Gravats et Pritzker Prize

L’avenir de la construction serait-il dans les bennes à ordures et les sacs de gravats? C’est l’avis des architectes Julien Choppin et Nicola Delon (agence "Encore Heureux"), commissaires de l’inspirante exposition “Matière grise” présentée jusqu’au 4 janvier 2015 au Pavillon de l’Arsenal (Paris IVe). Considérant les déchets de l’architecture comme potentiels de projet, le propos engagé est soutenu par une recherche iconographique remarquable.

Chaque heure, le monde engloutit en métal l’équivalent de 20 Tour Eiffel. À cette allure, nous aurons épuisé les gisements de zinc en 2025 et ceux de fer en 2087. D’autres bonnes nouvelles? Le soleil du 19 août 2014 a eclipsé un anniversaire important, celui de l’earth overshoot day, soit la date à laquelle nous avons consommé toutes les ressources que la planète peut renouveler en une année. Nous vivons donc à crédit depuis le 20 août 2014, puisant irrémédiablement dans les réserves naturelles terrestres et, évidemment, l’earth overshoot day se rapproche chaque année un peu plus du 1er janvier. C’est avec ces informations accablantes que l’exposition “Matière grise” accueille le visiteur. Illustrée par des maquettes didactiques et sept dessins originaux du graphiste Bonnefrite - dont le trait enfantin tranche avec la gravité du propos comme pour nous renvoyer à notre désespérante inconscience collective -, l'introduction dresse un constat glaçant sur notre gestion des ressources naturelles et le traitement des déchets de la construction. Mais s’il plombe un peu l’ambiance, l’exposé est utile car c’est de la prise de conscience que naît la réaction. Contrairement aux matières premières, notre matière grise est inépuisable, les architectes Julien Choppin et Nicola Delon en appellent donc à “l’intelligence collective” pour que la réutilisation (matière et fonction conservées), le réemploi (matière conservée, fonction détournée) et le recyclage (matière transformée) des déchets de la construction dans la production architecturale dépassent l’anecdotique pour devenir des outils incontournables de projet. La deuxième partie de l’exposition s’attache à prouver que le mouvement est lancé, esquissant les contours d’un avenir plus radieux où la recherche du mode de gestion adapté à chaque déchet pour le transformer en matière première serait la norme.

Fenêtres et moquette

Explorant les potentialités du réemploi à l'heure où la construction se confronte à de nouvelles contraintes environnementales et économiques et de nouveaux usages, 75 réalisations repérées à travers le monde sont présentées. Photographies, textes courts, citations et échantillons de matériaux “réemployés” rendent l’exposé très accessible, donc inspirant. On découvre comment d’anciens pilotis maritimes constituent aujourd’hui le bardage d’un musée au Pays-Bas (Mecanoo architecten) ou que de vieux tableaux noirs forment la façade d’un bâtiment universitaire au Kansas (États-Unis) dont les baies vitrées proviennent d’un chantier abandonné de bureaux (Studio 804). À Aubervilliers, des palettes deviennent l’ossature des murs et des planchers d’une maison construite par les bâtisseurs d’Emmaüs. Et quand on sait que nous jetons chaque année 400 ha de moquette - soit la surface du VIIe arrondissement de Paris -, on admire l’inventivité de Rural Studio avec qui des dalles de moquette usagées deviennent les murs porteurs d'une maison en Alabama (États-Unis).

Histoire et emplois

C’est d’abord la diversité des programmes et des échelles des réalisations qui impressionne - de la maison individuelle au grand équipement public – et la constatation que le réemploi ne bride jamais les ambitions architecturales de leurs concepteurs. Certains projets assument fièrement une esthétique bricolée quand d’autres, aux volumes rigoureux et aux lignes affûtées, revendiquent une écriture résolument contemporaine. Mais au-delà du rendu, c’est aussi l’implication des différents acteurs d’un projet comme condition sine qua non du réemploi qui est donnée à voir. Le réemploi est l’affaire de tous et prend forme grâce aux initiatives habitantes, industrielles ou politiques qui accompagnent celles d’architectes et de constructeurs. Et si Julien Choppin et Nicola Delon ont choisi de montrer à nouveau les grands projets que l’on connaît déjà, comme le Musée d’histoire de Ningbo (Chine) du pritzkerisé Wang Shu, c’est qu’ils servent à illustrer des forces insoupçonnées du réemploi : construire avec des éléments issus d’une démolition c’est également en appeler à la mémoire et la prolonger, renforcer le lien social qu’entretiennent les usagers avec un bâtiment et préserver les traditions constructives. Enfin, et c’est un argument important que les commissaires rappellent comme pour prouver qu'un traitement raisonné des déchets peut être la solution de bien des maux : il faut une personne pour enfouir 10 000 tonnes de déchets, trois pour les incinérer mais 31 pour les trier, soit 31 emplois non délocalisables…

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