Jurisprudence

Garantie décennale : l’assistant à maîtrise d’ouvrage peut avoir la qualité de constructeur

L’entrepreneur et le maître d’œuvre peuvent, en qualité de constructeurs, voir leur garantie décennale engagée. Mais c’est aussi le cas de l’assistant à maîtrise d’ouvrage. C’est ce que vient de préciser le Conseil d’Etat.

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La responsabilité décennale de l'assistant à maîtrise d'ouvrage peut être engagée
Marchés publics
Conseil d'Etat (CE)Décision du 2018/03/09N°406205

Le Code civil est clair. L’action en garantie décennale n’est ouverte au maître d’ouvrage qu’à l’égard des constructeurs avec lesquels il a été lié par un contrat de louage d’ouvrage. Un architecte, un maître d’œuvre ou encore un entrepreneur sont par définition soumis à cette responsabilité. Ce peut être aussi le cas pour l’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO), comme vient de l’indiquer le Conseil d’Etat dans une décision du 9 mars 2018.

L’affaire concernait une commune ayant décidé de réaliser des travaux de rénovation et de remise aux normes d’un établissement thermal. Pour ce faire, elle a conclu trois contrats : un premier pour assistance à maîtrise d’ouvrage, un deuxième relatif à la maîtrise d’œuvre, et le dernier avec un entrepreneur pour la réalisation des travaux. Après la réception, prononcée avec réserve, la direction départementale des affaires sanitaires et sociales a constaté la présence de bactéries et ordonné la fermeture temporaire de l’établissement.

C’est alors qu’un expert a été désigné par le tribunal administratif à la demande de la commune. Suivant les conclusions du rapport de l’expert, celle-ci a formé un recours pour rechercher la responsabilité décennale des trois intervenants à l’opération. Et après un premier renvoi du Conseil d’Etat vers la cour administrative d’appel (CAA) de Marseille, la commune a formé un deuxième pourvoi en cassation. La Haute juridiction administrative est donc amenée à trancher définitivement le litige.

Pour déterminer si la responsabilité décennale de l’AMO peut être engagée, la Haute juridiction recherche si celui-ci a ou non la qualité de constructeur. Pour cela, elle analyse le contrat qui le lie au maître d’ouvrage.

Ce dernier prévoit notamment  à « l'article 1er de l'acte d'engagement et cahier des clauses administratives particulières (CCAP) que "la mission ainsi confiée exclut formellement tout mandat de représentation du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses prérogatives". […] l’article 2 précise que l'assistant au maître d'ouvrage "est l'interlocuteur direct des différents participants […]. Il propose les mesures à prendre pour que la coordination des travaux et des techniciens aboutisse à la réalisation des ouvrages dans les délais et les enveloppes financières prévus et conformément au programme approuvé par le maître d'ouvrage. Il vérifie l'application et signale les anomalies qui pourraient survenir et propose toutes mesures destinées à y remédier […]. Pendant toute la durée des travaux, l'assistant au maître d'ouvrage assiste le maître d'ouvrage de sa compétence technique, administrative et financière pour s'assurer de la bonne réalisation de l'opération. A ce titre : il a qualité pour assister aux réunions de chantier, il fait toutes propositions au maître d'ouvrage en vue du règlement à l'amiable des différends éventuels […]". […] l’article 3 relatif au contenu, à la définition et au phasage de la mission confie notamment au cocontractant une mission de direction de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception. »

Les juges du Palais-Royal en déduisent que le contrat entre le maître d’ouvrage et l’AMO revêt le caractère d’un contrat de louage d’ouvrage, et que ce dernier doit par conséquent être reconnu comme un constructeur.

La commune peut donc chercher à engager la garantie décennale de l’AMO, tout comme celle du maître d’œuvre et de l’entrepreneur. Le Conseil d’Etat va dès lors rechercher si les désordres constatés entrent bien dans le champ de la décennale et ensuite déterminer la responsabilité de chacun.

Pour cela, il se base sur le rapport d’expertise demandé en première instance. Ce dernier révèle que même s’ils ne proviennent pas exclusivement de là, « les désordres survenus trouvent aussi leur cause dans des carences dans la conception des ouvrages, […], ainsi que dans la réalisation des travaux ». Autrement dit, ces désordres sont couverts par la garantie décennale.

Le Conseil d’Etat considère par ailleurs que ces dommages sont imputables tout d’abord à l’AMO « qui n'a pas alerté la commune sur l'insuffisance du diagnostic préalable ni pris en compte la spécificité de l'eau minérale », mais aussi à l’entreprise chargée de la maîtrise d'œuvre, « à laquelle sont imputables des défauts de conception, de surveillance et de contrôle, » et enfin à l’entrepreneur chargé de la réalisation du réseau d'alimentation en eau, « au titre des malfaçons qui ont affecté l'ouvrage et de l'insuffisance de ses conseils. » La responsabilité décennale des trois intervenants est donc engagée (l’AMO devant assumer 20% du montant de la condamnation, et le maître d’œuvre et l’entrepreneur 40% chacun).

Toutefois les juges notent aussi « que la commune […], qui a fait le choix de n'engager qu'un programme partiel de rénovation et non, comme elle aurait dû le faire compte tenu du caractère vétuste de l'établissement thermal et de l'état dégradé des installations, un programme général, est également responsable des désordres survenus. »  La faute avérée du maître d’ouvrage permet, décide le Conseil d’Etat, d’atténuer d’un tiers cette responsabilité solidaire des constructeurs.

CE, 9 mars 2018, n°406205%%/MEDIA:1466504%%

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