (CBPS).
Cette disposition a été abandonnée car la signature de CBPS n’aurait apporté qu’une présomption de gestion durable et aurait détourné ces propriétaires des dispositifs agréés par le centre régional de la propriété forestière (CRPF), qui eux apportent une garantie de gestion multifonctionnelle, à la fois durable et produisant de la valeur.
Aussi face à la couverture inégale de la surface forestière privée par des documents de gestion durable, l’enjeu est d’accélérer la mise en œuvre des documents de gestion durable (DGD) de la forêt privée.
La loi abaisse également le seuil au-delà duquel il est obligatoire, pour les propriétaires forestiers, de disposer d’un plan simple de gestion (20 hectares) ce sont 500 000 hectares de plus qui seront soumis à cette obligation d’adopter un PSG, ce qui représente 25 000 PSG supplémentaires.
Quelle part de l’accès à l’eau réserver à la sécurité incendie, sans pénaliser les autres besoins (agriculture, biodiversité, industrie, usage domestique) ? La réutilisation d’eaux traitées fait-elle partie des réponses ?
La question de l’eau et de sa disponibilité est bien sûr cruciale en matière de lutte contre les incendies. Avec l’augmentation de la fréquence des sécheresses on peut en effet craindre une forme de concurrence entre les différents usages de l’eau.
A ce titre la commission spéciale du Sénat avait cru bon de compléter le titre Ier de manière à s’assurer que les objectifs de la politique de l’eau, énumérés à l’article L. 211-1 du code de l’environnement, prennent bien en compte les besoins de la sécurité civile. Cette disposition a finalement été supprimée car cet article prévoit déjà que la politique de l’eau prend en compte les impératifs de la sécurité civile.
La question de la disponibilité en eau demeure toutefois une préoccupation importante des SDIS et conditionne l’efficacité de leur intervention. Cette disponibilité est intimement liée à l’accessibilité de la forêt et à la ressource en eau, via les étangs ou les rivières coulant dans les forêts. Il faut donc de l’eau disponible et accessible, cela passe par des aménagements spécifiques.
Comment rendre les obligations de débroussaillement plus efficaces ?
La loi consacre plusieurs articles aux obligations légales de débroussaillement (OLD). Celles-ci sont en effet peu appliquées. Pour y remédier la loi prévoit une meilleure information des particuliers de leurs obligations au travers des PLU en y intégrant le périmètre des OLD.
La loi aggrave également l'amende en cas de non-respect d'une OLD. Celle-ci passe de 30 à 50 euros maximum par mètre carré non débroussaillé. Enfin, la loi facilite la mutualisation de ces obligations en créant une procédure d’accord simplifié pour la réalisation des travaux sur la parcelle d’un tiers. La réalisation des obligations légales de débroussaillement peut en effet conduire un propriétaire de construction ou d’infrastructure à devoir intervenir sur une parcelle voisine qui appartient à autrui.
Ne faudrait-il pas débloquer les freins règlementaires au défrichement, lorsqu’il permet à la fois la reconquête des paysages et la sécurisation des humains ?
Le texte reconnaît le rôle majeur qu’a à jouer le monde agricole, dans la prévention des feux de forêt. Dans les territoires de montagne par exemple, les zones pastorales sont bénéfiques pour la prévention des incendies. Le texte adopté tente d’atteindre un juste équilibre entre lutte contre la déprise agricole et la protection des forêts en facilitant les opérations de défrichement.
Il faut rappeler que si les aménagements de DFCI échappent à l’indemnité de défrichement, les mises en valeur agricole ou pastorale ne le peuvent pas, en dépit de leur effet potentiellement protecteur pour la forêt. Aussi le texte facilitera les opérations de défrichement en permettant notamment au préfet d’autoriser un défrichement sous réserve de la signature d’un contrat de mise en valeur agricole ou pastorale.