Finances locales : le Sénat fourbit ses armes

Baptême du feu, le 24 octobre, pour le tout nouveau président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation : aussitôt après son élection, Bernard Delcros, successeur de nouvelle ministre Françoise Gatel dans cette fonction, a présidé l’audition de trois acteurs clés des finances locales, à un mois de l’examen du projet de loi de finances par la chambre haute.

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De gauche à droite: Eric Woerth, Jean-Léonce Dupont et Boris Ravigon, auditionnés le 24 octobre au Sénat

A la métaphore du millefeuille, Boris Ravignon préfère celle du pudding. « Moins digeste, il suggère le temps de macération », lâche le maire LR et pince sans rire de Charleville-Mézières (Ardennes). De sa mission sur le millefeuille administratif français entamée en décembre 2023 avec Catherine Vautrin à la demande de l’ancien gouvernement, ressort un chiffre clé : la facture annuelle s’élève 7,5 Mds€, susceptibles d’alimenter l’inspiration du législateur au moment du vote du projet de loi de finances.

Lourde facture normative

Sans surprise, l’inflation de normes figure en bonne place dans son analyse. L’élu évalue leur impact annuel à 2 et 3 Mds€/an. Une part de la responsabilité en revient aux sénateurs auquel il s’adresse, ce 24 octobre devant la délégation aux collectivités territoriales de la chambre haute : « L’application de textes législatifs contribue à 98 % de ces coûts », révèle Boris Ravignon, avant d’inviter les parlementaires à la sobriété.

Mais le cœur du pudding se trouve dans les redondances et les chevauchements de responsabilité. « Des hauts fonctionnaires d’Etat perdent trop de temps à discuter avec d’autres agents de catégorie A chargés de la santé dans les départements, ou de l’urbanisme dans les villes », dénonce le maire de Charleville-Mézières. Son inventaire des surcoûts et du temps perdu se poursuit dans l’analyse des financements croisés.

Interco bashing

Ce thème trouve un écho facile au Sénat, dont plusieurs membres se saisissent de l’occasion pour alimenter l’intercommunalité bashing : « On nous a vendu une strate indispensable aux économies d’échelles. Depuis le Gard, j’en doute. Heureusement que l’eau y échappe », lâche Laurent Burgoa (LR). « Les intercommunalités recrutent à tour de bras », s’offusque Rémy Pointereau (LR), premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Autre thème du rapport Ravignon, la mise en cause des agences de l’Etat trouve un amplificateur chez l’ancien sénateur Jean-Léonce Dupont, invité à la séance du 24 octobre pour présenter la situation financière des départements. « Supprimez l’Agence nationale du sport et l’agence nationale pour la cohésion territoriale : il ne se passera rien. Le vrai sujet, ce n’est pas les finances locales, mais la réforme de l’Etat », tonne le président UDI de la commission des finances locales de l’Assemblée des départements de France.

Plainte contre l’Etat assassin

Dans le projet de loi de finances, le président du Calvados lit « la fin du processus d’assassinat financier des départements ». Le gouvernement entend imposer à ces derniers une contribution de 40 % au fonds d’épargne de 3 Mds€ alimenté par les 450 plus grandes collectivités, alors qu’ils subissent déjà les effets de trois autres facteurs : perte d’autonomie fiscale, boom des dépenses sociales obligatoires et chute des droits de mutation à titre onéreux.

Le critère de taille fait sortir Jean-Léonce Dupont de ses gonds : « Pour les technocrates de Bercy, plus vous êtes gros, plus vous devez payer cher » ! A moins d’exonérer du fonds d’épargne la strate qu’il représente, l’élu normand prédit un effet en cascade sur l’investissement communal et dans les 18 mois, les premiers départements en cessation de paiement. « Le rétablissement de la confiance entre l’Etat et les collectivités, je n’y crois plus. Seul compte le rapport de force », conclut le président.

Ni enfer étatique, ni paradis local

Après l’orage du Calvados, le député ESR de l’Oise et ancien ministre du Budget Eric Woerth tente de ramener la douceur et le sourire : « Faut-il voir l’enfer dans l’Etat et le paradis dans les collectivités ? Pas tout-à-fait », plaide l’auteur du rapport sur la relance de la décentralisation, remis ce printemps au président de la République.

« Par le nombre de strates, nous différons peu du reste de l’Europe, aux intercommunalités près », tempère-t-il. Même cette exception mérite une prise de recul : « Nous nous distinguons par nos 36 000 communes, qui refuseraient catégoriquement toute fusion obligatoire », rappelle le député.

Une loi pour le dialogue

La clé de la solution résulterait d’une clarification des compétences de chacun, préalable à une mise en adéquation entre les ressources et les domaines d’intervention. Ce dernier point justifierait une redistribution de plusieurs impôts nationaux et locaux. Mais pour inverser « la dégradation puissante de la relation entre Etat et collectivités » et mettre fin « au climat détestable d’agressivité », le passage par la case législative lui paraît incontournable.

« La loi organiserait un dialogue d’égal à égal. Elle désancrerait la dotation globale de fonctionnement, fondée aujourd’hui sur des bases obsolètes », espère l’auteur du rapport dont le sous-titre résume l’intention assez éloignée des diatribes de Jean-Léonce Dupont : « Le temps de la confiance ».

En s’éloignant avec Eric Woerth des guerres de position autour du projet de loi de finances, les sénateurs ont pris la mesure des temporalités multiples de leur mission : le budget 2025 ne résoudra pas tout. Mais pour ne pas retomber dans les mêmes impasses l’an prochain, il leur faut s’attaquer sans attendre aux aspects structurels de la crise démocratique.

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