L'évolution du statut de l'immeuble se trouve marquée, ces dernières années, par une nouvelle perception guidée non plus par sa seule rentabilité à court terme mais par la recherche de valeur à long terme qui assurera la garantie d'un investissement performant et durable. Cette recherche de valeur conduit immédiatement à positionner l'immeuble, quel que soit son usage, au cœur d'une préoccupation majeure destinée à lutter contre son obsolescence : innover.
Innover donc pour rendre l'immeuble plus durable, mais aussi plus désirable sur le marché auprès des investisseurs ou des futurs occupants concernés. La pérennité et la valeur de l'immeuble suivent donc une même ligne de crête, ce qui implique parfois de sortir du cadre habituel de la norme (élaborée pour le plus grand nombre) pour l'adapter à des situations particulières. e siècle est devenu beaucoup plus sensible aux facteurs climatiques, environnementaux et énergétiques. Poussés de tous côtés par une ambition performancielle, les acteurs de l'immobilier se doivent d'intégrer à leur métier des composantes jusque-là étrangères à leur sphère habituelle d'activité, mais devenues incontournables.
La pression de la norme écoénergétique sur l'immeuble
Bien que vertueuses, les règles environnementales et énergétiques qui régissent la production immobilière sont d'abord ressenties comme des contraintes avant de constituer des opportunités. Plusieurs évolutions récentes peuvent nourrir ce sentiment. Tout d'abord, le gouvernement a détaillé une nouvelle trajectoire de sobriété foncière dite zéro artificialisation nette, dans une instruction interministérielle du 29 juillet 2019 elle-même prise dans le prolongement de la portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, dite loi Elan. Pour économiser l'espace, pour limiter le coût environnemental et énergétique de l'étalement urbain, la nouvelle politique urbanistique et foncière anti-gaspillage va conduire à orienter la production immobilière dans des contextes de plus en plus contraints où les plus agiles et les plus innovants réussiront à sortir leur épingle du jeu. Poussée en cela par l'Union européenne notamment par la directive 2010/31/UE sur la performance énergétique des bâtiments et la relative à l'efficacité énergétique, deux textes récemment modifiés par la directive 2018/844 du 30 mai 2018 dont la transposition est annoncée par le chapitre V du projet de loi Energie Climat, adopté le 11 septembre 2019. La production de l'immeuble est également soumise à des politiques publiques ambitieuses en matière énergétique. La lutte contre le changement climatique impose de faire évoluer les bâtiments vers une production zéro carbone. De nombreux exemples témoignent de cette tendance lourde et irréversible. La politique de rénovation énergétique des bâtiments héritée de la loi du 12 juillet 2010 dite ainsi que ses nombreux textes d'application, dont le relatif aux caractéristiques thermiques et à la performance énergétique des constructions, ont institué de nouvelles normes constructives tenant à la performance et aux caractéristiques environnementales et énergétiques de l'immeuble. Cette composante de l'immeuble, devenue un incontournable comme l'étaient jadis d'autres règles constructives, ne cesse de prendre de l'ampleur. À tel point que depuis la sur la transition énergétique pour une croissance verte a prévu dans les toutes premières dispositions du Code de la construction et de l'habitation une obligation de reporting sur la situation énergétique des immeubles. Ainsi, tous les cinq ans, le gouvernement doit remettre au Parlement un rapport qui détaillera la stratégie nationale à l'échéance 2050 pour mobiliser les investissements en faveur de la maîtrise de l'énergie dans le parc national de bâtiments publics ou privés, à usage résidentiel ou tertiaire (article L. 101-2 dudit Code). Dans ce prolongement, le « décret tertiaire » vient de préciser cette nouvelle trajectoire politique de réduction des consommations d'énergie finale dans les immeubles tertiaires.
C'est ainsi que la loi Elan, introduisant un nouvel article L. 111-10-3 dans le Code de la construction et de l'habitation, énonce une nouvelle obligation de réduction de la consommation d'énergie finale avec un objectif de réduction de 40 % en 2030, 50 % en 2040 et 60 % en 2050. Il est ainsi prévu, pour chacune de ces années, que les bâtiments doivent atteindre : soit un niveau de consommation d'énergie finale réduit, respectivement, de cette proportion par rapport à une consommation énergétique de référence qui ne peut être antérieure à 2010, soit un niveau de consommation d'énergie finale fixé en valeur absolue en fonction de la consommation énergétique des bâtiments nouveaux dans leur catégorie. Le décret d'application du n° 2019-771 du 23 juillet 2019 soumet à cette obligation les bâtiments, parties de bâtiment ou ensembles de bâtiments intégrant des usages tertiaires représentant une surface de plancher supérieur ou égale à 1 000 m² de surface de plancher. Ces textes imposent eux aussi des objectifs ambitieux et contraignants pour les acteurs immobiliers qui n'ont pas encore toutes les clés pour organiser la mise en œuvre concrète du nouveau texte, qui suppose pourtant d'avoir une vision de l'immeuble à 10, 20 et 30 ans, soit bien au-delà de la durée habituelle des baux civils et commerciaux.
Toujours dans la même veine, le futur , visé dans le projet de loi Energie Climat, prévoit d'imposer un procédé de production d'énergies renouvelables ou de végétalisation concourant à la reconquête de la biodiversité. Au rang des principes « garde-fou », on doit rappeler que les évolutions constantes de la législation environnementale notamment impactée par divers textes récents (loi Biodiversité de 2016, réforme de l'évaluation environnementale en 2016, réforme sur l'autorisation environnementale en 2017, la récente portant création de l'Office français de la biodiversité, modifiant les missions des fédérations des chasseurs et renforçant la police de l'environnement sont désormais jalonnées par différents principes importants comme le principe de non-régression énoncé à l'article L. 110-1-II, 9° du code éponyme. Selon ce principe, la protection de l'environnement, assurée par les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'environnement, ne peut faire l'objet que d'une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.
Le Code de l'énergie est également amené à évoluer de façon significative avec le projet Energie et Climat. À titre symbolique, le législateur prévoit d'introduire « l'urgence écologique et climatique » comme principal vecteur de la politique énergétique nationale () ainsi que celle de la neutralité carbone à l'horizon 2050.
Ces illustrations témoignent d'un mouvement irréversible et d'une ambition forte sur les plans énergétiques et environnementaux qui impactent toute la chaîne de production de l'immeuble, depuis l'aménagement foncier jusqu'à son exploitation, sa gestion et sa revente.
Perspectives de l'expérimentation
Pour contrer le mouvement de pression normative, le pari consiste à trouver un nouvel équilibre, une sorte de green deal à la française : doter les acteurs immobiliers de moyens leur permettant d'expérimenter de nouveaux modes normatifs afin d'éviter l'étouffement. Pour répondre à ce qui est parfois ressenti comme une obésité réglementaire freinant les ardeurs de certains esprits créatifs, une parade consisterait à laisser place à un changement de paradigme en promouvant une logique d'objectifs plutôt que de moyens. Sans trahir les intérêts de chaque législation, l'avantage serait aussi de favoriser la sécurité juridique des opérations en offrant aux acteurs intéressés la visibilité d'un horizon juridique plus aisé à anticiper sans moyen imposé. En ce sens, le Sénat dans son rapport d'information « Réduire le poids des normes en aval de leur production : interprétation facilitatrice et pouvoir de dérogation aux normes » (rapport n° 560 en date du 11 juin 2019) pose clairement les éléments du débat. Il rappelle que, dès 2013, dans une instruction sur l'inflation normative, publiée le 26 mars 2013, Alain Lambert et Jean-Claude Boulard avaient proposé de lutter contre « l'intégrisme normatif » par l'interprétation facilitatrice des normes. Ce nouveau concept, qui a provoqué plus de perplexité qu'il n'a finalement apporté de solution à l'échelon de l'administration locale et déconcentrée, a eu néanmoins le mérite de poser le vrai problème : ce n'est pas la norme qui pose difficulté, mais la façon dont on la rédige et dont on l'applique. Dialogue et responsabilisation des acteurs, notamment les autorités publiques, irriguent cette réflexion qui permet de parvenir à la conclusion suivante : la France doit se doter d'une législation simple, économe en mots, qui soit en capacité de fixer des objectifs clairs en laissant le soin aux acteurs de la chaîne immobilière - dans laquelle il faut inclure l'administration (autorités locales, services déconcentrés de l'État, Ministères) - de trouver les meilleurs moyens pour les atteindre. Cette approche d'inspiration anglo-saxonne n'est pas une habitude du législateur français et des ministères, principaux producteurs de normes environnementales et énergétiques internes. Pour autant, la prise de conscience a conduit à lever certains freins au bénéfice de l'innovation, sans qu'il s'agisse d'un domaine qui lui soit réservé.
L'expérimentation vue sous l'angle exclusif de la norme constructive
Les mécanismes de l'article 49 de la loi ESSOC définissent le champ des dispositions constructives sur lesquelles il est possible de déroger, à condition d'apporter une double démonstration : d'une part, que les mesures proposées qualifiées de solutions d'effet équivalent conduisent à atteindre les mêmes résultats que ceux qui seraient constatés avec l'application de la norme de référence et, d'autre part, que les moyens mis en œuvre présentent un caractère innovant d'un point de vue technique ou architectural.
Cette possibilité ne peut être mise en œuvre, en l'état du droit, que dans un champ très limité : celui de la performance et des caractéristiques énergétiques et environnementales des bâtiments tels que régis par les articles et du Code de la construction de l'habitation tenant à la sobriété énergétique et aux caractéristiques thermiques (voir relatif aux conditions d'application de l' visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l'innovation, pris en application de l' visant à faciliter la réalisation de projets de construction et à favoriser l'innovation, dite ordonnance ESSOC 1). Étendre le champ d'application du mécanisme de dérogation sur les plans environnement et énergie serait de nature à faire naître un véritable engouement, mais il est certain qu'à l'heure actuelle le dispositif demeure, sous cet angle, d'un intérêt réduit. Et ce d'autant que son application concrète ne garantit nullement que la dérogation sera accordée in fine. Le Guide d'application de l' et des décrets qui lui sont liés, en date du 25 mars 2019, apporte néanmoins des éléments de compréhension intéressants qui pourront servir de cadre à la version 2 de l'ordonnance attendue prochainement. Elle évoque également la question centrale du contrat, ou plutôt des contrats qu'il y aura lieu de rédiger avec soin et toute l'intelligence pratique requise, pour encadrer la relation des parties en cause dans un projet de demande de dérogation.
L'expérimentation d'un droit à dérogation local élargi
Par relative à l'expérimentation territoriale d'un droit de dérogation reconnu au préfet, c'est un mécanisme différent du précédent qui vient compléter le dispositif. Entendu à titre expérimental, ce droit à dérogation, explicité par une circulaire 6007/SG du Premier ministre en date du 9 avril 2018, permet à l'autorité préfectorale d'accorder une dérogation à un porteur de projet lorsque deux conditions sont justifiées : un motif d'intérêt général et l'existence de circonstances locales.
Ce mécanisme doit également répondre à d'autres objectifs : - avoir pour effet d'alléger les démarches administratives, de réduire les délais de procédure ou de favoriser l'accès aux aides publiques ; - être compatible avec les engagements européens et internationaux de la France ; - ne pas porter atteinte aux intérêts de la défense ou à la sécurité des personnes et des biens, ni une atteinte disproportionnée aux objectifs poursuivis par les dispositions auxquelles il est dérogé.
En l'état, ce dispositif ne dure que deux ans et prendra donc fin au 31 décembre 2019 ; il est, de plus, réservé à certaines régions et départements : Pays de Loire, Bourgogne Franche-Comté, Lot, Bas-Rhin, Haut-Rhin, Creuse… L'approche est ici différente du dispositif de l'article 49 de la loi ESSOC. Il ne s'agit pas d'écarter la norme mais de la remplacer par une autre, adaptée au projet, que les circonstances locales et des considérations d'intérêt général justifient. Ce mouvement présente l'intérêt de décentraliser la production de la norme pour l'adapter aux circonstances locales. Notons d'abord que le champ d'application est ici très large : il suffit que les dispositions concernées soient rattachables à différentes matières : par exemple « environnement, agriculture et forêts » ou « construction, logement et urbanisme », ce qui est suffisamment large. À la date du 20 mars 2019, seuls dix-neuf projets recensés relevant de la matière « environnement, agriculture et forêts » avaient bénéficié de cette dérogation et quatre pour « construction, logement et urbanisme ». Les sénateurs dans leur rapport d'information précité ont déploré une faible application de ce texte et préconisé d'élargir le dispositif à d'autres champs notamment ceux relevant des compétences des collectivités territoriales (p. 17 et suivantes). Si cette expérimentation était élargie et reconduite, cela pourrait constituer une piste intéressante pour la production immobilière.
La principale difficulté porte sur la sécurisation juridique. En effet, lorsqu'une dérogation concerne par exemple une procédure environnementale ou une règle de fond elle-même embarquée dans un processus d'autorisation, ce qui sera souvent le cas, il faut vérifier que la nouvelle norme ne place pas le porteur de projet en défaut au regard des normes de valeur supérieure, et donc dans une situation d'insécurité juridique. Les services de préfectures ne pouvant assumer seules ce rôle compte tenu des investissements requis, parfois très importants, il serait hasardeux de se lancer dans cette voie sans une analyse préalable de ses conséquences au plan juridique et un soin capital apporté à la préparation des dossiers.
La dérogation sectorielle, une voie ouverte dans le domaine de l'immobilier logistique
Par un arrêté ministériel en date du 11 avril 2017 relatif aux prescriptions générales applicables aux entrepôts couverts soumis à la rubrique 1510, y compris lorsqu'ils relèvent également de l'une ou plusieurs des rubriques 1530, 1532, 2662 ou 2663 de la nomenclature des installations classées pour la protection de l'environnement (JO du 16 avril), le gouvernement est venu fixer de nouvelles prescriptions sous une forme nouvelle qui présente une mini-révolution pour la réglementation sur les installations classées (ICPE). Ce texte a d'abord été remarqué par la volonté de simplification de ses rédacteurs : couvrant trois régimes de fonctionnement et plusieurs rubriques de la nomenclature des ICPE : entrepôts de matières combustibles de la rubrique 1510, mais également ceux qui relèvent des rubriques 1530 - papiers/cartons, 1532 - bois, 2662 - polymères et/ou 2663 - pneumatiques ou produits composés d'au moins 50 % de polymères, il est le seul texte intégrateur à ce jour en la matière. Cette réforme s'accompagne également d'un projet de modification de la nomenclature visant à rassembler un maximum d'entrepôts sous le régime de l'autorisation simplifiée ou enregistrement : régime qui, sauf exception, se caractérise par une instruction qui n'exige ni étude d'impact ni enquête publique. Il s'est surtout démarqué par un mécanisme de dérogation propre aux entrepôts. Ainsi le texte prévoit-il la possibilité, pour l'exploitant, de déroger à la majorité des prescriptions qu'il contient, sous réserve de démontrer par des études techniques appropriées, notamment des études d'ingénierie de sécurité incendie, que le projet permet d'atteindre les er de l'arrêté ministériel. En d'autres termes, le pétitionnaire peut demander à déroger aux règles qui s'appliquent en principe aux conditions d'implantation et d'exploitation de l'immeuble, mais sous réserve de respecter plusieurs conditions. En premier lieu, le pétitionnaire qui s'inscrit dans cette voie doit démontrer qu'il atteint les objectifs essentiels du texte, c'est à dire d'assurer la mise en sécurité des personnes présentes à l'intérieur des entrepôts, de protéger l'environnement, d'assurer la maîtrise des effets létaux ou irréversibles sur les tiers, de prévenir les incendies et leur propagation à l'intégralité des bâtiments ou aux bâtiments voisins, et de permettre la sécurité et les bonnes conditions d'intervention des services de secours ». En second lieu, l'autorité préfectorale qui à, avec l'aide de ses services, la charge d'instruire la demande ne pourra le faire qu'en tenant compte de plusieurs considérations qui encadreront la motivation de sa décision : la dérogation est délivrée « au vu des circonstances locales et en fonction des caractéristiques de l'installation et de la sensibilité du milieu ». À cet effet, le pétitionnaire fournit au préfet, en fonction de la nature des aménagements sollicités, soit une étude d'ingénierie incendie spécifique, soit une étude technique précisant les mesures justifiant la protection des intérêts mentionnés à l', et permettant d'assurer, dans le respect des objectifs fixés à er , un niveau de sécurité au moins équivalent à celui résultant des prescriptions du présent arrêté, notamment en matière de risque incendie. Ainsi, grâce à un cadre défini qui suit une logique d'obligations de résultats plutôt qu'une obligation de moyens, l'autorité préfectorale peut déroger aux règles pour des considérations qui ne sont pas propres à l'innovation, mais qui se justifient par la nécessité d'adapter les entrepôts et les plateformes logistiques à l'évolution des technologies et des pratiques de marché.
Il est à noter que cette faculté de dérogation que peut utiliser le pétitionnaire s'accompagne de mesures alternatives aux prescriptions générales : ces mesures constituent, en quelque sorte, des droits à dérogation ciblés sur certaines composantes de l'entrepôt. Ils concernent principalement le dépassement de la règle de hauteur des cellules stockage de 23 mètres ou le franchissement du seuil de 12 000 m² pour la surface des cellules. Il s'agit des mesures phares de ce texte.
Dans ces cas de figure, la pétitionnaire doit apporter la démonstration, par des mesures d'effet équivalent relatives au niveau de sécurité de l'entrepôt ou de la plateforme logistique, qu'il parvient au même niveau de maîtrise des risques sur le site qu'en appliquant les prescriptions générales.
Cette approche nouvelle, appelle cependant deux séries d'observations. D'une part, Il existe une différence fondamentale avec le système limité d'expérimentation issue de l'article 49 de la loi ESSOC, le régime de police administrative découlant de la législation sur les ICPE impose un contrôle permanent des installations tout au long de leur vie par les services d'inspection des DREAL (ou de la DRIEE en Île-de-France), ce qui peut conduire le préfet à faire évoluer les prescriptions applicables à l'immeuble ou plutôt, en pratique, à ses conditions d'exploitation une fois l'immeuble construit. Cela conduit donc à un contrôle dynamique des immeubles logistiques et des activités qu'ils renferment qui ne s'arrête pas aux mesures constructives. Cela vient donc contrebalancer la dérogation et, d'une certaine façons, d'en limiter les effets dans le temps. D'autre part, ce qui n'est pas dénué de lien avec la première observation, on constate récemment une tentative de retour en arrière de l'Administration sur des droits qui semblaient acquis par les pétitionnaires. Ainsi, dans un projet de modification de l'arrêté précité en cours de concertation entre le ministère et les professionnels du secteur, le texte pré-er juillet 2020 de solliciter une dérogation sur le niveau de résistance au feu exigé pour les structures porteuses de l'immeuble (règle R15 visée à l'article 4 de l'Annexe II concernant les dispositions constructives). Cette perte de liberté témoigne de la difficulté à mettre en œuvre et à organiser le droit à dérogation ; celui-ci implique non seulement un travail d'instruction poussé des autorités administratives, mais également une prise de responsabilité de ces dernières qui peut freiner les possibilités réelles de dérogations. Face à de telles réticences, on notera que ce texte, s'il venait à être publié en cet état, conduirait à condamner une technique largement répandue en Europe et donc à rendre le territoire français moins compétitif vis-à-vis des autres pays les plus concernés par les axes de développement logistiques.
L'expérimentation par la voie contractuelle : une pratique sous-exploitée
Lancés par le gouvernement en 2018, les contrats de transition écologiques (CTE) consistent, pour l'État, à organiser un accompagnement des territoires en vue 1 . Bien que n'étant pas directement réservés à l'encadrement d'expérimentation, ils peuvent en constituer le relais à l'échelle du territoire et peuvent être mobilisés par les acteurs de l'économie mixte et les acteurs privés qui peuvent également y voir un atout pour leurs projets. Présentés comme une « démarche innovante pour accompagner et soutenir la transformation écologique des territoires », ils visent une « co-construction avec les territoires d'une transition écologique génératrice d'activités économiques et d'opportunités sociales. Les projets sont concrets, au service du quotidien des habitants et des salariés, en participant à l'évolution des collectivités locales, des associations et des entreprises ».
Les CTE sont avant tout une mise à disposition de moyens matériels (ingénierie, ressources administratives, etc.) et financiers pour permettre aux territoires de suivre les engagements pris par la France à travers l'Accord de Paris de 2015 sur le Climat et les politiques de l'Union européenne 2 . Ils comptent parmi les relais utiles de la mise en œuvre des Plans climat-air-énergie territorial (PCAET). Dans une note de « doctrine d'élaboration » non publiée 3 , l'adaptation de la réglementation fait clairement l'objet d'une attention particulière : cette note indique que « les CTE seront des laboratoires de la mise en œuvre de ces mesures de simplification, grâce à l'accompagnement réglementaire que mettront en place les services de l'État ». Elle précise que « lorsque la lettre de la réglementation s'avérera être un obstacle à la mise en œuvre de projets qui en respectent l'esprit et les objectifs poursuivis, générant au minimum des délais importants d'étude et de procédure, les préfets pourraient à titre expérimental être habilité à déroger pour les projets figurant au contrat ».
Après une première phase d'expérimentation en 2018 sur les 19 territoires-pilotes en métropole et en outremer, dans lesquels plus de 400 actions ont été menées pour un volume financier de 650 millions d'euros, le gouvernement a décidé d'étendre la démarche des contrats de transition écologique : 61 nouveaux territoires se sont engagés dans la démarche à partir de juillet 2019. Les domaines concernés sont aussi diversifiés que : la préservation et la reconquête de la biodiversité, l'efficacité énergétique, le développement de la production d'énergie à base de sources renouvelables, etc. Par exemple, le territoire Grand Paris Sud prévoit dans son CTE passé avec l'État, le premier en Île-de-France, de promouvoir le développement des réseaux de chaleur et leur conversion aux énergies renouvelables et de récupération, le soutien aux acteurs économiques du territoire (structuration et animation du cluster « Innovation logistique » et du club des éco-activités), la reconquête d'un vaste espace naturel de 137 hectares (le Cirque de l'Essonne), ou l'implication de tous les acteurs du territoire à travers la plateforme numérique de concertation permettant de co-construire les politiques publiques ou des opérations telle que « Familles à Énergie positive » 4 . Les CTE méritent donc une attention particulière des porteurs de projets qui pourraient s'en saisir pour expérimenter de nouveaux modes constructifs ou d'exploitations compatibles avec l'aide des territoires signataires (la liste étant disponible sur le site du ministère). D'une façon différente, le projet de loi Energie Climat (article 4 bis A du projet instituant une section V au chapitre IV, Titre Ier du Livre III du Code de l'énergie) institue un nouvel outil qui autorisera « l'autorité administrative à recourir à un appel à projets de promotion de l'innovation pour désigner les producteurs d'installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables innovantes ou des projets de production de biogaz qui utilisent des technologies innovantes. » (futurs articles et s. et et suivants du Code de l'énergie) : le contrat d'expérimentation.
D'autres dispositifs de dérogation sont annoncés, tels que la dérogation possible aux prescriptions des plans de prévention des risques technologiques pour permettre l'implantation d'installations de production d'énergie renouvelable, dans le projet de loi Energie Climat (article 4 ter). Mais si les outils ont tendance à se développer, on peut constater que leur mise en œuvre suscite des craintes qui peuvent freiner leur usage. D'une part, le pari de l'investissement : se lancer dans un projet expérimental sans avoir la certitude que le porteur de projet in fine pourra le mettre en œuvre en cas de refus de l'autorité administrative, qui peut craindre par ailleurs d'engager sa responsabilité, va limiter son intérêt pratique. C'est d'autre part, et surtout, la sécurité juridique d'un projet autorisé sous couvert d'une dérogation réglementaire : en cas de recours des tiers sur le projet, on pourrait réfléchir à la mise en place d'un mécanisme ou d'un outil de vérification ou de validation préalable de compatibilité par rapports aux objectifs de la norme de valeur supérieure (conventions internationales, droit de l'Union européenne, objectifs de la loi, etc. ), voire pourquoi pas, dans certains cas, envisager une saisine pour avis de la juridiction administrative sur la légalité du dispositif selon une procédure ad hoc.
On terminera enfin par souligner un élément essentiel de l'expérimentation : les contrats et protocoles contractuels de mise en œuvre entre les parties prenantes (maîtres d'ouvrage, investisseurs, prestataires, entreprises de travaux, etc. ) devront anticiper toutes les situations pour permettre de faire face aux difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de l'expérimentation, et ce d'autant que le droit est voué à subir de fortes évolutions dans les prochains mois et les prochaines années. Le contrat demeurera l'allier des différents acteurs qui sauront exploiter les dispositifs textuels autorisant l'expérimentation à condition de bien s'y prendre, c'est-à-dire de savoir les articuler correctement avec les mécanismes réglementaires.
1 Pour plus d'informations, voir : www.ecologique-solidaire.gouv.fr/ contrat-transition-ecologique 2 Pour plus de détails, voir : instruction du gouvernement en date du 16 octobre 2019 relative aux contrats de transition écologique (publié sur le site internet : circulaire.legifrance.gouv.fr en date du 22 octobre 2019).
3 Disponible sur : www.actu-environnement.com/media/pdf/news30322-cte-note-ministere.pdf.
4 Source : www.grandparissud.fr/actualites/contrats-de-transition-ecologique.