Abandonné, vidé de ses machines depuis des années, et vibrant désormais au son des engins de chantier, l'ancien poste de transformation électrique Nation 1, boulevard de Charonne à Paris (XIe), n'en reste pas moins imposant. « Cette cathédrale de béton armé, érigée dans un style Art déco en 1929, nous offre une configuration singulière dont nous tirons pleinement parti pour regrouper ici les métiers du son », souligne Eléonore Givry, l'architecte en charge de sa métamorphose pour Batipart Europe, maître d'ouvrage avec lequel l'agence a remporté l'appel à projets Réinventer Paris 2.
L'avant-corps, qui abritait les bureaux, et les chapelles latérales, qui bordent la nef centrale de 25 m de haut originellement baignée d'une lumière zénithale, hébergeront des espaces de travail pour les musiciens et des boutiques autour de ce qui deviendra une rue intérieure. Et comme cette deuxième édition du projet urbain portait sur « les dessous de Paris », des studios d'enregistrement - dont un destiné à un orchestre symphonique - s'installeront dans les sous-sols.
Pour parvenir à articuler ce programme de quelque 9 000 m² SP, l'espace monumental nécessitait un approfondissement de 6 m du dernier plancher existant, actuellement situé à 5 m en dessous du niveau de la rue. Un choix qui implique pour les équipes de Legendre Ile-de-France de mener des réhabilitations lourdes et des reprises en sous-œuvre proches du génie civil, qui vont durer jusqu'au début du printemps.
Une rampe vers le souterrain
Le curage et la désobstruction des façades ont permis de retrouver l'imposante structure poteaux-poutres. Dès lors, les équipes devaient accéder aux entrailles de l'édifice sans mettre en péril sa stabilité. Pour y parvenir, elles ont créé en octobre 2023 une rampe dans le prolongement de la nef centrale pour permettre le ballet des tractopelles, qui auront excavé environ 10 000 m3 de terre au total. Dans le même temps, les étages ont été contre-ventés provisoirement, et une grue, indispensable pour réaliser les travaux, a été installée en toiture.
Ces travaux préparatoires réalisés, la reprise en sous-œuvre pouvait commencer. Elle impliquait l'approfondissement des voiles périmétriques au moyen de puits blindés et d'entre-puits en béton projeté, ainsi que de voiles par passe sous la façade principale.
Parallèlement, un important défi consistait à reprendre provisoirement les charges de l'édifice, avant de prolonger les poteaux existants jusqu'à plus de 10 m de profondeur. « Les compagnons ont réalisé des semelles en béton armé provisoires en tête et en pied des poteaux existants, entre lesquelles ils ont inséré des structures métalliques verticales.
L'ensemble soutient la superstructure. A partir de là, les poteaux quasi centenaires ont pu être démolis sur 1,40 m de hauteur, entre ces éléments de transfert, pour permettre la construction de poutres de reprise à - 5 m, sur les 50 m de long de l'édifice », explique Eléonore Givry.
Jean-Marie Hellier, chef de groupe chez Legendre IDF, complète : « Pour réaliser ces poutres, nous avons d'abord mis en place des fonds de coffrage, puis des armatures conséquentes et, enfin, les joues de coffrage. Le béton pouvait alors être coulé. » Ce n'est qu'une fois la reprise des charges de la superstructure assurée que les éléments provisoires ont pu être démolis. Restait alors à prolonger les poteaux. « Sous chaque élément, des puits blindés ont été creusés, jusqu'à la création de nouvelles semelles plus basses qui constituent désormais les fondations définitives », poursuit l'architecte. Les nouveaux poteaux pouvaient alors être coulés et liaisonnés en tête à la structure. Chacun a demandé un mois de travail.
Prémurs posés sur ressorts
Ces travaux d'ampleur doivent en outre composer avec une spécificité de taille : le grand studio de 400 m² en sous-sol, qui accueillera les orchestres symphoniques, aura une hauteur de 7 m sous plafond. « Afin de libérer l'espace, nous devions démolir les poutres de reprise précédemment construites à - 5 m ainsi que six des poteaux existants. Pour ce faire, six mégapoutres de 1,80 m de haut et 18 m de portée ont d'abord été coulées sous le plancher du rez-de-chaussée pour reprendre les charges », détaille Jean-Marie Hellier. En périphérie, un contre-voile de 35 à 45 cm d'épaisseur solidarise et reprend les mouvements entre les murs existants, qui descendent à - 5 m, et les nouveaux qui atteignent les - 10 m.
Dans la boîte ainsi construite, des prémurs, posés sur des ressorts pour éviter les vibrations acoustiques ou liées au métro voisin, seront ensuite installés à la grue. Tous ces travaux devaient aussi tenir compte de la présence d'une galerie de passage de câbles haute tension qui dessert l'est parisien, ce qui a complexifié les calculs de descentes de charges.
En plus de ces colossales reprises en sous-œuvre, trois nouveaux noyaux assurent le contreventement de l'édifice. Des planchers intermédiaires en charpente métallique ont aussi été construits dans les étages. Les nouvelles façades vitrées en aluminium habillent déjà une partie de l'édifice, tandis qu'un travail de restauration fera réapparaître la polychromie des matériaux d'origine. En toiture, la verrière qui était jusqu'alors obstruée va être intégralement refaite. Suivront les travaux de second œuvre, qui seront marqués par la réalisation d'un double plancher de verre au rez-de-chaussée, résistant aux bruits solidiens et au feu, et laissant pénétrer la lumière jusque dans les sous-sols. Un MurMure, du nom de ce projet déjà emblématique, résonnera alors depuis les dessous de la capitale dès cet été.

Informations techniques
Maîtrise d'ouvrage : Batipart Europe.
Maîtrise d'œuvre : & Givry (architecte), Calq (maître d'œuvre d'exécution), Groupe de recherche art histoire architecture littérature - Grahal (recherches patrimoniales). BET :EVP (structure), Sémofi (géotechnicien), EOC (façades), Inex (fluides), Elioth (environnement), Lamoureux Acoustics (acoustique), GVI (économiste), Purple Studio (paysagiste).
Entreprise principale : Legendre Ile-de-France.
Surface : 9 077 m² SP.
Certifications et labels : HQE Excellent, Breeam Excellent, Effinergie Rénovation.
Montant global : 60 M€.