Les Jeux olympiques ont hissé le matériau bois sur un sommet. Première de cordée depuis l'automne 2018, l'équipe France Bois 2024 a fédéré la filière pour cette ascension, racontée dans un livre présenté le 5 avril à Nancy, au forum international Bois Construction (1). Les records jalonnent l'épopée : 29 000 m3 de bois dans 15 ouvrages olympiques et paralympiques ; 15 000 m3 au village des athlètes… « Avec 28 % de bois, les chantiers des JO rejoignent la proportion que connaissent les marchés de la construction scandinave ou canadien », exulte Georges-Henri Florentin, président de France Bois 2024. Un chiffre retient surtout l'attention : les forêts françaises ont contribué à 45 % des bois consommés, alors que 30 % étaient espérés en 2018.
Selon Eric Dibling, dirigeant du bureau d'études alsacien Ingénéco Technologies spécialisé dans l'accompagnement des procédures d'évaluation technique et réglementaire du bâtiment, ce précédent ouvre une brèche : « De nombreux modes opératoires vont entrer dans la famille des techniques courantes de la construction. Les JO ont permis d'offrir de la visibilité - qui continuera bien au-delà de l'événement - aux industriels. » Attention, pourtant, à l'effet d'éblouissement occasionné par la médaille olympique. La France ne sortira pas du jour au lendemain de sa position de lanterne rouge des pays développés. La part du bois dans la construction stagne depuis des décennies à 7 % dans l'Hexagone. Rattachée à la FFB, l'Union des métiers du bois (UMB) doute de la capacité de l'industrie tricolore à répondre au choc d'offre annoncé : « Ni la qualité, ni le prix ne sont au rendez-vous par rapport aux concurrents européens », tranche son président, Thierry Ducros. Il pointe le talon d'Achille qui affecte le bois français : « La capacité des scieurs n'est pas en phase avec les exigences de nos entreprises, ni en qualité, ni en quantité. » En cause : le potentiel de séchage, insuffisant pour répondre à l'augmentation de la demande de bois d'ingénierie.
Aides massives de l'Etat. Ce diagnostic appartiendra-t-il bientôt au passé ? P-DG de l'entreprise alsacienne qui porte son nom et qui a construit le centre aquatique olympique et le Grand Palais éphémère, Frank Mathis veut le croire : « Il y a une volonté des scieurs français », remarque-t-il. Paris 2024 s'ajoute à la RE 2020, dont « la trajectoire de montée en puissance offre l'opportunité aux acteurs de la première transformation de s'inscrire dans cette dynamique », apprécie Dominique Cottineau, délégué général de l'Union des industriels et constructeurs bois et biosourcés (UICB). Le plan France 2030 devrait lui aussi produire des effets positifs. « Il a apporté 2 Mds € depuis la sortie du Covid, dont 500 M€ d'aides publiques, et ce courant devrait se prolonger jusqu'en 2027 », calcule Dominique Weber, président du comité stratégique de la filière bois (CSF Bois), cheville ouvrière du contrat triennal d'octobre 2023. Un optimisme confirmé par l'appel à projets « Industrialisation de produits et systèmes constructifs bois et autres biosourcés » doté de 187 M€, qui a récompensé 59 nouveaux lauréats début mars.
Au-delà de la manne financière, l'accompagnement joue un rôle déterminant dans la montée en compétences des acteurs. A raison d'une trentaine d'entreprises par an, les « accélérateurs bois » mis en place par BPI France rompent l'isolement et forment les dirigeants, avec l'appui de l'Ecole polytechnique. Dominique Weber voit dans cette stratégie une manière de compenser un effet de taille défavorable à la France, où les TPE et les PME dominent l'univers du bois.
Cette dynamique porteuse de l'outil industriel ne résout cependant pas la question de l'amont de la filière. « La France n'a jamais accumulé un tel stock de bois et une telle surface de forêts, alors que le déficit commercial de la filière se chiffre en milliards d'euros » (2), déplore Stéphane Viéban, président du centre technique industriel FCBA et directeur général d'Alliance Forêts Bois, la plus grande coopérative forestière du pays (730 salariés). Les 150 M€ consacrés au renouvellement forestier par France Relance et la promesse présidentielle d'un milliard d'arbres en dix ans, formulée en octobre 2022, peuvent-ils inverser la tendance ? « On nous dit qu'il faut renouveler la forêt. Je réponds qu'il faut la gérer, l'améliorer, utiliser les mécanismes qui facilitent le fonctionnement des écosystèmes », s'insurge Max Bruciamacchie, enseignant-chercheur spécialiste de la gestion forestière à AgroParisTech et président du conseil scientifique du parc naturel régional (PNR) des Vosges du Nord. Navré de voir des subventions financer des coupes destructrices d'écosystèmes, puis l'importation de jeunes pousses qui meurent sur pied, il mesure le bilan : avec un taux d'échec des plantations forestières chiffré à 38 % en 2022, le ministère de l'Agriculture enregistre son pire score depuis 2007. A rebours d'une tradition sylvicole française qui cherche la rapidité et la rentabilité par la sélection génétique des pins sylvestres et des douglas, les PNR des Vosges du Nord et de la Montagne de Reims expérimentent un contre-modèle de plantation de taillis sous futaies, pour « améliorer la résilience sans transformation brutale », selon l'expression de Max Bruciamacchie. Le projet Life Biodiv'Est finance la démarche déployée sur une centaine d'hectares.
Le choc des feuillus. Le débat public sur la gestion forestière accélère une prise de conscience : les bâtisseurs demandent du résineux, alors que les feuillus composent les deux tiers de la ressource nationale. Sur ce sujet, France 2030 prend le taureau par les cornes : avec une dizaine de partenaires soutenus par l'Ademe, le FCBA s'attaque en avril au programme triennal Feuillus Choc. « Des forestiers aux constructeurs, c'est le projet attendu depuis la conclusion des Assises de la forêt et du bois en 2022 », triomphe Stéphane Viéban. Moins spectaculaire mais tout aussi révélatrice de l'effervescence en cours dans le feuillu, la start-up G.Du.Bois joue la carte des tourillons en hêtre fixés sur des surbilles de chêne. Breveté en 2022, le procédé réinterprète, à l'heure de la robotique, les assemblages de charpente conçus à la Renaissance par Philibert Delorme : un système « rapide, sans colle ni vis, particulièrement adapté aux surélévations et aux bâtiments agricoles », décrit Galilé Bernard, cofondateur en 2020 de la coopérative aux côtés de son père Eric, tailleur de pierre et architecte. Tous deux engagent un processus qui commence ce printemps par la normalisation, pour aboutir en décembre 2025 à l'industrialisation dans une usine projetée à Carrières-sous-Poissy, au cœur de la zone d'activités Ligno Vallée en gestation dans les Yvelines. Les jeunes pousses, avenir du bois français.
« Il est temps d'utiliser ce que nous offre la forêt », Sarah Laroussi, directrice du Comité national pour le développement du bois (CNDB)
« Les feuillus composent la grande majorité de la forêt française, alors que le marché s'est concentré jusqu'ici sur les résineux, dominés par l'importation, notamment autrichienne et scandinave.
Au lieu de copier ce modèle, il est temps de répondre à la demande avec ce que nous offre la forêt. Le thème de la souveraineté forestière répond à un défi économique et humain : avec une production qui couvre 60 % de ses besoins, la France dispose d'une forte marge de progrès qui ouvre une perspective à celles et ceux qui cherchent des métiers porteurs de sens. »
Le maquis du bois français
- Codifab : le Comité professionnel de développement des industries françaises de l'ameublement et du bois (4 200 PME/ETI et plus de 15 000 artisans) fait partie des deux initiateurs du projet France Bois 2024, avec l'interprofession France Bois Forêt qui regroupe 24 organisations.
- UMB : l'Union des métiers du bois représente 8 000 entreprises membres de la Fédération française du bâtiment. Elle adhère au Codifab.
- FCBA : Forêt cellulose bois ameublement. Ce centre technique industriel pilote les innovations techniques.
- CSF Bois : l'un des 19 comités stratégiques de filière qui orientent la politique industrielle de la France.
- UICB : Union des industriels et constructeurs bois et biosourcés. Membre du Codifab et de France bois industries entreprises, qui rassemble l'aval de la filière.
- CNDB : le Comité national pour le développement du bois promeut les usages du bois dans la construction auprès de 50 000 maîtres d'œuvre et maîtres d'ouvrage.
(1) « 2024 : le bois sur le podium pour décarboner la construction », Ed. des Halles. (2) 9,5 Mds € en 2022, selon le ministère de l'Agriculture.