Grand Paris Express: des millions de tonnes de déblais sur les bras

Les entreprises qui construisent le futur réseau de transport francilien doivent aussi gérer les terres excavées. Pour analyser, transporter et valoriser de tels volumes, des solutions émergent.

 

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A proximité de la future gare Grand Paris Express de Noisy Champs, ligne 15 sud : évacuation des déblais du tunnelier Malala.

C' est un chantier pharaonique ! La construction des 200 km de lignes et des 68 gares du Grand Paris Express (GPE) va générer quelque 48 millions de tonnes de déblais d'ici à 2030. Ce volume, qui intègre les 2,7 millions de tonnes produites sur la ligne 14 sud sous maîtrise d'ouvrage de la RATP, se répartit à part sensiblement égale entre les terres excavées par les tunneliers et celles issues du creusement des gares et des ouvrages annexes.

La gestion d'une telle quantité de matériaux ne s'improvise pas. Dès 2012, la Société du Grand Paris (SGP) avait élaboré un « schéma directeur d'évacuation des déblais », sorte de guide pour les maîtres d'œuvre et les entreprises, actualisé en 2017. Parallèlement, elle a recensé les exutoires : carrières, installations de stockage de déchets inertes (ISDI), de déchets non dangereux (ISDND) et dangereux (ISDD). Les déblais sont en effet considérés comme des déchets, et leur gestion - collecte, transport, traitement… -relève du Code de l'environnement, dont certaines dispositions pourraient prochainement évoluer (lire ci-dessous).

« Les terres du GPE vont augmenter de 10 à 20 % la production annuelle francilienne de déblais. Sur douze ans, c'est gérable », estime Laurent Mogno, P-DG d'ECT, l'un des principaux gestionnaires d'exutoires. La phase la plus tendue est imminente, avec un pic d'activité annoncé en 2020 (voir graphique ci-contre) qui correspond au déploiement d'une quinzaine de tunneliers d'ici à la fin de l'année, contre quatre jusqu'à présent. Or, d'un point de vue logistique, un certain nombre de contraintes entourent la gestion des terres de tunneliers.

Analyse chimique. La principale découle de la durée de la phase de caractérisation. « Les déblais font l'objet d'analyses chimiques, réalisées par des laboratoires accrédités Cofrac, qui prennent de trois à cinq jours.

Les travaux du GPE génèrent 10 à 20 % de déblais en plus chaque année en Ile-de-France

Tant que nous n'avons pas reçu les résultats, nous ne pouvons pas les évacuer », explique Emmanuel Tori, directeur grands projets nationaux chez Guintoli (groupe NGE), sous-traitant du groupement Alliance (Demathieu Bard, mandataire, NGE, Pizzarotti, Implenia, Atlas Fondations), attributaire du lot T 2C (1,3 million de tonnes à traiter), et dont les deux machines ont été les premières à s'élancer.

« Un tunnelier extrait en moyenne 2 500 t par jour, il faut donc prévoir des capacités de stockage importantes », ajoute le responsable de Guintoli. L'exiguïté de certaines emprises de chantiers -en l'occurrence les zones de départ des tunneliers -peut conduire à limiter le nombre de casiers de stockage, avec le risque pour les entreprises de se retrouver débordées par les flux de matières. Et donc de devoir ralentir le tunnelier. Pour contourner ce problème, les groupements mettent au point leur propre méthode de caractérisation. NGE teste le dispositif « Diagnosol Express » sur le T 2C parallèlement aux analyses en laboratoire. « Nous obtenons une caractérisation équivalente aux méthodes traditionnelles en moins de six heures, et nos résultats coïncident à plus de 95 % avec ceux des analyses Cofrac », annonce Emmanuel Tori, qui travaille au déploiement de cette méthode sur le lot 16- 2, remporté par NGE avec Salini Impregilo.

Les équipes de CAP, groupement composé de sociétés de Vinci Construction et Spie Batignolles, ont de leur côté conçu une méthode spécifique avec un laboratoire indépendant. « Nous l'utilisons en complément de la méthode Cofrac afin d'en démontrer la fiabilité et la répétabilité. D'ores et déjà, nous pouvons évacuer au bout de deux jours les matériaux classés ISDI et ISDI +. Pour les autres catégories de déblais, seules les analyses Cofrac sont prises en compte », signale Jérémie Laurent-Joye, directeur logistique béton et déblais chez Vinci Construction.

Fosses étanches. Par ailleurs, il faut jongler avec les horaires de circulation des camions, autorisés par les communes, et ceux des exutoires. CAP, titulaire du lot T 3C (3 millions de tonnes à traiter) et dont les deux tunneliers forent actuellement le sous-sol francilien, a décidé de créer à Orly (Val-de-Marne) à 6 km du site d'excavation d'Arcueil- Cachan « une zone de stock tampon de déblais disposant de fosses étanches pour permettre l'évacuation des matériaux lorsque les exutoires sont fermés », précise Jérémie Laurent-Joye. Ailleurs, « certaines installations de stockage ont adapté leur organisation, avec parfois une ouverture la nuit, quand leur environnement le permet », fait valoir Bernard Cathelain, membre du directoire de SGP.

Le coût de gestion des déblais est évalué à 5 % du coût du Grand Paris Express.

Au-delà de ces considérations logistiques, spécifiques aux tunneliers, les entreprises de génie civil doivent respecter les obligations intégrées dans les marchés de travaux visant à réduire les nuisances pour l'environnement et les riverains, véritable enjeu pour la SGP. Sa stratégie en la matière repose sur le triptyque : traçabilité, développement de modes de transport alternatifs à la route et valorisation. « Nous demandons à toutes les parties prenantes d'utiliser l'outil informatique que nous avons développé avec notre AMO, Artémis, pour assurer la traçabilité des matériaux, souligne Frédéric Willemin, directeur du développement durable à la SGP, qui se félicite « de la bonne adhésion des entreprises de TP au dispositif ».

C'est par exemple le cas de Bouygues travaux publics, mandataire du groupement Horizon avec Soletanche Bachy, attributaire des lots T 3B, T 3A et T 2A sur la ligne 15 sud (5,1 millions de tonnes à traiter), qui a profité des travaux pour imaginer Ubysol. « Ce système de géolocalisation des camions repose sur des capteurs fixés sur les bennes des véhicules. Nous l'avons interfacé avec l'outil informatique de la SGP », décrit Thomas Coloby, chef de service exploitation chez Bouygues Travaux publics.

Certains marchés imposent aussi le recours aux plates-formes fluviales ou ferroviaires pour les lots situés à proximité de la Seine ou d'une voie ferrée. Horizon devrait ainsi convoyer près de 70 % de ses déblais par le fleuve (lire ci dessous). La seule plate-forme ferroviaire envisagée pour l'instant - l'installation terminale embranchée (ITE) de Bry-Villiers-Champigny (Val-de-Marne) -est exploitée par Eiffage/Razel Bec, qui a remporté le lot T 2B. Enfin, les groupements de génie civil doivent respecter des objectifs de valorisation. Conformément à une directive-cadre européenne et à la loi Transition énergétique, la SGP a fixé un taux global de 70 % pour l'ensemble du réseau, qu'elle a ensuite décliné lot par lot, en fonction de la nature des terres à extraire, « certaines étant plus faciles à valoriser que d'autres », précise Frédéric Willemin. « Sur le lot T 2C, l'objectif s'établit à 40 % et nous le dépassons », note Jean-François Scheidt, directeur pro jets majeurs chez Demathieu Bard. Celui du groupement Horizon avoisine les 70 %.

Ferme de maraîchage bio. Le remblaiement de carrières (de granulats, de gypse) constitue la principale filière de valorisation (28 % des 4 millions de tonnes évacuées à fin 2018) via des prestataires (La fargeHolcim, Cemex…). Viennent assez loin derrière les projets d'aménagement clairement identifiés et autorisés (10 %), initiés par les collectivités locales, voire par les entreprises. A l'image de Bouygues Travaux publics, qui recherche des fonciers en Ile-de-France. Le projet le plus avancé concerne la création d'une ferme de maraîchage biologique à Ris-Orangis (Essonne) sur un délaissé de 7 ha (ce qui correspondrait à environ 180 000 tonnes valorisées).

De son côté, Vinci Construction expérimente le recyclage des calcaires grossiers dans la production de ciment. « Notre partenaire, Ciments Calcia, nous fournit ensuite le béton pour la construction de nos ouvrages permettant ainsi de créer un cycle de production vertueux », indique Jérémie Laurent-Joye.

Le taux de valorisation n'atteignant que 45 % pour l'instant, la SGP cherche à développer des projets d'aménagement avec les acteurs du territoire. Cette solution permettrait de surcroît de réduire le coût de gestion des déblais, évalué aujourd'hui à environ 5 % à du montant total du Grand Paris Express (35 Mds €). « Nous pouvons gagner sur le coût du transport (entre 5 et 10 euros la tonne). Ce sera le cas pour le futur parc du Sempin (ancienne carrière de gypse) porté par la Safer, près de Montfermeil (Seine-Saint-Denis) et de Chelles (Seine-et-Marne), sur le lot 16- 2. Les terres utilisées, près d'un million de tonnes, seront acheminées depuis le site d'excavation par un tapis convoyeur », précise Frédéric Willemin. Cette piste figure parmi d'autres pour réaliser des « économies substantielles » dans le cadre du plan d'optimisation du projet du GPE. « Nous étudions aussi la possibilité de réutiliser des déblais directement sur des chantiers du Grand Paris Express, comme le futur centre d'exploitation d'Aulnay, sur la ligne 16 », conclut Bernard Cathelain.

 

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