En novembre, lors des débats sur le budget, vous avez annoncé l’abandon de deux projets de collège, compte tenu des restrictions budgétaires qui s’imposent au département. Une situation qui concerne toute la France, par ailleurs.
Effectivement, il me semble important de partir de la focale large, avant d’évoquer le local. J’étais, le 18 décembre, en réunion avec les départements de gauche de France, mais mon propos vaut pour tous les départements français. Les premières restrictions budgétaires portent sur l’investissement car notre épargne nette fin 2024 va être négative. Nous devons nous garder, dans la construction du budget 2025, la marge impérative pour pouvoir rembourser nos annuités d’emprunts, notamment le capital d’emprunt en investissement. C’est l’ensemble de l’économie française qui va en souffrir.
Dans quelle situation se trouve actuellement le département de la Gironde ?
Nous sommes la strate la plus en fragilité budgétaire car nous n’avons pas d’autonomie fiscale et de capacité à lever l’impôt. Et nos recettes ne sont pas en conformité avec les actions une nous avons, liées aux personnes âgées, à l’insertion, la protection de l’enfance et au handicap. Les droits de mutation sont en chute libre : -40 % en deux ans. En Gironde, nous avons perdu 210 millions d’euros entre 2022 et aujourd’hui. Ce qui est valable dans beaucoup de départements, notamment les plus attractifs.
Vous imputez également vos difficultés au gouvernement…
La TVA - qui devait remplacer l’impôt foncier - annoncée « dynamique » par le gouvernement, ne l’est pas. Depuis 2 ans, Bercy nous verse une TVA dynamique, mais nous demande d’en rembourser une partie à la fin d’année, c’est le cas en 2024 avec un remboursement de 32 millions d’euros. Nous construisons donc notre budget sur des sommes prévisionnelles, annoncées et versées par Bercy, qui nous en reprend ensuite une partie. Tout cela fait que nous n’avons pas un socle pérenne, robuste et évolutif pour financer l’action sociale. Il faut faire des choix car nous devons consacrer notre argent à nos missions sociales.
A quel niveau ?
Pour les communes et les communautés de communes, déjà. En 2023, nous les avons financées à hauteur de 30 millions d’euros pour leur permettre de réaliser certains investissements liés à l’accessibilité des lieux publics, la rénovation énergétique… Et il faut savoir que la subvention départementale peut être un déclencheur pour une subvention nationale ou un prêt bancaire. En 2024, nous avions déjà divisé ces aides par 2, en passant de 30 à 15 millions d’euros. Je ne sais pas encore ce que ce que nous allons décider pour 2025, mais nous pourrions aller jusqu’au moratoire. Certaines communes pourraient donc renoncer à des investissements. Cette situation va générer des difficultés d’un point de vue économique, qui risquent d’être accentuées en 2026, en raison de la tenue des élections municipales. Je crains qu’en contraignant les départements dans leur capacité à pouvoir investir, c’est l’ensemble du tissu économique qui va en subir les effets. Et donc, in fine, ce sont les recettes publiques qui vont être concernées, car moins il y aura de croissance, moins il y aura de recettes… C’est un cercle vicieux, qui est inquiétant.
Vous aimeriez que le monde économique en prenne conscience.
Il est dommage que pour « Défendons nos territoires » [une mobilisation organisée le 14 décembre pour dénoncer cette situation, NDLR], nous n’ayons pas eu de représentants du monde économique. J’ai envie de leur dire : « Attention, même si le département n’a pas la compétence économique et n’est donc votre interlocuteur principal, nous sommes commandeurs publics et ce qui va se passer va forcément vous impacter. »
Quel est, concrètement, l’impact de cette situation au niveau local ?
En 2025, nous avions envisagé 298 millions d’euros d’investissements, mais nous cherchons aujourd’hui à baisser à 190 millions d’euros, soit un effort de 108 millions d’euros. En 10 ans, l’année où l’investissement a été le plus faible, c’est 2017 avec 169 millions d’euros, et l’année du plus gros investissement, 2021, avec 338 millions d’euros. C’est un assèchement de l’investissement départemental qui est rude et qui nous contraint d’abandonner les projets de collèges de Mérignac-Beutre et Sud Métropole, prévu à Talence ou Bègles ; le parc routier de Beychac et Caillau (40 millions d’euros)… Il y aura d’autres investissements stoppés ; les choix définitifs ne sont pas encore arrêtés. Et ces projets ne seront probablement jamais repris.
Comment allez-vous gérer la saturation dans les collèges sans ces nouveaux établissements ?
Nous allons revoir la carte scolaire, nous pensons qu’il pourrait y avoir un affaissement de la croissance collégienne et donc une nécessité moindre à construire. Mais, il faut arriver à passer les périodes transitoires, durant lesquelles la population augmente fortement dans les collèges dont certains sont déjà saturés.
D’autres structures sont-elles concernées ?
Nous remettons également en cause le plan pluriannuel d’investissement du Sdis, ce qui signifie que certains projets de caserne sont reportés sine die. Tous les arbitrages se feront en janvier pour un vote du budget en mars.
Qu’en est-il pour les routes, une autre de vos compétences ?
Nous maintenons les investissements, mais étalons dans le temps les restructurations majeures. Au départ, nous réalisions une restructuration de la voie au bout de 15 ans, nous sommes passés à 18 ans en 2024, et nous envisageons aujourd’hui une intervention au bout de 23 ans. Ce qui est trop, car il va falloir tenir et au final, les travaux vont être plus coûteux. J’espère que nous pourrons rectifier le tir dans quelques années.
Là encore, ce sont les entreprises qui vont en subir les conséquences.
Effectivement, à titre d’exemple, la construction d’un collège, c’est 400 à 450 emplois et c’est près de 10 000 heures d’insertion sociale. Quelque 37 % des 427 marchés signés en 2024 ont été attribués à des PME locales.
Le fait que la loi de finances annoncée par l’ancien Premier ministre Michel Barnier n’ait pas été votée, vous laisse-t-il plus de marges de manœuvre ?
Les 108 millions d’euros d’économie sont uniquement liés à l’atterrissage 2024 de notre compte administratif. Si le PLFSS [Projet de loi de financement de la sécurité sociale, NDLR] était voté en l’état, on ajouterait une nouvelle économie de 80 millions d’euros, c’est insupportable. D’autant que nous pouvons trouver de la recette, là où elle se trouve.
C’est à dire ?
Au moment des assises des départements de France, en novembre, j’ai évoqué des actions fiscales ou de prélèvement qui ne toucheraient pas le pouvoir d’achat des gens. Par exemple, est-il normal qu’un grand groupe achète un château en Saint-Emilionnais à 70 millions d’euros sans payer le moindre frais de notaires ? Il peut le faire car il achète des parts sociales qui sont exonérées de droits de mutations. Ces 70 millions d’euros représenteraient pourtant 3 à 4 millions d’euros de droits de mutation…
La deuxième chose porte sur la contribution sociale généralisée (CSG). Dans le cadre de la loi organique relative à la dette sociale et à l’autonomie, elle a été augmentée de 0,15 point, soit un apport pour la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, qui finance les personnes âgées et handicapées, de 2,6 milliards d’euros. Et personne n’a été touché par cette augmentation car on a rallongé la durée d’emprunt de la caisse d’amortissement de la dette sociale - caisse qui rembourse les emprunts de la sécurité sociale - et pris ces 2,6 milliards d’euros à la Cades. Les départements ont touché 150 millions d’euros... J’ai demandé au Premier ministre précédent d’augmenter la CSG de 0,10 point en 2025 - de la même manière – et de verser les 2 milliards d’euros récupérés aux départements pour les aider. Je l’ai redit au ministre de la Santé démissionnaire, Paul Christophe, à l’origine de ce mécanisme. Nous en avons besoin et il existe des solutions, à condition de considérer que l’économie sur le service public n’est plus acceptable.
Etes-vous plus confiant avec l’arrivée de François Bayrou à ce poste ?
J’attends son discours de politique générale, le 14 janvier et, s’il y a des déclarations d’amour, je vais attendre les preuves. Mais j’imagine que sa feuille de route ne sera pas très différente de celle de Michel Barnier concernant les économies à réaliser pour limiter le déficit. Il va bien falloir trouver des recettes ou réaliser des économies de dépense. Nous verrons si les collectivités sont encore considérées comme celles devant fournir l’effort, alors que nous pesons très peu sur le déficit national.