Interview

Franck Lirzin, auteur : « Paris n’a pas de culture climatique »

Ingénieur du corps des Mines, Franck Lirzin a été directeur exécutif de Gecina de 2017 à 2021. Il signe Paris face au changement climatique, aux Editions de l’aube. Un ouvrage prospectif, qui invite à un changement de culture du bâtiment et de la ville.

Réservé aux abonnés
Franck Lirzin
Franck Lirzin

Vous soulignez dans Paris face au changement climatique que la capitale française n’a pas de « culture climatique ». Qu’entendez-vous par cette formulation ?

F.L. : Les villes du Sud ont depuis très longtemps intégré des techniques (murs épais, volets, ouvertures réduites…) pour se protéger de la chaleur. Les Pays-Bas se sont développés durant le Petit âge glaciaire, et ont inventé les doubles cloisons et de nombreux autres procédés pour se protéger du froid. Paris, qui bénéficie d’un climat tempéré, ne s’est vraiment soucié que des inondations. Pour le reste, la ville a toujours accepté de subir les rigueurs de l’hiver sans chercher à se protéger outre mesure.

Deux tiers de la ville actuelle datent d’Haussmann ou d’après, à une période où bien se chaufferétait devenu le sujet principal. Le développement du chauffage central a permis de construire des façades haussmanniennes peu isolantes. Cette logique a perduré jusqu’aux années 70. Je cite dans le livre l’exemple de l’immeuble de Dubuisson, à Montparnasse. Le geste architectural est fort, mais l’ensemble de la façade est en simple vitrage. Le tout est compensé par un chauffage très puissant. La passoire thermique devient l’envers du décor très esthétique !

Couverture de Paris face au changement climatique
Couverture de Paris face au changement climatique Couverture de Paris face au changement climatique

La rénovation thermique s’impose aujourd’hui comme la norme. Mais prend-elle suffisamment en compte le confort d’été ?

F.L. : Le problème de Paris a d’abord été le froid. Rappelons qu’il y a un rapport de 1 à 100 entre les besoins de froid et les besoins de chaud. Mais avec le réchauffement climatique, les besoins de chauffage pourraient diminuer d’un tiers à l’horizon 2050, alors que le confort d’été gagne en importance, avec des étés de plus en plus caniculaires. Lors du dernier record de température à Paris (42,6 °C en juillet 2019), j’ai mesuré avec une caméra thermique une température de surface de 59 °C sur les toits en ardoise !

Il faut bien comprendre que nous allons vers des périodes de canicule plus nombreuses, plus chaudes mais aussi plus longues. Or, au bout d’une semaine à dix jours, l’inertie de la structure ne joue plus et l’immeuble chauffe, avec des risques importants pour la santé humaine. Cette question de confort d’été commence d’ailleurs à s’inviter dans les labellisations autour de la rénovation.

Vous dessinez le portrait d’une ville évidemment plus végétale, mais aussi avec plus de ruisseaux, de fontaines… Les plantes et l’eau constituent donc une réponse essentielle ?

F.L. : La végétalisation favorise l’évapotranspiration, les arbres puisant la chaleur du sol pour l’évacuer en hauteur. Mais encore faut-il que ces arbres soient de belle taille, et donc plantés depuis longtemps, avec une base dégagée et non enserrés dans le béton, et qu’ils aient de l’eau. Nous savons que sans arrosage estival,  les arbres perdent leur pouvoir rafraîchissant !

Le sujet de l’eau en ville est donc lui aussi essentiel pour rafraîchir. Paris compte de nombreuses eaux souterraines, ruisseaux, rivières, rigoles. Pourquoi ne pas les mettre au jour ?

L’arrosage s’impose, et dans le même temps Paris fait face à des pluies violentes qui créent des phénomènes d’inondation. La rétention des eaux pluviales ne paraît-elle pas indispensable ?

F.L. : Les prévisions des climatologues sur la pluviométrie sont moins précises que sur la chaleur, mais il semble que nous allions vers autant de précipitations, mais beaucoup plus concentrées. Des pluies brutales vont se multiplier, créant des problèmes à Paris, mais aussi dans les zones aval de la Seine. Dans le même temps, nous aurons besoin d’eau pour rafraîchir la ville, mais cette consommation entrera en concurrence avec l’irrigation des cultures franciliennes, appelée à se développer. Retenir les eaux de pluie pour les utiliser en été paraît donc en effet indispensable !

Des toits en zinc inadaptés aux fortes chaleurs, des rues végétalisées, des façades haussmanniennes à repenser… Comment conduire de tels changements alors que la sensibilité à la protection du patrimoine à Paris est maximale ? Les débats autour de la reconstruction de Notre-Dame ont vu triompher l’option conservatrice…

F.L. : Le changement climatique est un défi, porteur d’opportunités. Il peut être l’occasion de repenser certains lieux. Les toits de Paris ont marqué un vrai progrès au XIXe siècle, mais dans un climat appelé à se réchauffer, ils ne sont plus adaptés. Les réponses techniques ne sont pas évidentes. Faudra-t-il peindre en blanc, isoler par l’intérieur, changer de matériau ? En tout cas, une évolution est nécessaire. Il en va de même pour certaines façades ou certaines rues, qui devront s’adapter.

Vous soulignez le risque d’inégalités importantes, notamment entre Paris intra-muros et la petite couronne. Quelle gouvernance adopter ?

F.L. : L’adaptation est souvent hyperlocale, car les voies ne sont pas les mêmes pour de l’haussmannien, du pavillonnaire ou des immeubles des années 70. Mais les infrastructures, le développement de réseaux de chaud ou de froid, se pensent nécessairement à plus grande échelle. Le bassin versant de la Seine concerne quatre régions et quatorze départements ! Le sujet de la gouvernance climatique est donc réel, et reste à inventer.

La prise de conscience autour des enjeux de l’adaptation vous paraît-elle suffisante ?

La France a été un pays précurseur, avec des stratégies d’adaptation au réchauffement climatique déjà anciennes. De nombreuses villes ont mis en place des politiques ciblées. Mais la prise de conscience des citoyens est naissante – c’est d’ailleurs l’enjeu de ce livre.

Abonnés
Baromètre de la construction
Retrouvez au même endroit tous les chiffres pour appréhender le marché de la construction d’aujourd'hui
Je découvreOpens in new window
Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires