Évaluation de la politique d’innovation routière

Rapport du Ministère de l'’Equipement - par Michel RAY, directeur scientifique et technique d’EGISet Denis FOUGEA, ingénieur des ponts et chaussées

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Sommaire

RÉSUMÉ DU RAPPORT 5

Tableau synthétique : « importance / urgence / cibles » des principales recommandations10

A. INTRODUCTION 11

A.1. Historique et motifs de l’évaluation 11

A.2. Lettre de mission et instance d’évaluation 11

A.3. Méthodologie, champ de l’évaluation et déroulement de la mission 12

A.4. Structure du rapport et mode d’utilisation 13

B. L’INNOVATION ROUTIÈRE : UN CONTEXTE ASSEZ SPÉCIFIQUE ET EN MUTATION PROFONDE 13

B.1. Les spécificités du domaine routier 13

B.2. Les étapes de l’innovation routière et les procédures de soutien a l’innovation14

B.3. Les grandes évolutions dimensionnantes 17

C. LE CONSTAT SUR L’INNOVATION ROUTIÈRE EN FRANCE : DES FORCES HISTORIQUES IMPORTANTES, UNE CERTAINE FRAGILISATION, DES DÉFIS A RELEVER ENSEMBLE 17

C.1 Les forces et les inquiétudes actuelles 17

a. Les forces 17

b. Les inquiétudes actuelles 18

C.2. Éléments de réponse aux questions spécifiques de la lettre de mission 18

a. L’efficacité de la politique routière du Ministère 18

b. Les bénéficiaires de la politique 19

c. Coûts et retombées de la politique 20

d. Appréciations sur l’efficacité des procédures 22

C.3. Des faiblesses identifiées au cours de l’évaluation 26

a. Une plus grande ouverture améliorerait les procédures et aiderait les acteurs de l’innovation26

b. L’émergence de nouveaux maîtres d’ouvrage acteurs de l’innovation 28

c. La remontée, l’évaluation et la priorisation des besoins d’innovation gagneraient à être structurées pour fonder une démarche d’innovation plus efficiente 28

d. Les difficultés liées au code des marchés publics 29

e. Plusieurs labels reconnus mais dispersés 30

f. De fortes compétences techniques insuffisamment valorisées 31

g. Le rôle essentiel du réseau scientifique et technique 32

h. Le discernement du « bon niveau géographique de pertinence » par sujet : comment accélérer les prises de conscience des justes subsidiarités et aider les différents acteurs innovants à s’adapter ?32

D. LES RECOMMANDATIONS 33

D.1. Partenariat pour l’innovation avec les autres maîtres d’ouvrage 33

D.2. Une ouverture plus grande a l’Europe, aux PME, à la recherche des autres secteurs et aux agences intersectorielles de financement de l’innovation, est nécessaire compte tenu des enjeux 35

D.3 La re-dynamisation de l’innovation par la demande 36

D.4. Un sigle commun plus lisible 37

D.5. Le développement de la performance de la valorisation 40

D.6. Tirer parti du nouveau code des marchés publics 40

D.7. Recréer des lieux d’innovation 42

D.8. Les « scanning tours » 43

D.9. Mieux définir un cadre vraiment propice au développement d’innovations par les entreprises 43

D.10. Communiquer sur l’innovation 45

E. CONCLUSION 46

Évaluation de la politique d’innovation routière du Ministère

Rapport initial : 25 septembre 2003actualisé le 8 septembre 2004

Instance d’évaluation : président Michel RAY, rapporteur Denis FOUGEA

Résumé du rapport

Les retombées de l’innovation se retrouvent dans la compétence globale de toute la profession routière française. Outil d’amélioration de la compétitivité du secteur des travaux publics, l’innovation est donc porteuse d’emplois, d’économies de réalisation et de qualité pour les citoyens.

Une forte tradition d’innovation

Les bétons bitumineux très minces, les ponts à voussoirs préfabriqués, la terre armée et les murs en sols renforcés, les enrobés drainants, les bétons à hautes performances, les câbles de précontrainte extérieurs, les couches de forme traitées optimisées, le point à temps automatique, le télépéage, les renforcements coordonnés des routes nationales illustrent, parmi d’autres, l’innovation routière en France. Résultat : Économie dans l’exécution pour les maîtres d’ouvrage de plusieurs milliards d’euros, avantage compétitif pour les entreprises grâce au progrès technique. Les autoroutes et les routes à fort trafic ont été les premières cibles de l’innovation, les autres routes en profitant indirectement et en différé, selon des processus qui s’étalent sur 5 à 10 ans.

A l’origine, vers les années 60, des ingénieurs de l’administration et des entreprises s’étaient réunis avec un véritable esprit de partenariat pour développer les moyens de recherche et coordonner leurs prolongements techniques innovants. L’efficacité venait de la forte coordination entre un maître d’ouvrage quasiment unique (la direction des Routes), dominant aussi la maîtrise d’œuvre, et des entreprises en expansion. Puis le noyau initial de pilotage de l’innovation a essaimé, s’est élargi pour aboutir à des procédures d’innovation spécifiques gérées par le Ministère. L’initiative a été dès lors mieux partagée entre les acteurs de la construction routière et autoroutière. Ces procédures se sont progressivement adaptées à différents types d’innovation et se sont spécialisées par métiers. Les « chartes d’innovation » entre la direction des Routes et divers partenaires ont permis d’initier des techniques nouvelles, parfois très novatrices, dont certaines ont connu une diffusion internationale.

Les directions des Routes étrangères portent un regard extérieur et indépendant sur le bilan de la politique française d’innovation routière : leurs avis, en général positifs à très positifs, soulignent le caractère décisif de l’impulsion de la direction des Routes française, appuyée sur son réseau technique et scientifique. Certains pays apprécient particulièrement le Réseau Génie Civil et Urbain (RGCU) français pour ses développements d’innovation partenariaux en réseau ; d’autres pays ont repris les avis techniques du SETRA…

Le coût direct de cet effort de soutien à l’innovation pour le ministère de l’Équipement vient essentiellement de la mobilisation de son réseau technique sur les procédures. Il est estimé à 7 ME par an (frais de personnel inclus). Le coût total du développement de l’innovation est plus important (quelques dizaines de millions d’E par an), car l’innovation résulte aussi de la conjugaison des efforts d’autres acteurs publics et privés.

A qui profite l’innovation ?

La difficulté de protection durable par des brevets en matière de travaux publics fait que les premiers bénéficiaires de l’innovation routière ne sont pas les entreprises, mais les maîtres d’ouvrage, par l’amélioration forte et progressive de la qualité technique, qui se répercute sur le coût de réalisation, la facilité d’entretien, la durabilité des infrastructures. Ainsi, pour ne prendre que deux exemples d’innovation, les revêtements en couches minces font gagner de l’ordre de 40 % du coût d’entretien des chaussées (environ 60 ME par an pour le seul réseau national), le renforcement de ponts par précontrainte extérieure a évité la reconstruction d’une soixantaine de grands ouvrages en 20 ans (économie supérieure à 100 ME). Une importante étude internationale indépendante sur les prix de construction d’autoroutes de sept pays industrialisés avait conclu que les coûts français moyens étaient de 30 % inférieurs au meilleur des autres pays. L’innovation accumulée et la qualité de la concurrence sont deux facteurs clés de cette performance. Les collectivités publiques (maîtres d’ouvrage) en retirent donc un avantage direct et durable (de l’ordre de 3 à 7 milliards d’E sur 10 ans).

Les usagers ont gagné en sécurité et en confort : meilleur uni des chaussées, adhérence plus grande (réduction des accidents), diminution du bruit, signalisation mieux lisible… Les usagers obtiennent un avantage (monétairement) indirect.

Les entreprises ont acquis un savoir-faire et une notoriété qui les a aidées à l’étranger : les grandes entreprises à l’export (Colas, Eurovia), les grands ingénieristes, quelques entreprises très spécialisées (Freyssinet, Solétanche-Bachy), même des entreprises plus modestes (Matière) ont su très bien valoriser leurs innovations à l’international. Les entreprises peuvent exploiter cet avantage.

Un essoufflement et une fragilisation actuelle

Depuis quelques années, cet essor a perdu de son dynamisme. L’avance de la technique routière française s’effrite. Les entreprises de travaux publics se sont concentrées et le foisonnement innovateur a significativement diminué.

La longueur du réseau routier national va se réduire du fait de la décentralisation, ce qui diminuera le champ direct d’action et d’expérimentation de la direction des Routes. Or les autres maîtres d’ouvrage n’ont pas encore pris le relais (collectivités territoriales) ou l’ont pris de manière partielle (sociétés concessionnaires d’autoroute) sans l’ambition de la direction des Routes.

Les procédures de soutien à l’innovation sont en fait trop spécialisées et trop dispersées (16 procédures différentes) et n’ont pas vraiment gagné une renommée ou une reconnaissance en dehors du cercle des initiés. Orientées chacune sur un seul domaine, elles ont du mal à s’élargir à des champs connexes (innovation transversale) ou à des approches différentes, et à intégrer des exigences de long terme liées par exemple à la prise en compte globale de l’environnement.

Les chartes d’innovation, procédures parmi les plus efficientes, ont subi un coup d’arrêt soudain en 2001 : les pratiques d’attribution des marchés pour réaliser des chantiers expérimentaux ont été récusées par le ministère des Finances, ce qui a bloqué l’ensemble du processus : en effet les chantiers expérimentaux constituent une étape décisive et incontournable de validation de l’innovation routière. Par ailleurs, les gels budgétaires ont considérablement réduit les possibilités d’action du RGCU.

On constate que la plupart des procédures durables, et a fortiori la politique de soutien à l’innovation routière, ont progressivement construit un capital de confiance de l’ensemble des acteurs concernés. Les difficultés actuelles (contractuelles, budgétaires, etc.) mettent en péril ce capital, sans que cela soit encore trop visible, mais cette fragilisation n’en est pas moins importante.

Un essai de diagnostic comparatif

Les éléments recueillis au cours des interviews et des analyses conduisent à penser qu’il existe un risque de décrochement à moyen terme de l’innovation routière française, par rapport à la situation antérieure, si un ensemble cohérent de mesures n’est pas pris, de manière concertée, par les grands acteurs concernés, dont bien évidemment le Ministère. Ce rapport rassemble des propositions en ce sens.

La démarche intersectorielle, internationale et inter-acteurs de l’évaluation permet de donner quelques éléments comparatifs pour mieux préciser le diagnostic :

• On retrouve des problèmes communs à l’innovation dans tous les secteurs en France (ex : poids croissant du juridisme, restrictions budgétaires pour l’innovation tant publique que privée), mais il existe aussi des facteurs spécifiques au BTP (ex : moindre attirance de ces métiers pour les jeunes) et au secteur routier en particulier (ex : impression fausse d’avoir « tout déjà construit », alors que les enjeux entretien / réhabilitation / reconstruction / exploitation restent très importants ; arrêt des chartes innovation ; insuffisante expression de la demande d’innovation ; raréfaction des « lieux » d’innovation ; impact pour l’instant mitigé de la décentralisation routière passée sur la dynamique de l’innovation).

• Si l’innovation routière française garde une image forte à l’international, plusieurs pays développent des politiques d’innovation routière très dynamiques sur certains aspects : soit par des « champs d’innovation » plus larges (Royaume-Uni), soit avec des dynamiques multi-acteurs intéressantes (Pays-Bas, Suède), soit avec des cofinancements multiples de recherche, soit en développant une dimension de valorisation nationale et internationale performante (ancien et nouveau SHRP américain).

• L’initiative du choix du moment et du sujet de cette évaluation semble judicieuse au regard des enjeux : le Ministère a fait dans le passé un travail considérable, appuyé sur son réseau technique, pour l’innovation routière en sa qualité de maître d’ouvrage et de pilote de la politique technique. Actuellement, l’interne comme l’externe considère que cet engagement pour l’innovation a baissé. C’est pourquoi une initiative de redynamisation est souhaitée par de nombreux acteurs. L’attente des entreprises est manifeste à cet égard.

Ce qui vient d’être mentionné n’exclut pas de reconnaître certaines innovations récentes et de qualité, mais il est important de pouvoir porter, en réponse à la demande formulée par la lettre de mission, un diagnostic plus global, et surtout en intégrant les enjeux du futur (décentralisation, Europe, compétitivité, contraintes budgétaires croissantes pour l’entretien).

La spécificité de l’innovation routière

Les ouvrages routiers sont construits pour une longue durée (100 ans) ; les opérations d’entretien sont prévues pour tenir plus d’une dizaine d’années (par exemple le renouvellement des couches de chaussée). C’est dire que la durabilité est une composante essentielle de la construction routière, mais un facteur qu’il est délicat, voire impossible d’apprécier au moment de la construction. Ainsi, malgré les progrès des essais accélérés, le jugement des offres des entreprises ne peut que difficilement tenir compte de ce critère essentiel au moment du choix d’un produit innovant.

Seule l’expérience d’un ouvrage réel sous trafic réel permet de valider une innovation sur la qualité et sur la durée. Les chantiers expérimentaux constituent donc une étape incontournable du processus d’innovation. D’autant plus que la mise en œuvre est aussi un élément majeur, qui ne peut se mesurer que sur le chantier. Le suivi d’une innovation à partir d’un chantier constitue donc le seul élément probant pour en mesurer l’intérêt réel. Une planche d’essai, un test de laboratoire ne sont pas suffisants.

Une autre particularité déjà signalée tient au rôle des maîtres d’ouvrage. Principaux bénéficiaires de l’innovation, c’est aussi à eux de la promouvoir. Une innovation doit s’amortir sur peu de réalisations ; l’entreprise, même importante, peut difficilement en supporter seule le poids. C’est ce qui explique la nécessité de l’aide d’un maître d’ouvrage. L’analyse de l’innovation routière à l’étranger confirme qu’elle ne peut se développer sans un dispositif d’incitation de la part des maîtres d’ouvrage.

Contrairement à l’industrie, la profession routière ne fournit pas des « produits » répétitifs, mais des ouvrages dotés chacun de particularités locales fortes. Un ouvrage d’importance est rarement reproductible. Leur nombre est réduit à quelques-uns par an en France (40 ponts routiers importants en moyenne annuelle). Le droit à l’erreur est d’autant plus limité que le maître d’ouvrage en réalise peu (un grand ouvrage par « mandat » de 5 ans). Plus les maîtres d’ouvrage sont dispersés, plus augmente leur réticence à prendre des risques sans une validation préalable par une expertise indépendante (qui est apportée par le réseau technique du ministère de l’Équipement).

Le rôle majeur de la direction des Routes tenait aussi à sa situation d’être le seul maître d’ouvrage en mesure de prendre le risque de l’innovation. Sa légitimité à promouvoir l’innovation routière est confirmée par la décentralisation. Perdant la gestion d’une partie du réseau routier, elle conforte au contraire son rôle de pilote de la politique routière nationale : la dispersion des maîtres d’ouvrage (collectivités territoriales, sociétés concessionnaires d’autoroute) ne permet à aucun d’avoir la connaissance générale ni les moyens d’action sur un ensemble suffisant pour promouvoir une politique technique globale, ni de disposer d’un réseau technique polyvalent. Or, le rôle du réseau technique est reconnu comme un point d’appui important pour l’innovation : c’est lui qui évalue, mais surtout qui suit et valide un dispositif nouveau. Son existence et son indépendance sont nécessaires à une politique de soutien à l’innovation.

Malgré son utilité économique, surtout sensible sur le moyen et long terme, l’innovation routière est en baisse en France. Il revient à la direction des Routes de relancer cette politique. Mais il convient aussi d’en corriger au préalable les faiblesses.

Des faiblesses

Les dispositifs sont trop fermés :

L’orientation des procédures vers la technologie des ouvrages ne facilite pas les progrès possibles en matière d’organisation, de prise en compte de l’environnement, d’intégration de procédés issus d’autres disciplines ou d’autres savoir-faire. Une plus grande ouverture du champ des innovations ciblées et soutenues apparaît comme une nécessité forte. Au Royaume-Uni, la direction des Routes a une conception plus ouverte des innovations à soutenir, qui apparaît très intéressante.

Les procédures sont mal adaptées à l’innovation de rupture que provoquerait une approche complètement nouvelle par un « entrant » extérieur au milieu routier. Ainsi, l’innovation par les PME semble un parent pauvre du champ de l’innovation promue par les procédures en place.

La dimension européenne ne semble pas suffisamment prise en compte, si l’on en juge par le faible succès des propositions d’origine française retenues dans les récents programmes européens de soutien à l’innovation, qu’il s’agisse de routes ou de génie civil. De la même façon, la valorisation européenne des innovations routières françaises existantes ainsi que des grands équipements d’essai et de certaines procédures efficaces de soutien à l’innovation nécessiterait un effort nettement plus important. L’ouverture intersectorielle et aux autres organismes de recherche (CNRS, Université…) est aussi insuffisante. Même en France, le domaine routier n’utilise pas tous les dispositifs disponibles (par exemple l’ANVAR).

Le réseau technique du Ministère a un rôle important dans les procédures et sélectionne les innovations ; sa forte présence pourrait comporter le risque d’un fonctionnement « en vase clos », favorisant de multiples perfectionnements mineurs sur un même champ au détriment, le cas échéant, des innovations vraiment nouvelles sur un champ inexploré.

L’aspect économique n’est pas assez pris en compte :

L’aspect technique est privilégié par rapport à l’intérêt économique. L’évaluation du marché d’une innovation est ainsi rarement effectuée. Les procédures ne prévoient pas toujours la valorisation des innovations, certaines en laissent le soin au bénéficiaire (entreprise ou maître d’œuvre). D’autres se contentent au contraire de valoriser sans apporter d’autre aide (IVOR). Il manque une approche complète de l’innovation incluant tout le processus, de l’idée nouvelle à la mise sur le marché du nouveau procédé. L’expérience américaine, ancienne ou toute récente, de la valorisation peut aider à progresser concrètement. Une accélération des procédures serait aussi bienvenue, qui marquerait chez les techniciens le souci de la valeur économique du temps pour les entreprises.

Le terreau de l’innovation s’est affaibli

Les ingénieurs de l’administration, très occupés par les questions d’organisation et la gestion managériale, se sont moins intéressés à la technique depuis plusieurs années. Ceux du terrain ont perdu dans ce domaine ; la relation efficace qui liait les spécialistes du réseau technique et les réalisateurs de chantiers s’est quelque peu estompée.

Les entreprises, en se concentrant, ont aussi concentré leurs moyens de recherche et privilégient les retours les plus rapides en termes financiers, ce qui n’est pas forcément favorable à faire progresser l’ensemble de la profession, ni à produire des économies durables pour les maîtres d’ouvrage.

Des recommandations en termes d’orientations

Les besoins d’innovation routière restent forts ; même si leurs objectifs ont évolué, il est proposé de relancer la politique d’innovation routière en aménageant les procédures et leur environnement selon les principes ci-après. Une politique efficace de soutien à l’innovation routière peut être particulièrement rentable puisqu’elle a un double effet de levier : elle aide directement les acteurs de la recherche et de l’innovation à se mobiliser pour les objectifs les plus utiles (effet de levier de 3 à 10) et les bonnes innovations qui en résultent, à leur tour génèrent des économies dans les projets d’infrastructures (effet de levier de 5 à parfois plus de 100).

1. Associer tous les maîtres d’ouvrage routiers

Puisque les maîtres d’ouvrage sont les premiers bénéficiaires de l’innovation, la direction des Routes peut chercher à mobiliser l’ensemble des maîtres d’ouvrage routiers, plutôt qu’à prendre seule en charge l’effort d’innovation.

Anticiper les effets de la décentralisation routière en cours : organiser le relais de la direction des Routes vers les collectivités territoriales en les associant à la définition de la demande, aux procédures et à la bonne utilisation finale des innovations sur les chantiers. Cet effort doit porter à la fois au niveau politique (Présidents de Conseils généraux, Maires, Présidents de Communautés d’agglomérations) et au niveau des cadres techniques de ces collectivités.

2. Une plus grande ouverture du processus d’innovation et des mesures de soutien à l’ensemble des acteurs.

Rendre le soutien à l’innovation mieux accessible aux bureaux d’études et aux PME. Faire appel aux industriels hors du champ routier (exemple : l’expérience des industries du nucléaire en matière de durabilité) et démultiplier les actions du Ministère par des accords avec d’autres agences (ANVAR). Élargir les procédures au niveau européen (sous réserve de réciprocité). Le développement du rôle de certification au niveau européen du CSTB, avec notamment la procédure ATEX pour les produits innovants, donne un exemple.

Une enquête auprès des directeurs des Routes d’Europe de l’ouest a fourni de multiples informations qui montrent que des actions communes ciblées pourraient être lancées dans ce cadre.

3. Redynamiser l’innovation par la demande

L’identification des besoins prioritaires en innovation peut dynamiser le dispositif de soutien en permettant un meilleur rendement de l’innovation : « comment faire mieux avec la même enveloppe ». Sans abandonner les offres d’innovation spontanées des entrepreneurs ou concepteurs, une définition de la demande d’innovation devrait intégrer une vision prospective du service à rendre aux clients de la route et mieux tenir compte des besoins opérationnels. C’est aussi une nécessité pour associer l’ensemble de la communauté routière et la mobiliser sur des priorités élaborées en commun.

4. Créer un sigle commun

La multiplicité des procédures nuit à leur lisibilité. Un sigle commun permettrait à tous les partenaires, comme aux donneurs d’ordre étrangers, d’identifier une innovation validée ou en cours de validation en France. Ce sigle pourrait contenir plusieurs degrés correspondant aux phases successives de l’innovation (sélection, planche d’essai, chantier expérimental, suivi concluant, validation).

5. Intégrer la valorisation

Prévoir la valorisation économique au démarrage de chaque projet d’innovation et en faire un suivi tout au long de la vie du projet : la pratique de la valorisation doit être professionnalisée (c’est une grande leçon de l’étude des soutiens à l’innovation à l’étranger).

Des recommandations en termes d’organisation et de moyens

Les recommandations suivantes sont destinées à mettre en œuvre les orientations précédentes ou à améliorer des pratiques actuelles pertinentes.

1. Tirer parti du nouveau code des marchés

Les procédures d’innovation actuelles se heurtent au code des marchés publics pour la réalisation des chantiers expérimentaux. Il convient d’utiliser des procédures respectueuses des objectifs de transparence et de concurrence : ceci implique de décider en amont du marché la possibilité du chantier expérimental.

Le nouveau code des marchés publics a ajouté l’innovation parmi les critères de choix d’une entreprise à la suite d’un appel d’offres, mais ne semble pas offrir de solution pratique correspondant aux chantiers expérimentaux. Néanmoins, le bon usage des seuils et l’analyse précise de la meilleure procédure, apte à répondre à chaque type d’innovation et de maître d’ouvrage, permettront d’attribuer des marchés aux entreprises pour innover.

2. Régénérer ou recréer les « lieux d’innovation » et les structures de soutien à l’innovation

Recenser les compétences existantes (les experts reconnus ou potentiels) pour susciter des creusets d’innovation et « cartographier », domaine par domaine au sein du secteur routier, les besoins et les potentialités de réponse en matière d’innovation, en associant étroitement les acteurs du domaine. Augmenter la collégialité des lieux de synergie existants pour maintenir leur efficacité. Poursuivre l’effort d’ouverture à d’autres maîtres d’ouvrage du Comité français des techniques de la route, en développant la qualité d’écoute et en élargissant son champ d’action à tout le domaine de la route (hors ouvrages d’art).

Créer un « un noyau-conseil d’ingénieurs innovants » qui pourrait dynamiser la relance d’une politique de soutien. Ce serait aussi un moyen de faire émerger une nouvelle génération de techniciens de haut niveau pour remplacer celle qui part en retraite, actuellement peu relayée.

3. Lancer des « scanning tours »

Réanimer la veille routière collective, d’autant plus que notre avance s’amenuise. Très bien s’informer des progrès des autres apparaît primordial pour l’innovation.

Avec les « scanning tours », il s’agit pour des missions françaises multi-organisations, ciblées sur un sujet précis, de visiter un ou des pays étrangers bien identifiés. Outre l’intérêt d’analyser les démarches étrangères sous divers points de vue, c’est un moyen de faire se rencontrer certains acteurs qui se côtoient rarement et dont les apports adjacents peuvent ouvrir de nouveaux horizons (l’innovation transversale). Des directeurs des Routes européens ont déjà mentionné leur intérêt à recevoir de tels « scanning tours ».

4. Analyser les risques et utiliser davantage les cadres propices au développement des innovations par les acteurs économiques

Une caractéristique de l’innovation, et particulièrement des chantiers expérimentaux, est d’augmenter les risques de défaut ou de désordre. Les schémas actuels précisent mal qui prend le « risque de l’innovation ». Il est utile qu’il soit partagé entre les acteurs, mais cette répartition entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et l’entrepreneur doit être définie à la mesure de ce que chacun peut le mieux maîtriser et supporter, compte tenu des avantages qu’il en retirera. Deux suggestions : approfondir l’analyse juridique du risque et rechercher des solutions où les acteurs partagent leur contribution à la couverture du risque par une compagnie d’assurance ou même se couvrent mutuellement.

Certaines procédures sont très incitatives au développement de l’innovation par les acteurs concurrentiels : les concessions, les conceptions-réalisations, les appels d’offre avec variante, le dialogue compétitif (anciennement « sur performances »), les concours de techniques innovantes liées à des chantiers en aval.

5. Communiquer sur l’innovation

Une communication structurée et suivie sur la politique d’innovation aurait un impact sur les acteurs, entreprises, maîtres d’ouvrage, concepteurs, comme le montre l’expérience de la direction des Routes des Pays Bas. Un guide des procédures de soutien à l’innovation routière faciliterait le travail de tous ceux qui n’en sont pas familiers. Une définition meilleure du rôle actualisé que peut jouer chaque acteur et chaque profession dans le processus d’innovation est souhaitée.

Une autre cible de communication concerne les acteurs eux-mêmes de l’innovation : une « reconnaissance » appropriée contribuerait à soutenir leur motivation, par exemple sur le modèle des rubans d’or pour l’intégration de la route dans l’environnement. Des prix ciblés permettraient de développer, avec un bon effet de levier, les valeurs que l’on veut promouvoir (forte création de valeur par l’innovation, équipes multi-­organisations, qualité de la valorisation, bonnes pratiques des gestionnaires de procédures).

Sans oublier l’image de la profession dans le grand public, valorisée par les innovations souvent directement tangibles pour l’usager ou l’observateur.

Le tableau synthétique qui suit propose une hiérarchisation des priorités d’action et identifie les acteurs clés.

Tableau synthétique «importance / urgence / cibles» des principales recommandations

A. Introduction

A.1. Historique et motifs de l’évaluation

Des préoccupations

Le conseil de l’évaluation du ministère de l’Équipement, des Transports, du Logement, du Tourisme et de la Mer a proposé de réaliser plusieurs évaluations dans son programme annuel 2002, dont une à la demande du directeur des Routes relative à la politique de soutien à l’innovation routière. Le vice-président du Conseil général des ponts et chaussées et le directeur du Personnel, des Services et de la Modernisation ont pris la décision de lancer cette évaluation et de créer une instance d’évaluation.

Plusieurs préoccupations convergentes étaient à l’origine de cette initiative ; l’écoute attentive de ces préoccupations auprès du directeur des Routes et du Conseil général des ponts et chaussées a permis de concevoir la méthodologie de l’évaluation pour bien intégrer ces aspects :

• Le besoin croissant d’un bilan d’efficacité de la politique menée, en écoutant tous les acteurs, notamment à la veille d’une plus forte décentralisation.

• La montée en puissance des coopérations et du droit européens nécessitant une réflexion pour identifier les subsidiarités les plus efficaces dans ce domaine.

• L’acceptabilité sociétale et environnementale des nouvelles infrastructures déplace d’une certaine façon les champs prioritaires d’innovation. Parallèlement, même l’avis des grands experts n’a plus du tout le même poids qu’avant dans les débats.

• L’interdiction par le Ministère des Finances depuis 2001 d’utiliser les marchés de gré à gré pour réaliser des chantiers expérimentaux dans le cadre des chartes innovation a bloqué cette procédure. Il fallait donc chercher comment concilier une stratégie d’innovation et le nouveau code des marchés publics.

• La montée très significative du poids des enjeux juridiques nécessite un regard spécial sur ces aspects dans les procédures de soutien à l’innovation.

Il est clair que l’innovation est un produit direct ou indirect de la recherche en amont. Cependant le thème de cette évaluation ne porte pas sur la recherche dans ce Ministère, le rapport n’en parlera donc pas, mais il faut garder à l’esprit que la recherche est une toile de fond, le « terreau » de l’innovation.

A.2. Lettre de mission et instance d’évaluation

Une commande précise

La lettre de mission du 23 mai 2002 (annexe F 1) précise les objectifs détaillés et permet de saisir l’intérêt et les différentes dimensions de cette démarche :

« L’évaluation envisagée vise à apprécier :

• L’efficacité de la politique d’innovation, en analysant les retombées techniques et économiques de cette politique au regard de son coût (pour l’ensemble du secteur de la route : direction des routes, autres maîtres d’ouvrage, entreprises, concepteurs…),

• L’efficacité et la faisabilité des procédures d’aide et d’incitation à l’innovation, en identifiant les modalités les plus efficaces, au regard du cadre juridique actuel.

Elle devra faire des propositions quant à la poursuite de cette politique d’innovation et aux procédures à mettre en place.

Des extraits plus complets de cette lettre sont cités au paragraphe C 2 en même temps que les éléments de réponse apportés à chaque question spécifique.

L’instance d’évaluation comprend des responsables centraux et opérationnels du Ministère, d’autres maîtres d’ouvrage, des entreprises et des maîtres d’œuvre publics et privés. Elle a été limitée à 12 membres (liste en annexe F 2).

Nodal Consultants, société de conseil spécialisée dans le domaine de l’innovation et de son évaluation pour de grandes organisations publiques ou privées dans divers secteurs de l’économie, apporte son aide méthodologique et ses compétences à ce travail.

A.3. Méthodologie, champ de l’évaluation et déroulement de la mission

Une méthode explicite

L’équipe a essayé de s’inspirer des bonnes pratiques extérieures :

• Des spécialistes de l’innovation (expérience intersectorielle de Nodal),

• À l’international dans le secteur transport (liens avec le Transportation Research Board, l’AIPCR et l’expérience américaine, grâce à une mission de Michel Ray à Washington en janvier 2003).

La figure n° 1 ci-après synthétise la méthodologie utilisée pour cette évaluation, méthodologie qui a été discutée et enrichie lors de la première réunion de l’instance. La deuxième réunion a validé les résultats intermédiaires et recadré la suite des travaux. La troisième et dernière réunion a orienté et validé le rapport de synthèse (voir figure 1).

Le déroulement de la mission a donc commencé par un état des lieux approfondi puis s’est poursuivi par une centaine d’interviews, soit par entretien oral d’une à deux heures, soit sous forme de questionnaire selon six axes :

1) Chacune des 16 procédures (liste en annexe F 5) de la politique ministérielle de soutien à l’innovation routière a fait l’objet d’une interview avec le responsable et/ou le gestionnaire de cette procédure : 6 types de chartes innovation routière, 4 types de procédures contractuelles « classiques » dont les appels d’offre sur performance, les concours de techniques innovantes, les avis du CFTR, IVOR, PREDIT et RGCU, ainsi que les procédures intersectorielles utilisables par le secteur routier français (par exemple ANVAR) ou européen (par exemple PCRD, EUREKA).

Un questionnaire spécial (annexe F 6) a mis l’accent sur la description de la procédure et de ses objectifs ; une auto-évaluation a été demandée au gestionnaire de cette procédure ; les résultats sont donnés avec des propositions d’évolution (F7 /a à /d, et C.2.d).

2) Les utilisateurs, issus en général du secteur privé, ont été sollicités pour donner un avis sur ces procédures. A cet effet, le secteur routier a été découpé en une douzaine de métiers (chaussées, ouvrages d’art, terrassements, environnement…) car le fonctionnement réel des processus d’innovation varie en fait beaucoup d’un métier à l’autre. Il a été vérifié que ces interviews permettaient de couvrir les différentes procédures, par des études de cas concrets d’innovation (liste des études de cas en annexe F 11). Un questionnaire spécial a été conçu pour couvrir la description sommaire du projet innovant et de son financement, l’avis sur l’efficacité de la procédure, le bilan du processus d’innovation, l’évaluation des impacts et les suggestions (questionnaire sur les études de cas en annexe F 12 ; exemples concrets en F8 et F 13).

3) Une double analyse comparative a été organisée pour identifier les segments d’une politique d’innovation qui pouvaient être très performants ailleurs et qu’il serait envisageable de transférer par adaptation au domaine routier.

Figure 1 : Schéma synoptique de la méthodologie de l’étude

Cette comparaison a été :

• Intersectorielle (en France) : défense, rail, bâtiment, systèmes intelligents de transports (annexe F 15)

• Internationale (synthèse en annexe F 16 et F18) dans le domaine routier par :

• Une mission aux USA comprenant des entretiens avec les hauts responsables de l’innovation routière (FHWA, TRB, HITECH, privés, etc.),

• Une enquête auprès des directeurs des Routes des pays européens d’une part, de leurs adjoints d’autre part.

4) Compte tenu du caractère clé et urgent de la passation des marchés de chantiers expérimentaux des chartes innovation, un groupe de travail spécifique a analysé l’ensemble des possibilités, les points de blocage dans chaque cas et les pistes de solutions.

5) En complémentarité avec les approches analytiques décrites précédemment, quelques interviews de grands témoins ont apporté une appréciation plus synthétique ou une vision historique sur le plus long terme (Directeur général de très grande entreprise, ancien directeur des Routes, ancien secrétaire général de l’AIPCR, ancien responsable de la recherche au Ministère, secrétaire général de l’ASFA, responsable de la commission technique de la FNTP…).

6) De façon à éclairer l’évolution des procédures de soutien à l’innovation, on a cherché à définir à quels besoins-clés futurs elles répondaient, c’est-à-dire à creuser le sujet de la demande avec une vision prospective suffisante. Des réunions spéciales ont été consacrées à ce sujet difficile, afin d’obtenir au moins une première approximation des besoins et du processus adéquat pour les approfondir ultérieurement.

A.4. Structure du rapport et mode d’utilisation

Une présentation destinée à des lecteurs différents

Plusieurs facteurs convergents ont conduit à un rapport dense et à un ensemble d’annexes :

• Les acteurs interviewés ont exprimé des attentes souvent fortes, par rapport à ce sujet qu’ils estimaient d’actualité.

• La grande richesse des interviews (leur contenu, et leur nombre : une centaine) a incité à ce qu’une capitalisation attentive en soit faite.

• La demande portait à la fois sur une vision globale des 16 procédures et sur un ensemble de fiches descriptives plus détaillées pour les procédures routières et pour les principales procédures intersectorielles.

• La direction des Routes souhaitait pouvoir lancer des actions concrètes rapidement, ce qui a nécessité d’expliciter avec suffisamment de détail des recommandations et les raisons qui ont conduit à les formuler.

• Beaucoup d’acteurs voient la route à travers leur propre domaine d’action, mais la lettre de mission demandait de couvrir tous ces domaines.

• Plusieurs regards (maîtres d’ouvrage, entreprises, maîtres d’œuvre ; grands acteurs et PME ; France, Europe et international…) se complétaient étroitement.

C’est pourquoi :

• Le résumé rassemble l’essentiel en 9 pages,

• Le tableau synthétique (importance / urgence / facilité de mise en œuvre / acteurs / bénéficiaires) permet de se faire une idée des « poids » respectifs des priorités, selon une vision multi-acteurs,

• Le rapport lui-même rassemble les résultats de l’évaluation et les recommandations qui expriment, sous une forme constructive, les critiques qui sont apparues, mais aussi les idées neuves qui ressortent des interviews et de la réflexion,

• Les annexes capitalisent les évaluations spécifiques des procédures, le retour d’expérience des innovateurs, ainsi que les pratiques routières d’autres pays ou d’autres secteurs, avec également des fiches pratiques sur les financements intersectoriels. Ces annexes devraient pouvoir être utilisées par les personnes qui seraient en charge de mettre en œuvre certaines conclusions de ce rapport et d’actualiser ou d’élargir les analyses et les évaluations déjà faites.

L’ensemble de ces documents a aussi été conçu pour pouvoir répondre aux questions des responsables de la politique d’innovation routière dans d’autres pays, dont certains ont déjà exprimé leur intérêt à un partage d’expérience sur cette fonction commune à de nombreuses directions des Routes en Europe et dans le monde.

B. L’innovation routière :

un contexte assez spécifique et en mutation profonde

B.1. Les spécificités du domaine routier

Une différence forte avec l’industrie

En général, les métiers du secteur routier ont des processus d’innovation différents de ceux de l’industrie :

On attend d’un réseau routier qu’il résiste au temps, or l’efficacité d’une innovation en termes de durabilité est quasi-impossible à apprécier au moment de la construction. Malgré des progrès certains, la précision des instruments de mesure actuels de certains paramètres est parfois insuffisante pour juger à court terme des performances à long terme. La prévision fiable des performances couplant de façon réaliste les effets du trafic réel, du vieillissement et, le cas échéant, des réactions des usagers est extrêmement difficile, et parfois même impossible dans certains domaines. Si les méthodes sur ces sujets ont significativement progressé en 15 ans, rien ne remplace l’expérience du chantier de taille suffisante avec un suivi attentif. Les chantiers expérimentaux en vraie grandeur sous trafic réel sont absolument nécessaires pour valider la plupart des innovations ; les tentatives d’en faire l’économie se sont souvent soldées par de gros problèmes plus tard (y compris pour les usagers) particulièrement en matière de chaussées, ouvrages d’art, terrassements, tunnels…

Un suivi approprié dans le court et le long terme d’un chantier expérimental a un coût qu’il serait imprudent, pour les maîtres d’ouvrage comme pour les usagers, de réduire en dessous d’un certain seuil au risque de compromettre la pertinence de ce suivi (qualité, quantité, durée et gestion de la connaissance et de la diffusion des résultats).

L’importance du réseau routier et la fréquence relativement lente des rénovations freinent la diffusion des innovations. Les grands ouvrages sont rarement reproductibles, notamment en ce qui concerne les ponts, un effort d’innovation ne peut donc s’amortir que sur un petit nombre de chantiers.

D’autre part, le jeu des acteurs est différent : le maître d’ouvrage est, plus que l’entreprise, le premier bénéficiaire. Pour l’entreprise qui a développé l’innovation, le bénéfice est nettement inférieur, notamment dans le cas fréquent où l’innovation est difficile à breveter ou facile à tourner s’il s’agit d’un savoir-faire. L’innovation apporte à l’entreprise surtout une notoriété et une brève avance sur ses concurrents. Si la totalité du risque d’un chantier expérimental repose sur le seul acteur privé qui propose l’innovation, cela tue l’innovation. Il convient donc de bien définir le partage des risques.

Comme on l’examinera plus loin, les compétences des maîtres d’ouvrage évolueront avec la nouvelle phase de la décentralisation. La taille du réseau national diminuera, le nombre de chantiers routiers sera réparti différemment entre les maîtres d’ouvrage : chacun n’en réalisera que quelques-uns par an.

En raison de ses spécificités et pour des raisons historiques, le secteur routier s’est peu ouvert à d’autres domaines, métiers et acteurs de l’innovation, et s’est fermé l’accès à des sources de financement potentiellement très importantes.

Ces spécificités distinguent l’innovation en matière routière du reste de l’innovation industrielle et entraînent que les procédures ordinaires de soutien à l’innovation ne s’y appliquent pas ou difficilement (le cas de l’ANVAR est typique). Ces caractéristiques doivent être prises en compte pour éviter de pénaliser le dynamisme innovant du secteur routier, avec ses multiples conséquences sur le coût et l’entretien des ouvrages, la sécurité des usagers et la compétitivité à l’exportation.

B.2. Les étapes de l’innovation routière et les procédures de soutien à l’innovation

Une chaîne de procédures

Les « maillons de la chaîne » de l’innovation routière et le positionnement correspondant des procédures existantes.

Dans le tableau qui suit, certaines étapes sont calées sur le cas classique des innovations concernant les chaussées. De nombreux autres métiers importants du secteur de la route (ouvrage d’art, terrassements, etc. voir tableau des typologies ci-après) sont différents du secteur des chaussées, mais leurs processus d’innovation présentent néanmoins de grandes similitudes, même si les mots pour caractériser les étapes sont différents. Certains domaines d’innovation, tel celui des matériels d’essai qui a un effet de levier important sur l’innovation routière en général, relèvent d’une autre logique de processus d’innovation et sont peu abordés dans ce rapport (voir tableau : Les grandes étapes de l’innovation et les procédures associées).

Typologies des innovations routières

Une diversité d’activités

Exemples concrets d’innovation par métier et par procédure qui les ont soutenues :

Ce tableau illustre la grande diversité des métiers et a fortiori des innovations. Il est important de garder en mémoire cette « vision large » pour pouvoir piloter efficacement une politique d’innovation routière nationale (voir tableau ci-après).

Niveaux d’innovation et rôle des acteurs

Face à un problème de conception (au sens large), on peut distinguer cinq niveaux dans l’innovation :

1. Solution triviale (déjà connue)

2. Amélioration mineure d’une solution connue

3. Amélioration majeure d’une solution connue

4. Nouveau concept

5. Découverte

Les innovations routières françaises des dernières décennies sont de niveau 2, 3 ou 4, mais :

• Le niveau 4 est rarement atteint (exemples : terre armée, enrobés drainants) ;

• La nature des contraintes routières rend les innovations de rupture difficiles à concevoir, mais surtout difficiles à valider et à déployer ;

• Il y a eu un nombre significatif d’innovations de niveau 3 (exemple des liants bitumeux spéciaux pour lesquels de l’avis même d’un responsable américain du programme SHRP, « les Français avaient 10 ans d’avance ») ;

• Il y a de très nombreuses innovations de niveau 2, mais dont les « grappes » successives font significativement progresser la technique ; suivant les contextes, les climats et les régions, une même technologie peut varier d’un niveau ;

• On peut penser que la transposition habile d’innovations existantes venues d’autres pays ou d’autres secteurs (niveau 1) se situe maintenant en dessous de ce qu’elle devrait être.

Chaque innovation routière peut aussi se caractériser par un dosage des rôles respectifs des différents types d’acteurs : maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprises (ou fabricants de matériaux/matériels), laboratoires (publics, privés, universitaires…) (voir graphique ci-contre).

Une innovation sur ce diagramme est représentée par un point, dont la proximité par rapport à chaque acteur indique l’importance de cet acteur dans le développement de l’innovation. Quand une innovation peut être efficace tout en étant «mono-acteur», sa vitesse de développement peut être très rapide. Quand une innovation nécessite une participation très active de 3 ou 4 acteurs, son temps de développement est plus lent, mais elle peut être « percutante » du fait que personne n’a auparavant investi pour « casser les barrières » du dialogue multi-acteurs.

• Schema

Quelques constatations :

• Le « point moyen » des innovations opérationnelles en chaussées s’est déplacé, en trente ans, des laboratoires publics de l’Équipement vers les entreprises du fait que ces dernières ont progressivement investi dans des laboratoires internes de haute compétence.

• Les réseaux technologiques comme le RGCU obligent, par construction, à la formation d’un vrai réseau entre les partenaires de ces différentes origines.

Tableau : Les grandes étapes de l’innovation et les procédures associées

B.3. Les grandes évolutions dimensionnantes

Un contexte en forte évolution

Si l’on cherche à identifier les tendances lourdes pour le futur, on constate que les évolutions de notre environnement sont et/ou seront fortes :

• La nouvelle étape de la décentralisation fera évoluer le poids relatif et les fonctions du Ministère vers des rôles régulateurs et de catalyse plus importants, tandis que son rôle d’investisseur et de maître d’ouvrage diminuera parallèlement à la réduction de son réseau.

• Développement des interactions avec l’Europe : l’ouverture à l’Europe est inéluctable et porteuse de valorisation/rentabilisation des innovations ; elle peut apporter une amélioration de l’efficacité par effet d’échelle, elle peut aussi être une occasion de valoriser l’image institutionnelle du secteur public français, des grandes entreprises, des bureaux d’études et des PME très innovantes.

• La normalisation se développe au niveau européen mais peut se révéler un obstacle à l’innovation. Il y a lieu de différencier clairement la recherche pré-normative qui doit anticiper, les procédures d’avis technique (type CSTB) pour les produits innovants dont il est question dans ce rapport, et la normalisation classique de produits qui ne sont plus innovants.

• Poids croissant des aspects contractuels et juridiques

• Importance de la compétitivité technique et économique des acteurs concurrentiels, dans un contexte de mondialisation.

• Modification du contexte exigeant une adaptation dynamique d’anticipation : poids croissant de la sécurité routière, changement climatique, enjeux financiers de la gestion des infrastructures avec des budgets serrés, saturation de certaines infrastructures existantes, difficultés croissantes de l’acceptabilité des infrastructures neuves, urbanisation…

• Des avancées technologiques intéressantes (par exemple les systèmes intelligents de transports), mais avec des cycles de vie des technologies qui se raccourcissent.

• Risque d’évolution à la baisse de la recherche amont qui constitue le « terreau » de l’innovation.

Autant de défis à relever pour qu’une politique ministérielle de soutien à l’innovation routière garde sa pertinence, son efficacité, sa capacité d’anticipation et de réactivité. Face à des évolutions de cette importance, faire évoluer les seules procédures de soutien à l’innovation ne suffira pas sans une mobilisation collective de la communauté routière.

C. Le constat sur l’innovation

routière en France : des forces historiques importantes, une certaine fragilisation, des défis à relever ensemble

C.1 Les forces et les inquiétudes actuelles

Une tradition d’innovation

a. Les forces

Les forces sont importantes et claires :

• De 1960 à 1990, la communauté routière française a été particulièrement dynamique en innovation avec un impact positif fort sur tous les acteurs. La politique du Ministère pour le soutien à l’innovation, et en tant que maître d’ouvrage majeur, a été un des facteurs clés de ce succès. Ce constat est unanime, tant en France qu’à l’étranger.

• La capitalisation de l’expérience, technique et organisationnelle, dans les procédures de soutien à l’innovation constitue un capital de bonnes pratiques très utile. Nous avons identifié pour chaque procédure :

- son domaine d’emploi le plus pertinent ;

- ses facteurs de succès à préserver ;

- ses précautions d’emploi pour en maximiser l’efficacité.

Plusieurs pays apprécient la richesse de cette expérience et son périmètre national. Trois caractères sont à souligner :

• Par rapport à d’autres pays, c’est surtout le centre de la chaîne du processus d’innovation qui est bien développé en France : de l’idée d’innovation au chantier expérimental. Cependant certaines étapes amont et aval présentent soit des faiblesses récurrentes, soit une certaine fragilisation (voir B.2. tableau des étapes de l’innovation).

• La structure du réseau technique du Ministère (couvertures géographique et par métier, couvertures opérationnelle et en recherche) constitue une force historique reconnue, notamment pour son rôle dans l’innovation, tant comme initiateur que comme gestionnaire des procédures de soutien.

• Le dynamisme d’innovation des grandes entreprises, des grands bureaux d’études et de quelques PME spécialisées a aussi été un facteur clé du succès. Le terreau français de la recherche routière et de l’innovation a formé et maintenu jusqu’à récemment en activité des équipes de conception de projet, performantes, ouvertes et sachant bien optimiser les projets concrets en France et à l’étranger.

Ces forces ont été développées progressivement, y compris avec des moments forts comme « le colloque innovation » lancé par le directeur des Routes, les professions et le réseau.

b. Les inquiétudes actuelles

Un essoufflement

L’écoute attentive de nombreux acteurs, grands témoins généralistes, responsables publics de procédures, acteurs privés de l’innovation, etc. montre distinctement :

• Une inquiétude, à l’observation des évolutions des dernières années ;

• Un sentiment de perdre du terrain, à la fois par rapport à la concurrence étrangère en comparaison de l’avance antérieure, et par rapport aux avancées innovantes d’autres secteurs en France ;

• Une certaine convergence dans la diminution, parfois importante ces dernières années, des crédits consacrés à l’innovation (et à la recherche) parmi des acteurs importants publics, parapublics ou privés ;

• Un risque de perte de savoir-faire au sein du réseau technique (départ en retraite d’experts, rotation plus rapide des ingénieurs) ;

• Le constat d’une baisse relative de motivation des maîtres d’ouvrage du terrain pour jouer leur rôle incontournable aux différentes étapes du processus d’innovation (identification des besoins prioritaires, chantiers expérimentaux, valorisation).

Globalement, pour contrer ce climat d’inquiétude il faut prendre en compte ses différentes dimensions, mais aussi développer une vraie communication sur les actions qui seront décidées.

C.2. Éléments de réponse aux questions spécifiques de la lettre de mission

L’analyse approfondie du sujet et les interviews réalisées ont conduit à évoquer de nombreuses questions transversales par rapport à l’approche de la lettre de mission. Avant de présenter cette analyse globale, il semble utile de répondre d’abord à chacun des points de la lettre de mission (reproduits en italiques ci-après).

a. L’efficacité de la politique routière du Ministère

Un outil organisé, créateur de nouvelles méthodes

« En ce qui concerne l’efficacité de la politique d’innovation :

La politique de soutien à l’innovation menée ces dernières années a-t-elle créé un mouvement d’innovation ou facilité son expression : a-t-elle permis :

- d’orienter la recherche ?

- de susciter le développement d’innovations ?

- d’impulser de nouvelles techniques ?

- d’accélérer la diffusion d’innovations sur le marché ?

- de déposer de nouveaux brevets ? et dans ce cas, quels revenus ces brevets ont-ils générés ? »

L’efficacité globale de la politique d’innovation routière du Ministère a été forte, compte tenu de son impact à des degrés divers sur les différents réseaux routiers et sur les différents acteurs publics et privés. L’été très chaud de 1976 a causé dans un grand pays voisin un phénomène d’orniérage important, et de grande dimension géographique : la réparation de ces seules ornières a coûté environ l’équivalent d’une année entière de budget d’entretien des routes. Les innovations françaises sur les spécifications pour les bitumes et les enrobés ont permis que la tenue des chaussées soit bonne et a donc permis d’éviter cette dépense et les problèmes de sécurité correspondants. De nombreux autres exemples illustrent cette efficacité au paragraphe c) ci-après.

Sur la période 1970-2000, la politique de soutien à l’innovation :

• A beaucoup contribué à orienter la recherche, puisque la plupart des programmes du Ministère ont l’innovation pour objectif. Quelques exemples : adhérence et sécurité des chaussées, durabilité et propriétés mécaniques des matériaux, bruit de roulement, formulation des bétons, déchets et sols pollués, qualité de l’air…

• A fortement suscité le développement d’innovations (voir tableau « typologies » B2), et a même incité les grandes entreprises à développer des laboratoires innovants,

• A impulsé de nouvelles techniques dont plusieurs ont été très novatrices et se sont diffusées à l’international, par exemple les enrobés drainants.

Son succès a été moindre pour accélérer la diffusion d’innovations sur le marché. Elle a certes indirectement permis que certains brevets soient déposés, toutefois les brevets dans le domaine routier sont rarement aussi efficaces que dans l’industrie, et l’attitude des maîtres d’ouvrage vis-à-vis des brevets d’entreprise n’est pas incitative.

D’autres aspects ressortent également :

• Depuis 2001, la politique de soutien à l’innovation a beaucoup perdu de son efficacité, notamment à cause de l’arrêt des chantiers expérimentaux prévus par les chartes de la direction des Routes, car ces chantiers sont un maillon incontournable dans le processus spécifique de l’innovation du secteur routier.

• Pour restaurer le climat de confiance qui existait dans la décennie 60 et pour catalyser à nouveau des coopérations créatrices d’innovations, une relance dynamique de l’innovation par les plus hauts niveaux serait nécessaire, surtout si elle est assortie de quelques incitations par l’intermédiaire des procédures.

« Peut-on penser que les solutions techniques promues par ces procédures auraient émergé en l’absence de soutien par l’administration ? Quelle est la contribution propre de la politique publique d’appui à l’innovation dans les évolutions techniques ? »

Les solutions techniques promues par ces procédures sur la période 1970-2000 ou même sur la période 1990-2003, auraient difficilement émergé dans des délais comparables et avec cette qualité, en l’absence de tout soutien par l’administration : la contribution propre de la politique publique d’appui à l’innovation a porté sur les points clés suivants :

• Capacité du réseau technique de l’État dans son ensemble, formant un outil d’évaluation, de prédiction des performances, de suivi des chantiers expérimentaux, bien connecté avec les besoins opérationnels grâce aux centres d’études techniques de l’équipement (CETE),

• Capacité d’organisation de chantiers expérimentaux en liaison avec les directions départementales de l’équipement (mais cet aspect évolue défavorablement actuellement),

• Labellisation reconnue aidant à la valorisation en France et à l’étranger,

• Essaimage de certains experts de l’administration vers les acteurs économiques du secteur concurrentiel,

• Effet d’entraînement de la direction des Routes qui demande aux différents acteurs d’apporter leur contribution à l’effort national d’innovation routière, et parfois mobilisation des acteurs d’un domaine/métier pour relever un défi correspondant à un besoin identifié.

Avec du recul et en tirant les leçons du passé ancien et plus récent, l’écoute attentive des messages des interviewés montre que certains facteurs clés de succès de l’action du Ministère dans ces domaines ne sont pas exprimés mais sont très présents dans les décisions pratiques des acteurs pour coopérer :

• Dynamisme partant des plus hauts niveaux, maintenu dans le temps,

• Mobilisation concrète du réseau technique tant dans l’esprit que pour ce qui se voit,

• Cofinancements là où il a été convenu qu’ils auraient lieu (le « capital de confiance » autour des procédures et de l’innovation dépend beaucoup de la cohérence entre les objectifs annoncés et les moyens humains et financiers maintenus dans la durée),

• Capacité d’animation du dialogue inter-maîtres d’ouvrage.

b. Les bénéficiaires de la politique

Premiers bénéficiaires : les maîtres d’ouvrage

« A qui la politique de soutien a-t-elle bénéficié ?

1. L’aide à l’innovation a-t-elle profité à l’ensemble du secteur ou a-t-elle au contraire créé des distorsions entre les grands groupes et les PME ?

2. Les innovations soutenues ont-elles effectivement débouché sur des procédés permettant d’améliorer durablement l’offre des entreprises ?

3. Les innovations soutenues ont-elles effectivement débouché sur des procédés permettant de mieux répondre durablement aux besoins des maîtres d’ouvrage en termes de qualité technique, de coût de réalisation, de facilité et de coût d’entretien des infrastructures ?

4. Les innovations soutenues ont-elles permis d’améliorer durablement la qualité des routes pour les usagers ?

5. Les procédures d’aide à l’innovation ont-elles permis une amélioration ou un maintien de la compétence à haut niveau du réseau technique ?

6. Peut-on apprécier les effets indirects de ces actions en termes de relations entre le milieu professionnel et l’administration et son réseau technique ? »

L’analyse de l’impact par bénéficiaires de cette politique peut se résumer ainsi :

1. Globalement, c’est l’ensemble du secteur qui en a bénéficié. Toutefois il y a sur certains sujets un effet de seuil (lié par exemple à l’existence d’un laboratoire d’entreprise) qui indirectement exige une certaine taille d’entreprise. De ce fait, en moyenne, les grands groupes ont plus bénéficié de cette politique que les PME. (Parallèlement durant cette période, le regroupement d’entreprises petites et moyennes autour de grands groupes s’est accéléré).

2. Les innovations soutenues ont souvent effectivement débouché sur des procédés permettant d’améliorer durablement l’offre des entreprises, mais l’analyse montre que dans le secteur routier c’est le plus fréquemment des « grappes d’innovations incrémentales » qui ont cet effet. Pour qu’il soit durable, la continuité de l’efficacité des procédures est importante car ces avancées restent fragiles sur un marché mondial très compétitif où de nombreux autres acteurs avancent vite aussi. Les fabricants de matériels ont aussi bénéficié de la synergie entre les acteurs comme des compétences (et des matériels de mesure) du réseau technique.

3. En terme d’enjeux quantitatifs et qualitatifs, c’est clairement le collectif des maîtres d’ouvrage, et de très loin, qui est le premier bénéficiaire de la politique d’innovation routière : en termes de qualité technique, de coût de réalisation, de facilité et de coût d’entretien des infrastructures. Ceci est dû au fait que peu d’innovations routières peuvent être durablement protégées par des brevets. Par la concurrence, une grande partie de la valeur créée par une innovation est progressivement transférée aux maîtres d’ouvrage (pour le secteur des chaussées, ceci prend en général un à trois ans).

4. Certaines innovations ont également permis d’améliorer durablement la qualité des routes pour les usagers (exemples : uni des chaussées, adhérence, bruit, signalisation…) Toutefois, une amélioration globale pour les usagers est très exigeante quant à la pluridisciplinarité de la recherche, à la solidité et à la pérennité de la politique de valorisation. Des actions spécifiques seraient nécessaires pour mieux cibler l’innovation sur l’amélioration de notre performance nationale.

5. Sur le long terme les procédures d’aide à l’innovation ont eu un large impact sur la compétence de haut niveau du réseau technique, elles lui ont permis notamment d’élargir son domaine d’expertise. Actuellement, d’autres phénomènes comme le passage à la retraite d’une génération d’experts crée un défi important. La re-dynamisation de la politique de soutien à l’innovation peut constituer une opportunité unique. Il existe un certain effet de seuil à atteindre pour pouvoir inverser la tendance. Une concertation est nécessaire pour aboutir à une définition actualisée des rôles précis des entreprises, bureaux d’étude, concepteurs, fournisseurs de composants, etc.

6. Ces actions de soutien à l’innovation ont développé une coopération technique active entre le milieu professionnel, l’administration et le réseau technique dont les effets indirects sont significatifs en termes de relations, et surtout constructifs sur le long terme. La combinaison de l’arrêt des chartes et des gels budgétaires a nettement fragilisé ces effets aujourd’hui. Les évolutions européennes et la décentralisation ont actuellement plutôt tendance à déstabiliser les repères de certains acteurs (voir analyse spécifique de ce phénomène de «niveaux géographiques de pertinence par sujet», § C.3.h). Une relance de la politique de soutien à l’innovation est très attendue, notamment pour ces raisons.

c. Coûts et retombées de la politique

Des économies globales pour le pays

« Opportunité et coût de cette politique

• Peut-on évaluer le coût des actions d’aide à l’innovation ?

• Les retombées économiques et techniques justifient-elles ces coûts pour l’État ?

• La direction des routes est-elle la plus légitime et la mieux outillée pour mener cette politique ? »

1. D’une façon générale, le secteur routier a très peu conduit d’évaluation économique complète des innovations (pour une innovation spécifique, pour une « grappe » d’innovations, pour le secteur routier…) Il faut reconnaître que les données sont très dispersées entre divers maîtres d’ouvrage ou confidentielles pour les entreprises, et que ce n’est souvent qu’après une longue période que l’évaluation des bénéfices commence à avoir un sens. Néanmoins le lancement régulier de quelques évaluations est nécessaire et devrait être coordonné, ne serait-ce que sur le plan méthodologique.

2. Ce qui est actuellement disponible, qui garde un sens sur le plan économique, et qui donne des indications utiles pour une évaluation d’un bilan coût / bénéfices, est constitué par :

- les données de coûts directs par procédure,

- des exemples de retombées économiques sur certains exemples significatifs d’innovation,

- les avis de grands acteurs économiques couvrant sous leur responsabilité l’exportation, le marché français et l’innovation.

3. Les coûts des procédures sont en général bien connus de leurs gestionnaires, ils sont mentionnés dans les annexes, par exemple :

- IVOR : coût total 45 kE/an  un mi-temps, pour une moyenne de 3 à 4 labellisations par an (pas de subventions aux projets, mais apport d’une expertise du réseau technique pour l’évaluation).

- RGCU : 2 à 4,6 ME de subventions, avec un effet de levier moyen d’environ 4 sur les financements par les acteurs des projets, et ceci pour un coût de fonctionnement annuel de 230 kE  1,5 salaire annuel de responsables, pour 7 à 13 projets labellisés par an,

- Chartes innovation : 10,5 ME de surcoût total sur 10 ans pour réussir et suivre des chantiers expérimentaux (  1,3 ME pour des réparations lors d’applications d’innovation), impliquant de 2 à 6 experts à temps partiel, pour 189 chantiers expérimentaux, 80 protocoles d’accord. 24 certificats ont été délivrés à ce jour à cause du délai de 3 à 4 ans pour les couches superficielles de chaussées, et d’environ 10 ans pour les autres,

- ANVAR, pour les travaux routiers : 237 kE d’avances remboursables en 2001 pour 4 projets, sur un total de 2,3 ME pour 40 projets sur l’ensemble du domaine des travaux publics,

- Au total pour l’ensemble des procédures du Ministère, et pour le secteur routier au sens large (mais hors Prédit), on peut estimer en première approximation que la politique de soutien à l’innovation a un coût direct pour le Ministère de l’ordre de 7 ME par an.

4. Plusieurs exemples de retombées économiques peuvent être cités :

- Les grappes d’innovations, développées dans le domaine des chaussées depuis l’analyse de la valeur collective lancée en 1986 par le SETRA dans le cadre des actions innovations de la direction des Routes, ont contribué à diminuer de 20 à 30 % le coût par kilomètre des chaussées neuves autoroutières, sans compter une réduction significative des coûts d’entretien par rapport à la décennie précédente. Cet impact est donc considérable.

- La comparaison détaillée avec un autre grand pays européen des coûts au km des autoroutes de liaison a montré une différence moyenne, toutes choses égales par ailleurs, d’environ 30 % en faveur de la France, dont environ 10 % pouvait être attribué à l’impact d’un ensemble de technologies, de techniques et d’approches innovantes. (voir aussi l’exemple donné en C.2.a ci-dessus).

- Les revêtements en couches minces ont fait gagner depuis 10 ans de l’ordre de 40 % du coût d’entretien des chaussées (environ 60 ME par an pour le seul réseau national).

- Les enrobés et les bétons bitumineux à module élevé sont un bon exemple d’innovation efficace et qui se diffuse : ils permettent de diminuer les épaisseurs d’environ 15 %, ce qui diminue les travaux annexes notamment en traversée d’agglomération, avec des performances améliorées à l’orniérage et, de plus, ils économisent environ 13 % d’investissement pour les couches considérées. Ils se diffusent et représentent aujourd’hui 7 % des 40 millions de tonnes d’enrobés fabriqués en France chaque année, soit une économie de 19 millions d’Euros par an pour les maîtres d’ouvrage.

- Le renforcement de ponts par précontrainte extérieure a évité la reconstruction d’une soixantaine de grands ouvrages en 20 ans (économie supérieure à 100 ME).

- Le développement des bétons à hautes performances, notamment par le projet national IREX financé par le RGCU, double la résistance du matériau et multiplie sa durabilité par 3. De plus il associe les acteurs clés, publics et privés, qui vont permettre son développement large, avec des retombées très significatives à terme pour tous ces acteurs (des secteurs routiers et des grands bâtiments).

- Les innovations sur les matériels routiers et sur le point à temps automatique (PATA) sont décrits en annexe (F 13). On notera particulièrement la contribution à la naissance et au développement d’une PME exportatrice. Certaines de ces entreprises ont jusqu’à 30 à 40 % de leur chiffre d’affaire à l’export, et ceci est directement lié à l’effort national d’innovation. Le fait qu’en quelques années toutes les machines de peinture pour signalisation horizontale se soient équipées du système « airless peinture » est également un exemple concret.

- La recherche coopérative publique (réseau technique) / privée (fabricants de matériels) dans le domaine du compactage des couches de chaussées a eu un impact significatif pour les maîtres d’ouvrage (durabilité à la fatigue) et les fabricants de matériels (compétitivité sur le marché international).

Le fait qu’un nombre considérable de délégations étrangères (américaines du nord et latines, australiennes, de certains pays européens…) soient venues visiter le SETRA, le LCPC, les entreprises sur les chantiers innovants est un signe indirect mais globalement assez fiable montrant que la politique d’innovation française a produit, sur le long terme, des fruits dont le bilan est largement positif et reconnu.

Il faut noter cependant qu’une certaine proportion des innovations ne franchit pas la barrière des procédures (mais cette information peut aussi être utile). D’autres innovations ayant réussi les tests de performance ne se diffusent pas sur le marché (c’est le point actuellement le plus faible de la chaîne ; voir ci-dessous les recommandations sur les critères économiques à retenir dans le choix des innovations à soutenir et sur une meilleure organisation de la valorisation des innovations les plus pertinentes).

Un industriel des matériels de construction routière écrivait : « la technique (routière) française, son rayonnement en construction et en entretien sont le résultat des actions coordonnées d’une famille professionnelle et il n’y a pas, en dehors des USA, d’exemple analogue sur le long terme ».

5. Les interviews de grands acteurs à l’exportation soulignent plusieurs faits :

Les entreprises routières françaises COLAS et EUROVIA sont les leaders mondiaux dans leur spécialité. Leur avance technologique leur a même permis d’adopter une stratégie de pénétration technologique de certains marchés étrangers, notamment Eurovia (EJL) en Grande-Bretagne ou Colas dans plusieurs autres pays. Est aussi à signaler la progression du « capital intellectuel » appuyé sur un réseau international de laboratoires.

L’impact de l’innovation sur les résultats à l’export sont complexes : l’innovation n’est jamais suffisante, même si elle est souvent nécessaire.

Dans la compétition pour gagner de très grands marchés d’ouvrages, les innovations technologiques ou méthodologiques sont importantes, mais l’esprit d’ouverture des équipes d’ingénieurs de conception de l’entreprise ou de l’ingénierie, et la démarche de recherche systématique d’optimisation innovante en fonction des contraintes locales, pèse au moins autant. Ceci illustre les impacts indirects et donc moins visibles mais tout aussi importants d’une politique d’innovation durable de l’État pour créer et maintenir ces équipes très créatives. On comprend mieux ainsi pourquoi ces entreprises redoutent la tendance actuelle de nombreux maîtres d’ouvrage français qui deviennent progressivement plus frileux en matière d’innovation.

Pour les grandes entreprises exportatrices ou de grands bureaux d’études, le chiffre d’affaire sur des segments à l’export où les innovations ont un impact significatif représente de l’ordre de 10 à 20 %, c’est-à-dire que le poids du marché national reste encore souvent largement majoritaire en terme d’enjeu.

Comme les entreprises locales progressent, tant en technicité qu’en capacité d’entreprendre des projets, c’est très souvent sur les très grands projets ou sur les ouvrages les plus difficiles que se situe la part du marché qui reste accessible aux grandes entreprises françaises, par exemple dans le domaine des ponts ; or c’est bien sur ces segments que l’innovation est pertinente.

Certains domaines d’innovation comme les matériels d’essai ou les matériels d’auscultation ont indirectement un impact plus important sur les marchés avals à l’étranger, que ce qui peut apparaître en première analyse. De la même façon des formes de maîtrise d’œuvre ou d’ingénierie à l’export ont un effet indirect sur l’aval qui peut être considérable : par exemple, certaines grandes innovations françaises qui créent de la valeur ou des économies pour de grands clients à l’international peuvent être indirectement exclues, par un certain découpage en lots ou une forme trop traditionnelle de passation des marchés sans variante, si les études sont faites par un consultant qui ne connaît pas bien ces innovations.

Enfin, même pour les chantiers à l’export n’utilisant pas de technique innovante à proprement parler, la notoriété d’entreprise innovante donne une image forte favorable à l’entreprise.

En sens opposé, il faut mentionner pour être complet que certains acteurs publics ou privés, individuels ou collectifs, ont réduit leurs actions de recherche routière par des facteurs variant de 2 à 5 au cours des cinq dernières années. Le rapport entre la motivation de ces acteurs et les mécanismes d’incitation n’est pas clair.

La comparaison des coûts et des retombées de la politique de soutien à l’innovation exigerait de plus nombreuses évaluations et une précision meilleure. Dans l’état actuel de l’information, et en moyenne sur le secteur routier, pour la période 1970 – 2003, le bilan économique et financier est largement positif pour la collectivité.

Très schématiquement on peut considérer qu’une dizaine d’années de politique active d’innovation permet de gagner, par rapport à une situation de non-innovation, 5 à 10 % en moyenne sur les coûts actualisés des grandes infrastructures routières à fort trafic sur lesquelles ces innovations sont ciblées. Ceci dans l’hypothèse de performances à peu près constantes, c’est-à-dire sans tenir compte des réglementations nouvelles imposées par le législateur (loi sur l’eau) qui peuvent entraîner des coûts réels totaux au kilomètre constants ou même croissants.

Pour les infrastructures de plus petite taille ou à plus faible trafic, les impacts indirects des innovations de grandes infrastructures (via les matériels, les matériaux, les méthodes, etc.) n’arrivent que progressivement dans le temps et diminuent en valeur absolue, mais sans descendre en dessous de quelques pour cents. Lorsque des actions dynamiques spécifiques sont lancées pour ces infrastructures, le gain peut devenir très sensible.

L’ensemble de ces éléments conduit à la conclusion que les retombées justifient ces coûts pour l’État, à condition que la cohérence « objectifs des innovations / moyens humains / moyens financiers / mobilisation des autres acteurs clés / valorisation des innovations » soit maintenue dans le temps.

6. Le rôle majeur de la direction des Routes tient à sa maîtrise d’un réseau vaste et diversifié, assez important pour lui permettre de prendre le risque de l’innovation. Sa légitimité à promouvoir l’innovation routière, confirmée par la décentralisation, conforte au contraire son rôle de pilote de la politique routière nationale : la dispersion des autres maîtres d’ouvrage (collectivités territoriales, sociétés concessionnaires d’autoroute) ne permet à aucun d’avoir la connaissance générale ni les moyens d’action sur un ensemble suffisant pour promouvoir une politique technique globale, ni de disposer d’un réseau technique polyvalent. Les collectivités locales, spécialement les Conseils généraux, ne semblent pas contester ce besoin d’une politique d’innovation, concertée, pilotée au niveau national.

d. Appréciations sur l’efficacité des procédures

Des procédures diverses et sectorielles

« En ce qui concerne les procédures d’aide à l’innovation :

• Appréciation de l’efficacité des différentes phases de la procédure

- quelle appréciation porter sur la mise en œuvre et le déroulement des différentes phases de la procédure au niveau administratif ?

- les procédures d’évaluation des produits ont-elles bien pris en compte les préoccupations de vieillissement et permettent-elles de détecter les risques de dégradations prématurée ?

• Évolution des procédures : quelles procédures permettraient, dans le cadre juridique actuel (notamment nouveau code des marchés publics), de poursuivre une politique efficace d’aide à l’innovation ? »

Cette partie traite des procédures existantes. Il est important de noter que l’évolution forte des champs de l’innovation n’a pas encore induit d’évolution des procédures.

1. Éléments communs aux différentes procédures :

Dans l’ensemble les innovateurs utilisant ces procédures considèrent que les rapporteurs, les experts et les gestionnaires de ces procédures sont compétents et travaillent dans un esprit constructif de service public. Ils estiment que c’est très important pour ce type de mission où il faut allier qualité d’écoute, précision dans les informations, fermeté sur le fond… Plusieurs innovateurs considèrent que le dialogue avec ces rapporteurs, les commissions ou les experts du réseau technique a vraiment permis de faire progresser leur proposition sur le fond (technique, scientifique, montage de consortiums le cas échéant…)

Parmi les axes d’améliorations possibles, on peut citer :

• La nécessité de progresser pour que les critères effectifs de choix soient transparents et explicités aux demandeurs dès l’amont, même quand ces critères s’enrichissent par l’expérience,

• L’importance d’accueillir les différents demandeurs avec le même niveau de qualité, y compris les représentants de PME ou les personnes implantées en province, dont l’information préalable est inférieure à celle des autres demandeurs,

• Il existe toujours des cas particuliers dans lesquels la gestion d’une procédure s’affaiblit, s’alourdit ou se ralentit ; l’existence d’un nombre limité d’indicateurs de « vitalité du processus » et/ou de « performances » permettrait d’avoir une bonne réactivité ; il devrait être clair que les responsables hiérarchiques des gestionnaires des procédures ont un « devoir d’enquête de satisfaction client ».

La question de la gestion des délais est celle qui revient le plus dans les demandes d’améliorations par les usagers de ces procédures. Ce sont des demandes fortes qui méritent d’être vraiment entendues. Cette question peut être abordée selon quatre axes :

• Les délais d’instruction technique globaux pourraient souvent être améliorés par une transparence de qualité consistant à mieux communiquer dès l’amont les éléments demandés et les critères de décision de la procédure.

• Les délais de finalisation financière, lorsqu’il y a des contrats, sont parfois plus longs que l’instruction technique et devraient pouvoir être sensiblement raccourcis.

• Du point de vue de l’intérêt collectif, il pourrait être très utile, qu’à moyens constants, les dossiers correspondant à une innovation qui répond à un besoin important et urgent reçoivent un traitement volontairement accéléré. Actuellement des innovations dont les enjeux varient de 1 à 100 sont traitées pratiquement de la même façon. Ceci n’a évidemment rien à voir avec du favoritisme : l’étude économique ou de marché est censée quantifier ces aspects au moins en ordre de grandeur.

• Pour toutes les innovations dont le délai global d’attribution d’un avis dépend de la performance dans la durée, il serait raisonnable que cette durée soit fixée par une analyse comparative de risques et d’opportunités prenant en compte le risque de se tromper dans l’avis (qui doit demeurer faible mais n’a pas besoin d’être quasi-nul) et les risques tout aussi réels que le marché utilise dans l’intervalle des produits significativement moins performants, ou que l’acteur innovant perde son dynamisme à force d’attendre. Un grand industriel innovant américain d’un acier spécial contre la corrosion parlait de «la dictature et des querelles d’experts» du fait que le processus d’évaluation total prenait 15 ans alors que le coût de la corrosion aux USA est évalué à 360 milliards de dollars par an…

Les préoccupations de vieillissement et la détection des risques de dégradation prématurée sont-elles prises en compte ? Il a effectivement existé dans le passé tant pour les ouvrages d’art que pour les chaussées, quelques cas patents où cette prise en compte a fait défaut. Avec le recul et en analysant les coûts globaux, ce risque peut être considéré en général comme raisonnablement bien géré. Toutefois, comme le poids des enjeux d’entretien à budget limité augmente pour tous les maîtres d’ouvrage, trois axes d’amélioration peuvent être proposés :

• La science de la durabilité des matériaux et des structures a fait récemment des progrès sensibles, les outils correspondants devraient être mieux diffusés et utilisés (cf. un des prix FNTP pour les travaux universitaires à TP Tech 2003).

• Les outils d’analyse de risques ont beaucoup progressé et, associés à une bonne gestion des connaissances techniques spécialisées, ils peuvent éclairer efficacement une étude des dégradations prématurées.

• Statistiquement, les dégradations réelles semblent correspondre le plus souvent à des types de sollicitations ou à des phénomènes non prévus ou non analysés lors de l’évaluation, ou encore à des intuitions d’experts non explicitées. L’ouverture du dialogue lors des délibérations d’évaluation et la présence de personnes d’expériences contrastées peut constituer un antidote contre ces risques (un universitaire scientifique et un homme à forte expérience opérationnelle, un responsable technique d’entreprise et un exploitant, etc.)

Ce qui frappe cependant, c’est la dispersion des procédures et leur différenciation progressive.

2. L’évolution nécessaire de chaque procédure a fait l’objet d’une écoute des propositions des gestionnaires qui vivent avec ces procédures au quotidien, et du retour des utilisateurs de ces procédures.

a) Les « chartes innovations »

Chaque charte a ses spécificités, mais leur évaluation d’efficacité présente de nombreux points communs :

• Comme le chantier expérimental est incontournable dans le processus d’innovation routière, la procédure des chartes est importante et doit être conservée, ce qui n’exclut pas plusieurs adaptations. Le déblocage du volet contractuel en relation avec le code des marchés publics est urgent et important.

- Le fait que chaque charte associe un acteur spécifique (USIRF, SPEC BEA, FNTP, ASFA, Cofiroute, Conseils généraux) est un facteur favorable pour l’appropriation de la démarche commune, la mobilisation des bons interlocuteurs et la spécificité du suivi correspondant. Il faut simplement vérifier régulièrement que la dynamique reste présente et justifie les moyens correspondants : ainsi une certaine forme d’émulation par circulation des bonnes pratiques serait utile, de même que l’arrêt de quelques chartes pour lesquelles la demande, l’offre ou le dynamisme ne sont plus suffisamment forts. Une politique de soutien à l’innovation dans un contexte de moyens humains et financiers limités se doit d’être sélective.

• Beaucoup d’acteurs tant publics que privés considèrent que le processus des chartes s’essouffle et manque actuellement de projet d’avenir.

Relancer activement le processus, en coordination avec le déblocage des chantiers expérimentaux, serait utile, accompagné des mesures suivantes :

• Profiter de cette relance pour bâtir avec les différentes maîtrises d’ouvrages concernées et les professions volontaires, un projet commun actualisé ;

• Analyser plus en profondeur les besoins importants des acteurs et garder un processus suffisamment léger pour fonctionner efficacement avec des moyens réalistes et des délais raccourcis (optimisation de processus par type de produit quand les besoins sont très différents, en explicitant éventuellement des étapes pour pouvoir utiliser les bons résultats au bon moment) ;

• Participer à une priorisation des vraies demandes d’innovation, quitte à traiter différemment les cas d’améliorations incrémentales et les cas de familles de produits similaires ;

• Étudier l’extension des chartes au domaine des terrassements ; mais comment associer les bons interlocuteurs sans alourdir le processus d’ensemble ?

• L’extension des chartes au groupe cible des innovations dans le champ des maîtres d’œuvre est nécessaire (question similaire à celle du paragraphe précédent).

• Ce processus de relance et d’extension des chartes exige un pilotage de qualité pour garder un outil efficace, simple, réactif, et qui reste au service du bien commun, malgré des objectifs parfois contradictoires.

La charte innovation sous forme de « convention avec les Conseils généraux » mérite d’être fortement développée : les opportunités sont nombreuses, les enjeux sont à la fois stratégiques et quantitativement importants (environ 5 milliards d’Euros d’investissement par an) ; il existe une forme constructive d’émulation entre les Départements dans le cadre de cette charte, les contrats triennaux facilitent les aspects contractuels pour les chantiers expérimentaux. Il semble que ce soient les moyens de suivi centraux qui sont actuellement sur le chemin critique, alors que cet enjeu est fondamental pour l’avenir de la politique française d’innovation routière.

Les synergies de la direction des Routes avec les associations représentant les maires (AMF) et les communautés d’agglomération, ainsi qu’avec celles de leurs ingénieurs (AITF par exemple) dans le domaine de l’innovation routière, pourraient être encore plus développées (en liaison avec le CERTU) compte tenu de la tendance lourde de l’augmentation progressive des enjeux urbains.

b) Les « procédures contractuelles classiques » :

Dialogue compétitif, conception-réalisation, marché de définition, et appel à proposition sont des outils utiles pour ce qui concerne l’innovation, chacun avec son propre domaine d’emploi :

• « Le dialogue compétitif s (ex sappel d’offre sur performance ») exige que les performances puissent être bien décrites et contrôlées. Dans le secteur routier cette exigence atteint vite ses limites, notamment en matière de durabilité et de tenue sous trafic. Il est à signaler que la Banque Mondiale a récemment développé des dossiers routiers types sur ce sujet difficile. L’expérience du viaduc de Meaux, très instructive, pourrait être répétée sur des ouvrages moins grands, et plus souvent. Cette procédure est adaptée au développement commercial d’une solution innovante, mais présente en pratique aussi des limites :

- difficulté de choisir, sur dossier, des performances qui doivent être respectées à long terme, . les maîtres d’ouvrage refusent souvent de prendre une solution non labellisée,

- actuellement la performance demandée reste parfois trop vague selon les entreprises,

- pour l’administration, l’organisation de ce type de marché est plus difficile à concilier avec les impératifs de délais, respect des coûts et qualité que les appels d’offres avec variantes.

- La « conception-réalisation », souvent développée avec d’autres objectifs que l’innovation, crée un cadre incitatif pour l’innovation et l’optimisation des projets, et ceci d’autant plus que les différents acteurs (entreprise, ingénierie intégrée et maître d’ouvrage) sont techniquement compétents pour tirer parti des flexibilités offertes, et rigoureux pour ne pas jouer sur la qualité finale.

- Les « marchés de définition » sont générateurs d’innovation et d’optimisation de projet, notamment en ingénierie. La formulation fonctionnelle de leurs objectifs peut être un important levier d’innovation. Dans les consultations de maîtrise d’œuvre, pour inciter les bureaux d’études à l’innovation, au vu des procédures actuelles, il existe deux types de consultations possibles :

- celles où le bureau d’études répond à un cahier des charges présentant sa méthodologie et le coût de ses prestations à partir du programme présenté par la maîtrise d’ouvrage (appel d’offres ouvert ou restreint),

- celles où le bureau d’études, en complément des réponses ci-dessus, travaille sur le projet, et s’engage sur des objectifs de coût, de délai, de respect de l’environnement et de qualité de l’ouvrage…

Cette phase d’appropriation du projet par le bureau d’études, qui se poursuit par une phase de négociation avec le maître d’ouvrage, fait appel à la créativité des ingénieurs des bureaux d’études, qui sera d’autant plus stimulée que le maître d’ouvrage en aura fait son critère de jugement.

Les marchés de définition et les concours correspondent à cette démarche et ils pourraient être plus souvent utilisés dans les infrastructures, en particulier pour stimuler l’innovation.

• Les « appels à proposition » semblent bien adaptés aux cas où la demande d’innovation peut être bien ciblée et où l’offre « d’innovations en carton » existe. Le RGCU a fait récemment deux appels à proposition qui ont été utiles. Lorsqu’un sujet n’est pas assez mûr (demande et/ou offre), le passage préalable par un « appel à idées » est efficace. Le Prédit et les PCRD ont une large expérience dans ces domaines.

• Les « appels d’offre avec variante d’entreprise » (voir C.3.d 4).

c) Les « concours de techniques innovantes »

Ils peuvent être très efficaces quand la demande d’innovation est importante et assez précise, et que l’offre est bien mûre. Ceux lancés en 1983 par le directeur des Routes ont été très utiles. Toutefois l’un d’entre eux n’a pas été jusqu’au bout du processus puisque les chantiers en aval n’ont pas pu se matérialiser pour des raisons déjà contractuelles. Plus récemment, cette procédure a été réutilisée avec succès pour des glissières de sécurité mieux adaptées à la sécurité des motocyclistes.

d) Les « avis techniques du Comité français pour les techniques routières (CFTR) » (voir annexe F 7 b) sur l’aptitude à l’emploi de procédés, produits et matériels, lorsque la normalisation ne permet pas de prendre totalement en compte leur nouveauté ou leur particularité, constituent un outil utile de soutien à l’innovation, notamment pour les produits spéciaux d’entreprise. Toutefois les progrès y sont surtout incrémentaux et la gestion des délais pourrait être améliorée. Les entreprises apprécient cette labellisation tant pour la France que pour l’international, et notamment pour l’Europe à 25. Certains pays ont imité le système français. Les avis techniques se situent en bonne complémentarité, en aval des chartes. La synthèse du suivi de la tenue sous trafic des différents chantiers ayant utilisé un même produit constitue un service pour les maîtres d’ouvrage. Il faut simplement veiller à ce que l’énergie (en temps et en coût) mise par les différents acteurs reste bien proportionnée par rapport aux enjeux, et ceci dans une vision d’aujourd’hui et de demain. Dans le cas contraire, il faudrait une démarche « d’analyse de la valeur » pour garder l’essentiel de la valeur ajoutée créée mais pour un coût moindre. Un prolongement au niveau européen pourrait être envisagé, analogue au domaine de la construction (cf l’annexe F 15 c sur le CSTB). Avec le temps, si les procédés anciennement nouveaux se normalisent, est-ce que la délivrance d’un certificat de conformité ne suffirait pas pour ces produits ?

e) La « Commission des grands matériels du CFTR » et les recherches associées font l’objet d’une annexe détaillée (F 8). Le contexte a beaucoup évolué depuis l’origine de ces recherches et de cette procédure, qui ont été très utiles pour l’innovation. Il serait opportun de réfléchir à de nouvelles approches permettant de prendre en compte les nouvelles questions qui se posent aujourd’hui : examen global des besoins actualisés majeurs des différents acteurs (maîtres d’ouvrage, entreprises, fabricants de matériels), étude des moyens appropriés pour y répondre.

En tout état de cause, la valorisation à l’échelle européenne des acquis des trois dernières décennies en la matière paraît être un axe de progrès qui combinerait bien l’avance technique, méthodologique et organisationnelle, les enjeux de demain, et la mondialisation du marché des grands matériels routiers.

f) L’IVOR : ce label de validation d’une innovation mise en œuvre dans un ouvrage construit de référence a contribué à la valorisation de 25 innovations (voir annexe F 7 d). Toutefois la proportion de ces innovations qui ont eu une large diffusion commerciale est aujourd’hui très faible. L’utilisation de la grille de sélectivité du « Technology Implementation Group » de l’ASSHTO pourrait répondre à cette question (voir annexe F 18).

Comme la valorisation en général est un des maillons de la chaîne du soutien à l’innovation, qu’il faut développer fortement, il paraîtrait approprié de réfléchir à la meilleure façon dont cette procédure bien rodée pourrait être mieux intégrée dans un « label unique unificateur » :

- en complémentarité plus efficace avec les autres procédures situées en amont,

- et dans une stratégie de valorisation offensive bien ciblée par rapport aux enjeux prioritaires.

g) Le PREDIT est un des outils importants de la politique de soutien à l’innovation de plusieurs ministères. Comme son champ d’action « transport » couvre peu l’infrastructure routière, il a été peu analysé dans le cadre de cette évaluation, mais les interviews qui le concernaient ont servi à identifier des bonnes pratiques de soutien à l’innovation.

h) Le Réseau Génie Civil et Urbain (RGCU) présente des avantages et des besoins d’évolution. Pour plusieurs directions des Routes étrangères, il s’agit d’un dispositif performant propre à la France.

C’est un outil puissant de soutien à l’innovation dans le domaine du génie civil et urbain car :

• La règle du jeu que les projets soient proposés par un vrai « réseau » maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprise, laboratoire public ou privé, aide à débloquer des barrières organisationnelles et à mobiliser les laboratoires du secteur comme les laboratoires universitaires. Le fait que le RGCU soit un des réseaux technologiques soutenus par le ministère de la Recherche est aussi un atout important, tant financier que pour les bonnes pratiques apportées par les autres réseaux technologiques.

• La possibilité de financer des projets nationaux (nombre d’acteurs de 30 à 50), grâce à l’IREX, permet de pousser des innovations impliquant toute une « chaîne d’acteurs critiques » d’une façon cohérente. L’utilisation de ce dispositif doit être sélective, mais peut être très utile pour certaines innovations. La possibilité de combiner le « bottom-up » spontané sur des grandes thématiques prioritaires et le « top-down » répondant à des besoins émergents importants mais difficiles, sous forme d’appel à proposition, est efficace.

• Le cofinancement des projets (effet de levier de 4) et leur durée (2 à 4 ans) permet de travailler dès l’amont sur la valorisation.

• Le RGCU est un lieu de contact privilégié et régulier avec le tissu professionnel, ce qui favorise le développement de consensus sur des stratégies d’innovation.

Des évolutions sembleraient aussi pertinentes :

• Une plus grande régularité de financement (essentielle pour le maintien du capital de confiance par les acteurs) ;

• Une plus grande efficacité de la synergie avec la direction des Routes, compte tenu de la bonne complémentarité avec les autres procédures ;

• La réduction des circuits administratifs (les délais de labellisation sont habituellement raisonnables) ;

• L’élargissement européen ;

• Une meilleure accroche régionale ;

• Un travail en coordination avec le ministère chargé de l’Environnement.

i) La Commission Nationale de l’Innovation sur les Matériels (d’entretien) – CNIM – possède un groupe de travail sur l’innovation. Il a produit des réalisations très intéressantes dans le passé (voir annexe F 13 décrivant un cas où le réseau humain des chefs de parc a constitué un atout important facilitant une valorisation accélérée).

Toutefois, l’évolution prévisible des parcs et les difficultés rencontrées pour faire converger des demandes multiples pour parvenir à un marché rentable pour les maîtres d’ouvrage et les industriels, semblent justifier que ce volet de la politique d’innovation du Ministère soit ré-analysé dans ses objectifs et dans sa forme.

j) Le « Club des concepteurs routiers » développe son activité dans le champ de l’ingénierie publique du Ministère. Il soutient bien l’innovation par son effet de réseau et la valorisation des nouvelles méthodes qu’il facilite. Si l’on regarde les grandes missions du Ministère et leurs évolutions, ne serait-il pas innovant, mais raisonnable sur le fond et constructif sur la forme, de le faire évoluer ? Par exemple vers un club où l’ingénierie publique et privée relèveraient, ensemble et en complémentarité, certains des défis méthodologiques qui conditionnent leur efficacité et la compétitivité des acteurs à l’export ?

k) Autres outils de la politique d’innovation

• Le Comité Conseil à l’Innovation Routière (voir D7.3)

• Les innovations directement sorties du réseau technique ou des DDE sont très importantes en nombre et en enjeu. Elles n’ont pas constitué le champ principal de cette évaluation concentrée sur les mesures de soutien à l’innovation. Toutefois, elles sont présentes dans de nombreuses parties du rapport.

• Les différents lieux de synergie facilitant l’émergence des innovations sont des leviers importants, leur rôle est analysé dans la partie D 7.

• Les procédures générales (non spécialisées par secteur) comme l’ANVAR, le PCRD, Eurêka, etc. ont été analysées (voir les annexes correspondantes où sont présentées les complémentarités potentielles avec les procédures routières spécifiques).

C.3. Des faiblesses identifiées au cours de l’évaluation

Un bon support technique, des améliorations à rechercher : ouverture, valorisation

a. Une plus grande ouverture améliorerait les procédures et aiderait les acteurs de l’innovation

1. Les procédures de soutien actuelles sont souvent peu adaptées aux PME et aux bureaux d’études

Les PME ne peuvent en général pas accéder facilement aux processus d’innovation mettant en œuvre de grands chantiers. Ceci concerne les entreprises régionales de travaux, les entreprises spécialisées et certains fournisseurs. Les procédures nationales de soutien à l’innovation routière leur sont peu adaptées.

Les grands donneurs d’ordre n’exploitent pas suffisamment les capacités d’innovation « de rupture » des PME. En effet, souvent, la taille et les moyens de ces dernières ne leur permettent pas d’investir suffisamment en innovation ni de se protéger en propriété industrielle. D’autres pays (États Unis par exemple) ont développé des programmes spéciaux d’innovation routière pour les PME. De la même façon, le 6e PCRD européen affecte 15 % des crédits des priorités thématiques aux PME, ce qui illustre les enjeux de l’attention portée aux PME.

Les chartes innovations ont été conçues pour les entreprises car ceci correspond à un besoin important. Mais il n’a pas été prévu de traiter le cas d’innovation portée par un bureau d’étude. Pourtant leurs relations avec de nombreux acteurs peuvent générer des innovations intéressantes ; par ailleurs les références françaises d’innovation sont très utiles à l’export d’ingénierie, avec un large impact.

Le renforcement de la concurrence entre les bureaux d’études privés nécessite une réflexion à plus long terme sur l’innovation permettant une contractualisation adaptée à la prise de risques que ces sociétés peuvent assurer. Les innovations réussies dans le passé sont souvent la résultante d’un bon partenariat maître d’ouvrage - maître d’œuvre, ou maître d’ouvrage - maîtres d’œuvre - entreprises. Si les acteurs concernés, et notamment le Ministère, n’engageaient pas cette réflexion sur l’innovation par les bureaux d’études, d’une part pour ce qui concerne les études d’ingénierie et d’autre part concernant leur cadre contractuel, cela entraînerait immanquablement un nivellement par le bas de l’ingénierie française.

La comparaison des systèmes d’incitation à l’innovation pour les bureaux d’étude, entre la France et les pays anglo-saxons (Royaume-Uni, États-Unis) montre que le mode de paiement en « cost  fee » et/ou leur responsabilisation juridique systématique et complète démotivent fortement les bureaux d’études en matière d’innovation et ont donc un impact négatif considérable à long terme sur leur capacité d’optimisation des projets. Cet aspect se répercute négativement sur toute la chaîne aval de l’innovation, y compris in fine, sur les coefficients de sécurité trop élevés dans les normes et le coût des ouvrages (une entreprise travaillant beaucoup dans les deux contextes anglo-saxon et français mentionnait le chiffre de 10 % de matériaux exigés par les textes anglo-saxons sur un ouvrage d’art, pour les mêmes objectifs de charges et de performances, en comparaison avec le règlement français). Garder un système où les maîtres d’œuvre peuvent être de vrais acteurs de l’innovation est important, les pays qui l’ont oublié le paient très cher.

2. Les partenariats industriels d’innovation routière ne sont pas ouverts hors du champ des entreprises routières

Des facteurs importants de l’innovation sont constitués par l’apport de techniques étrangères au domaine routier. Aujourd’hui les industriels hors route sont peu impliqués dans le processus d’innovation routière alors que leur rôle, déjà très important se renforcera dans le futur, comme le montre le développement de l’innovation par transfert dans d’autres secteurs industriels. On peut citer comme exemple de techniques susceptibles d’apport au secteur routier : chimie, bruit et acoustique, environnement, technologies de l’information et la communication, services…

3. L’innovation routière est presque exclusivement soutenue par le ministère de l’Équipement, et très peu par l’ANVAR, le PCRD…

Les soutiens à l’innovation les plus utilisés aujourd’hui sont les procédures spécifiques au domaine routier et notamment les chartes d’innovation routière (jusqu’à l’arrêt de la procédure utilisée pour les chantiers expérimentaux). Par contre les procédures dites classiques (intersectorielles) ne sont que marginalement utilisées (voir en annexes F 7 et F 19 les fiches procédures et la liste des procédures de financement de projets innovants ou technologiques) :

- procédures régionales (CRITT, plate formes technologiques) ;

- procédures nationales (ANVAR, agences, réseaux et programmes nationaux) ;

- européennes (PCRD, Eurêka).

Le Prédit et le RGCU sont des exemples de bonnes pratiques de cofinancement de l’innovation par d’autres ministères que le ministère de l’Équipement. En dehors de ces deux cas, on trouve peu de partenariats entre ce ministère (direction des Routes) et d’autres ministères ou agences sur le thème du soutien à l’innovation (contrairement à la Défense notamment).

A noter que les entreprises du domaine du BTP sont exclues du cadre de la procédure FRAC (Fonds Régional d’Aide au Conseil).

4. Les grands centres et organismes nationaux de recherche sont absents de la démarche d’innovation routière

Au cours de l’évaluation il n’a été rencontré que très peu de projets ou de procédures impliquant des organismes tels que le CNRS, le CEA, l’École des Mines, le BRGM, dont les compétences pourraient être mises à profit sur des sujets de recherche fondamentale impliquant le secteur routier. Dans les domaines qui le nécessitent, le LCPC peut être un relais développant des équipes mixtes avec de tels organismes pour répondre à un enj eu fort d’innovation.

5. Les acteurs institutionnels de l’innovation routière française sont peu ouverts sur l’Europe, au regard des enjeux

En dehors des réunions périodiques entre les directeurs des Routes européens et leurs adjoints, du FEHRL avec le LCPC, de réunions de travail avec des pays européens (Allemagne, Royaume-Uni, Suisse, Belgique) du SETRA, et de certaines manifestations internationales (AIPCR par exemple), les échanges entre responsables de procédures et leurs collègues ou les agences européennes équivalentes semblent être actuellement limités et peu structurés, en regard de la préparation des enj eux de demain. Le 6e PCRD déçoit actuellement de nombreux acteurs français du BTP. L’efficacité des complémentarités public / privé sur ces sujets difficiles mais importants devrait progresser.

Les gestionnaires de procédures (DR, SETRA, DRAST) pourraient éventuellement envisager une extension européenne de ces procédures, en observant que certains s’y intéressent déjà et ont des projets en cours (RGCU).

Nous ne partons donc pas de zéro, mais l’accélération de la dimension européenne et l’importance de développer des innovations efficaces lorsque des solutions existent parfois déjà ailleurs, justifieraient un effort plus intense pour mieux préparer l’avenir. Une des difficultés à résoudre est la grande continuité que nécessite le développement de contacts internationaux efficaces, qui se heurte à l’accélération de la rotation des personnes qui occupent les postes correspondants en France. Une dimension spéciale de la capitalisation des connaissances pourrait contribuer à une solution.

6. L’innovation en direction départementale de l’Équipement (DDE) aujourd’hui

De nombreuses interviews ont formulé en des termes différents mais convergents une tendance claire qui a un impact significatif sur le processus d’innovation :

- La force et la motivation d’innovation des DDE ont progressivement, mais nettement diminué sur les deux dernières décennies,

- Certaines formes d’application de la normalisation et des contraintes contractuelles croissantes ont contribué à diminuer la liberté d’innovation.

- Le poids fortement croissant du juridique induit progressivement des attitudes qui nuisent significativement à l’innovation.

- Le poids croissant de l’ensemble des procédures administratives diminue mécaniquement le temps laissé pour la réflexion, la capitalisation de l’expérience technique, l’innovation.

b. L’émergence de nouveaux maîtres d’ouvrage acteurs de l’innovation

La décentralisation, qui se développe largement dans le domaine routier, a multiplié les maîtres d’ouvrage : Conseils généraux des départements, Communautés d’agglomérations et de communes, Mairies, Conseils régionaux, concessionnaires d’autoroutes et d’ouvrages. La légitimité de la direction des Routes à promouvoir l’innovation routière est confirmée par la décentralisation qui conforte son rôle de pilote de la politique routière nationale : la dispersion des maîtres d’ouvrage ne permet à aucun, en dehors de la direction des Routes, d’avoir la connaissance générale ni les moyens d’action sur un ensemble suffisant pour promouvoir une politique technique globale, ni de disposer d’un réseau technique polyvalent. Il appartient donc à la direction des Routes de coordonner l’animation de ces multiples maîtres d’ouvrage sur l’innovation et d’organiser les relais nécessaires.

Il convient de rechercher les opportunités pour inciter de nouveaux maîtres d’ouvrage à prendre leur part de l’innovation. Les conventions qui commencent à lier le SETRA et les maîtres d’ouvrage des collectivités locales dans les départements doivent être largement développées. Il serait utile que le cadre général fasse l’objet d’un accord de l’ensemble des Présidents de Conseil généraux, ce qui favoriserait des relations multilatérales plutôt que bilatérales. La direction des Routes pourrait par exemple apporter les prestations du réseau technique pour instrumenter des chaussées innovantes, évaluer le volet « innovation » de l’étude préalable au choix d’une technologie, suivre les performances dans le temps. Le réseau technique pourrait par ailleurs se voir confier la responsabilité de développer une base de données facilement accessible aidant tout maître d’ouvrage à trouver les innovations les mieux adaptées à ses besoins ou celles qui nécessitent de trouver un maître d’ouvrage volontaire pour lancer un chantier expérimental.

c. La remontée, l’évaluation et la priorisation des besoins d’innovation gagneraient à être structurées pour fonder une démarche d’innovation plus efficiente

Pour définir la demande d’innovation, certaines « pièces du puzzle » existent (comités de pôle du LCPC, groupe de travail spécialisés ad hoc), mais la remontée des besoins, leur évaluation et leur priorisation ne font pas actuellement l’objet d’un processus structuré et complet pour le secteur routier. La Suède et les Pays-Bas ont développé des initiatives de ce type.

Les besoins exprimés par la DR, l’offre et les projets de la DRAST, les remontées des besoins opérationnels par les laboratoires régionaux ne sont pas inclus dans une approche systématique. De ce fait, la demande est perçue comme trop éclatée, et on perd une possibilité de dynamisation.

Le SETRA, bien que demandeur d’une formulation fonctionnelle des besoins d’innovation, se sent également peu impliqué actuellement dans une évaluation systématique. Il répond plutôt au cas par cas aux besoins exprimés par la DR ou issus du terrain.

Par ailleurs, la satisfaction des besoins par les projets de R & D et d’innovation fait souvent l’objet d’une approche par métiers et par thème technique plus que par fonction utilisateur. Les procédures d’innovation routière sont souvent sectorielles (ouvrages d’art, chaussées) ce qui est très utile, mais non suffisant. L’approche transverse ou multidisciplinaire, plus difficile à développer, fait encore défaut.

La démarche AGORA 2020, exercice de prospective sur les besoins à 20 ans, semble prometteuse. Toutefois les résultats ne seront pas finalisés avant fin 2004 et l’horizon 2020 ne pourra donner qu’une vision prospective.

d. Les difficultés liées au code des marchés publics

Les chartes d’innovation, procédures parmi les plus efficientes, ont subi un coup d’arrêt soudain en avril 2001 : les pratiques d’attribution des marchés pour réaliser des chantiers expérimentaux (négociés sans mise en concurrence) ont été récusées par le ministère des Finances : « le besoin d’innovation ne constitue pas un motif justifiant l’absence de mise en concurrence «

Or les chantiers expérimentaux constituent une étape décisive de validation de l’innovation. En effet, les ouvrages routiers sont construits pour une longue durée (100 ans) ; les opérations d’entretien sont prévues pour tenir plus d’une dizaine d’années (par exemple le renouvellement des couches de chaussée). Comme la mise en œuvre est aussi un élément majeur d’une innovation, son suivi à partir d’un chantier est nécessaire pour en mesurer l’intérêt réel. Une planche d’essai, un test de laboratoire ne sont pas suffisants. Seule l’expérience d’un ouvrage réel sous trafic réel permet de vraiment valider une innovation sur la qualité et sur la durée. Les chantiers expérimentaux constituent donc une étape incontournable du processus d’innovation, c’est ce qui explique le blocage des chartes suite à cette décision.

Comment rendre les procédures compatibles avec le code des marchés ? La difficulté réside dans le fait que le maître d’ouvrage, s’il est d’accord pour expérimenter l’innovation, ne peut s’adresser pour ce faire qu’à la seule entreprise porteuse de l’innovation, donc sans la mettre en concurrence. Différentes pistes ont été examinées selon le nouveau code des marchés (décret 2004-15 du 7 janvier 2004) et à la lumière de la directive européenne (2004/18/CE du 31 mars 2004). Le code des marchés (mais non la directive européenne) introduit un nouveau critère pour le choix des offres « la personne publique se fonde sur divers critères… notamment… le caractère innovant de l’offre… » (article 53-II) Il s’agit cependant de concrétiser ce principe qui ne semble pas suivi de développements particuliers correspondant à notre cas. Le secteur routier paraît tout désigné pour commencer à lui donner un contenu efficace.

Il convient d’abord d’écarter les pistes qui paraissent en impasse :

• Continuer à passer des marchés négociés sans publicité ni mise en concurrence (ex article 104-II-2°) contrevient à deux principes : transparence et mise en concurrence. L’instruction du 28 août 2001 précisait que « pour les marchés conclus à des fins de recherche, essai, expérimentation… aucune dérogation n’est prévue à l’obligation de publicité et de mise en concurrence. » (ex article 35.I.3°). Tenter de faire modifier dans ce sens le nouveau code des marchés semble voué à l’échec car la nouvelle version transcrit la directive européenne qui retient elle-même ces deux principes.

• Considérer, dans le même esprit, que ces marchés « ne peuvent être confiés qu’à un prestataire déterminé » (article 35-III-4°) impliquerait qu’il n’existe pas de procédé classique pour réaliser les travaux. La jurisprudence confirme que cet article n’est pas applicable ici.

• Considérer que le code des marchés ne s’applique pas en vertu de l’article 3-6° relatif aux programmes de recherche-développement est une option qui a été étudiée en détail, mais la rédaction nouvelle du code restreint cette exclusion aux seuls « achats de service ». D’ailleurs la circulaire d’application précise que « cette exclusion ne concerne que les marchés de services, et non les marchés de fournitures et de travaux. »

• Mettre l’innovation comme objet du marché serait inexact, car la construction de l’ouvrage ou de la route est bien l’objectif premier, l’innovation étant testée à cette occasion.

• Les concours visent surtout les marchés de conception (article 38). S’ils ne s’appliquent pas à des chantiers expérimentaux, ils conservent un intérêt pour une innovation issue d’un bureau d’étude.

Aucune méthode ne répond directement à la question, mais plusieurs semblent susceptibles d’être utilisées, chacune devant être adaptée à un type d’innovation. Toutes impliquent que la possibilité d’innovation soit décidée en amont du choix du prestataire (transparence), ce qui ôte de la souplesse par rapport aux habitudes antérieures.

1. Les chantiers expérimentaux dont le coût est inférieur au seuil de 5,9 ME HT.

Dans ce cas l’article 35-I-5° du code permet de passer un marché de travaux négocié, après publicité préalable et mise en concurrence. En prenant comme critère premier du choix de l’offre son caractère innovant (article 53-II), il semble possible de retenir une entreprise présentant un procédé innovant.

2. Au-dessus de ce seuil, peut aussi être négocié, après publicité préalable et mise en concurrence, « un marché de travaux conclu uniquement à des fins de recherche, d’essai, d’expérimentation, de mise au point, d’étude ou de développement sans finalité commerciale immédiate » (article 35-I-3°). La difficulté réside à la fois dans l’interprétation donnée au terme «immédiat » de la finalité commerciale et au terme « uniquement à des fins d’expérimentation » puisque l’exécution des travaux a aussi pour but de réaliser un ouvrage public.

3. La procédure de conception-réalisation (article 37) concerne les ouvrages d’infrastructure publics dont le projet de définition et l’exécution des travaux font l’objet d’un seul marché selon l’article 18 de la loi MOP (n° 85-704 du 12 juillet 1985). Le recours à cette procédure doit être justifié par des motifs d’ordre technique : « Sont concernés des ouvrages dont la finalité majeure est une production dont le processus conditionne la conception et la réalisation, ainsi que des ouvrages dont les caractéristiques, telles que des dimensions exceptionnelles ou des difficultés techniques particulières, exigent de faire appel aux moyens et à la technicité propres des entreprises. » Un jury examine les candidatures ainsi que les prestations des candidats admis (article 69).

Cette procédure s’applique bien aux ouvrages d’art lorsque l’innovation concerne leur conception d’ensemble (exemple : viaduc de Meaux) et aux ouvrages où le porteur de l’innovation est le concepteur. Elle est moins adaptée aux chaussées où la durabilité est une performance essentielle de la construction routière, mais reste un facteur délicat, voire impossible à apprécier au moment de la construction. Ainsi le jugement des offres des entreprises pourra difficilement tenir compte de ce critère : comment alors choisir le lauréat si l’on ne peut apprécier l’innovation au moment du choix ?

Pour les rares cas où la loi MOP ne s’appliquerait pas à l’ouvrage concerné par le chantier innovant, la procédure du dialogue compétitif (article 36 ; ex appel d’offres sur performance) peut aussi s’appliquer lorsque « les personnes publiques se trouvent dans l’impossibilité objective d’évaluer ce que le marché peut offrir en termes de solutions techniques ou financières. Cette procédure offre aux acheteurs publics des possibilités bien plus larges de dialoguer avec les candidats au marché, afin d’améliorer la qualité et le caractère innovant des propositions qui leur sont faites. »

4. La variante d’entreprise paraît une solution utilisable pour le chantier expérimental. Mais il convient que l’appel d’offres ne l’ait pas exclue et ait prévu des critères facilitant le choix de l’innovation : placer certaines performances avant le prix. La variante d’entreprise (article 50) présente peu de souplesse pour la mise au point technique des offres. Le marché lui-même doit contenir des dispositions relatives aux conditions d’évaluation, de réception et de garantie.

Cette procédure s’applique facilement si le procédé innovant est d’un coût comparable aux méthodes classiques et si les avantages attendus sont clairement appréciables. Elle est bien adaptée aux « innovations d’amélioration » portées par une entreprise.

Une circulaire de la direction des Routes et un guide SETRA récents encouragent cette façon de procéder et en décrivent les règles d’utilisation.

5. Les petits lots. L’article 27-III qui traite des marchés à lots pourrait s’appliquer aux chantiers dont une partie seulement est expérimentale : « Il est possible de conclure des marchés passés [selon les modalités déterminées par la personne responsable du marché (article 28)] pour les lots de travaux inférieurs à 80 000 E HT dans le cas de marchés de travaux inférieurs à 5,9 ME HT. Pour les marchés dépassant 5,9 ME HT, cette procédure est possible pour les lots inférieurs à 1 ME HT. Dans tous les cas, le montant cumulé de ces lots ne doit pas excéder 20 % de la valeur de l’ensemble du marché. Cette possibilité ouvre une nouvelle méthode permettant de passer un marché avec une entreprise pour l’ensemble d’un chantier et de procéder à une expérimentation sur une partie technique (un lot).

Le choix d’une innovation sur un chantier sera plus facile si l’innovation répond à une demande publiée au préalable par le maître d’ouvrage, par exemple sous forme d’un programme de progrès techniques attendus ou d’appel à innovation dans un champ déterminé. Ainsi la publicité et la mise en concurrence auront été engagées bien en amont du marché. Ce programme pourra être l’œuvre commune de l’ensemble des maîtres d’ouvrage français (ou même européens) dans un certain domaine.

Il convient de distinguer les chantiers d’expérimentation selon leur coût ( par rapport au seuil de 5,9 ME HT), selon leur type (avec ou sans conception) et selon que l’innovation porte sur tout l’ouvrage ou sur une partie seulement.

Aucune procédure ne répond exactement à l’objectif recherché par le chantier expérimental. Il reste donc à faire des simulations sur des cas concrets de chaussées et d’ouvrages d’art pour valider d’une façon robuste les solutions à retenir, leurs domaines d’emploi appropriés, et les façons pratiques fiables de les mettre en œuvre. Une validation du Ministère des Finances serait opportune.

e. Plusieurs labels reconnus mais dispersés

Actuellement les principaux labels reconnus de l’innovation routière sont : IVOR, CFTR, la charte innovation avec les certificats de bonne fin du SETRA, RGCU… Chaque procédure a évolué en se spécialisant progressivement sur un des métiers de la route. Chaque dénomination n’est identifiée que par ses spécialistes, qui souvent connaissent à peine les autres procédures (triste constat des interviews !). Ce manque d’unité et de cohérence fait que même les ingénieurs français ne s’y retrouvent pas. Les évolutions fortes vers la décentralisation et l’Europe renforcent l’inconvénient de cette dispersion qui nuit à la lisibilité et donc à l’impact final.

Un sigle qui coifferait l’ensemble et permettrait de repérer l’étape à laquelle est parvenue l’innovation (cf. tableau B 2) faciliterait la compréhension, et donc la diffusion de ces procédures en France comme à l’étranger.

f. De fortes compétences techniques insuffisamment valorisées

La France est reconnue pour ses compétences techniques routières mais a des difficultés à les valoriser pleinement. La méconnaissance des procédures par leurs bénéficiaires potentiels est un premier frein à la valorisation des innovations.

Les procédures de soutien ne font pas assez l’objet d’une promotion systématique par le Ministère :

• Les gestionnaires de certaines procédures ne se donnent pas pour objectif de promouvoir l’utilisation de leur procédure,

• L’analyse détaillée du fonctionnement quotidien montre qu’à quelques exceptions près, les procédures de soutien sont gérées indépendamment et sans approche globale ; il existe de très bonnes pratiques qui gagneraient à être partagées, des problèmes très communs dont la solution serait plus facile à trouver par un travail ensemble…

• Le niveau de connaissance des procédures par les entreprises est très inégal, très faible chez les PME, notamment les objectifs de chaque procédure, leurs domaines d’application, et leurs vrais critères de choix.

De ce fait, de nombreux projets innovants échappent aux procédures et leur valorisation est faite de façon diffuse et sans reconnaissance institutionnelle.

La valorisation et la promotion des innovations ne sont pas suffisamment intégrées dans les procédures. La valorisation est en général peu suivie par les gestionnaires de procédures.

Ce sujet se présente de façon très variable suivant l’objet de la procédure (amont, aval). Surtout, lors de la contractualisation d’un soutien, ni la procédure, ni ses gestionnaires n’imposent de consacrer une partie du budget à la promotion de l’innovation, contrairement par exemple aux États-Unis où existent des procédures spécifiques à la valorisation (par exemple le « Technology Implementation Group », cf. annexe F 18).

Certaines procédures nationales organisent cependant des séminaires annuels de promotion des innovations (journées du RGCU). Les avis techniques et IVOR diffusent régulièrement leurs résultats. Un travail en commun des gestionnaires de procédures pourrait beaucoup dynamiser la valorisation.

L’utilisation des innovations par les entreprises aidées n’est en général pas suivie par les gestionnaires des procédures (par manque de temps?). Par conséquent, il est très difficile d’estimer la valorisation effective de l’innovation suite au soutien du Ministère. A titre d’information, la plupart des aides apportées par l’ANVAR sont sous formes d’aides remboursables et les chargés d’affaires continuent à suivre l’entreprise après la fin du soutien effectif.

Les procédures de sélection des projets innovants n’utilisent pas systématiquement des critères économiques.

Les procédures actuelles de soutien à l’innovation n’intègrent pas suffisamment l’analyse économique de l’innovation lors de la sélection des projets et ce, quel que soit le type ou le stade de projet d’innovation (recherche, développement, test). Aujourd’hui l’innovation n’est confrontée au marché qu’a posteriori.

Les dossiers de demande d’aide Eurêka ou ANVAR par exemple comportent une partie importante et détaillée de description du potentiel économique de l’innovation, il serait intéressant de s’en inspirer.

La situation actuelle est incertaine et parfois paradoxale :

• Les entreprises demandent souvent une complète autonomie sur tout ce qui concerne le volet économique.

• Les mêmes entreprises se plaignent amèrement quand parfois, après sept années coûteuses de tests et de chantiers expérimentaux et l’obtention d’un label, la diffusion sur le marché ne se fait pas.

• Les gestionnaires de procédure innovation ont certaines informations sur le marché, mais souvent leur dialogue avec les entreprises sur ce sujet est, soit très partiel, soit peu approfondi.

• Il arrive même, exceptionnellement, que des réunions sur des procédures donnent un feu vert, alors qu’individuellement les experts ont déjà l’intuition claire que le marché ne sera que marginal.

Il est fondamental de casser, rapidement et au fond, ce risque de cercle vicieux qui coûte cher à tous les acteurs.

Des pistes de solutions existent :

L’analyse technico-économique de l’innovation devrait être un des critères incontournables du soutien et le Ministère devrait l’imposer clairement (en amont et en aval).

Les complémentarités des différents acteurs doivent être précisées :

• Les promoteurs d’innovation doivent aborder d’une façon appropriée dans leur dossier la question du besoin (qualitatif et quantitatif) et pourquoi l’innovation proposée y répond effectivement.

• Les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les laboratoires présents dans la commission ou les rapporteurs doivent analyser professionnellement ces données et apporter tout aussi professionnellement des éléments sur la quantification du marché et sur la valeur ajoutée pour le client (au moins qualitativement). S’il existe un besoin de formation sur ce sujet difficile, pourquoi ne pas concevoir cette formation ?

Ce dialogue doit être de qualité, car toute innovation a aussi un aspect d’investissement collectif. Certaines procédures gardent déjà une trace écrite de ce dialogue pour que chacun prenne clairement la responsabilité qui lui revient. Dans certains cas l’écrit correspondant doit évidemment rester confidentiel.

La valorisation a posteriori des innovations est couramment pratiquée par les entreprises

Les grandes entreprises s’appuient sur leurs innovations pour asseoir une partie de leur notoriété. L’innovation contribue souvent à l’image de marque de l’entreprise.

La valorisation des innovations soutenues n’est jamais gagnée d’avance pour les entreprises et doit faire l’objet d’un effort de promotion important. Une grande entreprise cite le cas d’une innovation soutenue, il y a plusieurs années, par la procédure des chartes et qui n’a pu être exploitée que dans un seul projet à ce jour.

La reconnaissance à l’international des entreprises françaises est en partie, mais néanmoins largement, soutenue par les réalisations en France validées par le Ministère. Les références labellisées sont un atout commercial fort à l’international, notamment dans certains pays proches de la culture technique française ou pratiquant une approche similaire de labellisation.

g. Le rôle essentiel du réseau scientifique et technique

De nombreux interlocuteurs ont souligné le rôle important du réseau scientifique et technique du Ministère. Il est le prolongement indispensable de la politique d’innovation de la direction des Routes.

Sa qualité technique a apporté une garantie essentielle à tous les acteurs de la construction. Ses avis sont indépendants des intérêts des uns et des autres, mais surtout ils s’appuient sur une expertise reconnue. Celle­ci n’est pas seulement le fait d’experts isolés, mais d’un vaste réseau qui comprend aussi bien des théoriciens, des expérimentateurs en laboratoire que des praticiens des chantiers et des manières de faire des entreprises. Cet ensemble assure une veille continue de l’évolution des méthodes et peut détecter les sources d’innovation comme les dérives dangereuses.

Son impulsion encourage l’innovation. Le réseau constitue un lieu de rassemblement de spécialistes pour toutes sortes de réunions, non destinées particulièrement à l’innovation, mais celle-ci naît des confrontations et de l’avantage de travailler ensemble sur des questions ardues. C’est ici son rôle de creuset pour les différents acteurs de l’innovation.

La plupart des innovateurs rencontrés ont d’ailleurs confirmé qu’à un moment ou à un autre d’une innovation, ils ont contacté ou « sondé » quelqu’un du réseau scientifique et technique pour vérifier la pertinence de l’idée qu’ils suivaient. Ce contact les a encouragés ou conduits à des corrections ou ajustements utiles. La possibilité qu’a le réseau technique d’effectuer des essais accélérés (exemples : manège de fatigue, pistes d’essai, centrifugeuse, bancs d’essai des matériels…) dans les conditions d’environnement et de sollicitations maîtrisées, contribue beaucoup à l’efficacité des processus d’innovation concernés.

La disponibilité du réseau scientifique et technique à l’innovation des autres est remarquée par tous. Il apparaît clairement que l’efficacité de la politique d’innovation de la direction des Routes provient de la juste combinaison des crédits qu’elle apporte directement, des prolongements qu’elle organise, et du suivi et de l’expertise par le réseau scientifique et technique.

L’importance du réseau scientifique et technique est telle que beaucoup de nos interlocuteurs craignent son affaiblissement ou ses difficultés d’adaptation. Il apparaît essentiel que le réseau scientifique et technique se place correctement comme référence auprès des autres maîtres d’ouvrage de la route. Les efforts pour matérialiser cette orientation et pour renouveler des méthodes qui ont à s’adapter au contexte en évolution sont vivement souhaités.

Un risque constant pour les « réseaux » est de fonctionner en circuit fermé et de s’isoler ou se fractionner en « chapelles ». Il leur est nécessaire de maintenir constamment une ouverture large vers leur environnement. Les modifications, institutionnelles notamment, doivent être anticipées pour éviter que ce risque ne s’accentue dans la phase actuelle. Avec la décentralisation, de nouvelles liaisons, de nouveaux modes de relation doivent être organisés pour que le réseau technique reste, plus que jamais, au service de tous les maîtres d’ouvrage routiers français.

La pertinence du réseau technique sera d’autant plus forte que le triptyque « recherche scientifique et technique, contact étroit avec les opérationnels sur les chantiers, et valorisation rapide et professionnelle des résultats » sera en synergie efficace.

h. Le discernement du «bon niveau géographique de pertinence» par sujet : comment accélérer les prises de conscience des justes subsidiarités et aider les différents acteurs innovants à s’adapter ?

Dépenser beaucoup d’énergie dans une stratégie locale, quand un problème donné ne peut plus être traité efficacement qu’avec une vision européenne, est devenu du gaspillage : de telles situations commencent à se multiplier.

Les évolutions assez rapides et profondes :

• Des poids respectifs des environnements dans lesquels il est vraiment pertinent de poser un problème donné (mondialisation, importance croissante de l’Europe, décentralisation routière vers les départements, rôle des régions),

• Des rôles respectifs du public et du privé,

font qu’un nombre significatif d’acteurs publics ou privés ont du mal à identifier à quel niveau une action (innovante, organisationnelle, réglementaire…) doit être lancée pour être vraiment efficace.

Au cours des interviews, il est apparu que beaucoup d’énergie des acteurs (en l’occurrence de l’innovation, mais le problème est plus large) était gaspillée en raison de la difficulté à discerner dans quel cadre le développement d’une action donnée sera le plus efficace.

Il pourrait être utile :

• De discerner les « niveaux géographiques de pertinence » en fonction des sujets concernés,

• D’informer les acteurs concernés,

• De favoriser la mobilisation des innovateurs autour des niveaux pertinents.

Pour ce qui concerne la politique d’innovation du ministère de l’Équipement (et la politique d’aide au développement des « lieux » créateurs d’idées innovantes), certaines évolutions semblent devenues nécessaires et importantes :

1. Pousser à fond les procédures et les sujets dont le « niveau géographique de pertinence » est national,

2. Faire preuve de dynamisme pour utiliser à fond les formes de soutien européennes à l’innovation dans les domaines appropriés, et convaincre les acteurs français concernés que c’est la seule stratégie payante et qu’ils doivent s’y engager.

3. Adapter en profondeur les lieux appropriés (et les formes de soutien correspondant à l’innovation) lorsque le périmètre de pertinence est décentralisé (région, département, communauté de communes, ville).

4. Développer les réseaux mondiaux nécessaires sur les sujets pour lesquels la réalité économique est de fait déjà mondiale.

5. Plus la vision sera claire et partagée, plus grands en seront l’efficacité et l’effet de levier. En voici quatre illustrations :

En voici quatre illustrations :

• Les problèmes relatifs aux grands matériels d’auscultation, à leur conception, à leur développement, à leur industrialisation doivent être regardés aujourd’hui dans un environnement mondial. Les stratégies d’innovation, les cohérences matériels/politique d’entretien des chaussées, les partenariats industriels sont voués à l’échec à terme si cette dimension mondiale n’est pas prise en compte dès le début. Ceci est très exigeant pour que les acteurs concernés assument toutes les conséquences de ce changement d’échelle. Ceci pose aussi des questions difficiles aux différents maîtres d’ouvrage dont les décisions ponctuelles peuvent avoir des conséquences lourdes pour les acteurs français concernés.

• Un marché européen s’est créé, appuyé sur les Directives européennes. L’exemple de la sécurité des tunnels et donc des technologies conception/réalisation de leur réhabilitation en est un exemple récent.

• Si le périmètre national de pertinence a, en part relative, diminué en 30 ans, il reste encore important dans de nombreux aspects ou domaines, notamment quand existe une spécificité :

- réglementaire ou contractuelle (exemple : circulaire de la direction des Routes encourageant les variantes techniques)

- organisationnelle ou liée à une politique nationale (exemple : décentralisation et ses conséquences en chaîne sur l’innovation, politique nationale de sécurité routière et ses conséquences sur les infrastructures, etc.)

- technique

- ou de soutien à l’innovation (les «chartes » sont françaises, le RGCU est français, etc.)

• La valorisation de matériaux pondéreux sub-normaux vraiment régionaux, devrait être prise en charge par les échelons régionaux (région administrative, CETE, etc.), le reste relevant d’un échange d’expérience des bonnes pratiques au niveau national.

C’est un des avantages de la redynamisation de l’innovation par la demande, que de bien resituer les enjeux par « périmètre géographique de pertinence » et d’associer les bons acteurs concernés.

D. Les recommandations

Les besoins d’innovation routière restent forts, l’intérêt économique global est manifeste, et même si objectifs et acteurs évoluent, l’essoufflement actuel est préjudiciable à l’activité routière dans son ensemble. Il est donc proposé de relancer la politique d’innovation routière en aménageant les procédures et leur environnement selon les principes ci-après.

D.1. Partenariat pour l’innovation avec les autres maîtres d’ouvrage

Associer les Conseils généraux et villes à l’innovation

La direction des Routes augmenterait l’efficacité de la politique nationale d’innovation routière, en organisant un large partenariat avec les collectivités territoriales maîtres d’ouvrage de voirie (Départements, Communautés de communes, Communes). Les maîtres d’ouvrage sont souvent en effet des promoteurs de l’innovation.

Historique et bilan

La politique d’incitation à l’innovation de la direction des Routes était surtout orientée dans les années récentes vers les entreprises (à l’exception de la charte d’innovation avec l’ASFA et des chartes avec quelques départements). Or les maîtres d’ouvrage sont souvent des initiateurs de l’innovation, il faut les encourager car ils acceptent souvent d’en partager les risques. En outre, les maîtres d’ouvrage sont plus souvent tentés de rapprocher des métiers ou des techniques tout à fait différentes pour faire émerger la « grappe d’innovation » répondant à un vrai besoin de l’usager. Ils sont mieux placés pour ce faire, car la spécialisation des entreprises inhibe souvent les transferts de technologie autant que les difficultés à développer conjointement une innovation par plusieurs entreprises. Par ailleurs, le réseau géré par la direction des Routes devant prochainement évoluer pour comporter essentiellement des routes à trafic élevé, il est important que les maîtres d’ouvrage territoriaux prennent le relais pour faciliter l’éclosion d’innovations relatives aux routes à moyen ou faible trafic.

La décentralisation donnera plus de poids aux maîtres d’ouvrage territoriaux. Associer ces maîtres d’ouvrage, sous forme de partenariat actif, contribuera à pérenniser la politique d’innovation. La tendance lourde actuelle d’une distanciation de nombreux maîtres d’ouvrage locaux par rapport à l’innovation est en effet un phénomène préoccupant qu’observent les autres acteurs.

Mentionnons ici l’un des huit paragraphes du communiqué de presse de l’Assemblée des Départements de France du 20 mai 2003 : « Concernant le réseau technique support du savoir -faire et de l’innovation, il conviendra d’étudier les modalités de participation des départements afin d’assurer la pérennité d’une recherche et développement dynamique dans les domaines de la route et de la sécurité routière, à même de répondre aux besoins qu’auront définis les départements avec l’ensemble des partenaires. «

Des développements récents, y compris ceux de la préparation de la décentralisation, en identifiant une des trois grandes actions de la direction des Routes : « la politique technique routière nationale » (et ses aspects internationaux) confirment cette légitimité et peuvent peut-être aller dans le sens d’une meilleure souplesse d’intervention, et d’une meilleure lisibilité externe.

Raisons de l’importance actuelle

Les réformes en cours diminueront le réseau routier directement géré par la direction des Routes au profit des collectivités locales, augmentant corrélativement leur champ d’expérimentation. Les responsabilités propres de ces collectivités peuvent élargir les domaines de l’innovation, soit en rapprochant les activités routes d’autres activités hors du champ d’intervention directe de la direction des Routes (eau, environnement…), soit en liant plus étroitement l’investissement, l’entretien et l’exploitation, soit en promouvant les innovations spécifiques pour les routes dont la gamme de trafic se différenciera de plus en plus nettement de celles gérées par la direction des Routes. Il faut donc saisir ces opportunités.

Certaines collectivités territoriales dynamisent les synergies entre les acteurs régionaux, d’autres sont déjà dynamiques dans le soutien à l’innovation routière (exemple de la région du Nord Pas de Calais et de sa relation avec le RGCU).

Par ailleurs, la vitesse avec laquelle les décideurs locaux acceptent une bonne innovation est à proprement parler vitale pour sa rentabilisation. Un exemple (ou contre-exemple !) : la réutilisation des mâchefers en technique routière mise au point en France s’est en fait développée au Royaume-Uni pour cette raison.

L’analyse du fonctionnement des pays fortement décentralisés montre que la décentralisation rend plus difficile l’efficacité de l’innovation routière, sauf :

• Si un organe national lance des programmes ciblés (ex. : SHRP-US),

• Si le collectif des maîtres d’ouvrage locaux mutualise efficacement les énergies (ex. NCHRP-US : National Cooperative Highway Research Program),

• Dans les domaines où le secteur privé ou semi-public a une grande liberté (ex. Italie).

Recommandations

1. Organiser un partenariat actif avec les collectivités locales selon deux axes :

• L’axe politique, pour intéresser les Présidents de Conseils Généraux, Présidents de Communauté d’agglomérations et de communes et les Maires à l’innovation routière, source de progrès et d’économie, valorisante aussi pour l’image de leur collectivité,

• L’axe technique, en associant largement les ingénieurs des départements et des villes à la vie du réseau technique du ministère de l’Équipement et à ses orientations.

Les procédures de soutien à l’innovation routière doivent comprendre une représentation des responsables territoriaux dans les commissions aux différents niveaux (orientation, priorisation des besoins, attribution de labels…). L’orientation de ces procédures doit être discutée avec eux.

2.Plus globalement, c’est l’ensemble des maîtres d’ouvrage routiers qu’il faut re-mobiliser sur des enjeux bien priorisés : l’ASFA comme les maîtres d’ouvrage des services déconcentrés (DRE, DDE) pourraient être incités à retrouver le dynamisme innovateur qu’ils ont parfois connu dans le passé, bien évidemment pour des objectifs actualisés tenant le plus grand compte de leurs besoins.

3.Compte tenu de l’importance grandissante des innovations dans le champ des maîtres d’ouvrage, il est proposé de les associer largement aux procédures existantes ou nouvelles de façon à :

- Faire émerger plus vite ces innovations et leurs premières expérimentations,

- Aider à ce que se constituent des communautés d’intérêt de maîtres d’ouvrage d’horizons divers, mais vraiment motivés par le développement et la mise en œuvre d’une innovation.

Ceci peut avoir un effet de levier considérable et contribuer à résoudre quelques problèmes financiers secondaires qui bloquent souvent l’innovation. Ceci peut surtout servir à renforcer la cohérence des actions collectives innovantes destinées à répondre à des besoins clés des usagers aujourd’hui mal satisfaits.

4.Deux idées complémentaires gagneraient à être creusées, car elles peuvent créer de la valeur et du consensus avec un effet d’entraînement important :

• Pour le SETRA, développer sur internet une banque de données des innovations en recherche de chantier expérimental pourrait accélérer le dispositif actuel qui s’essouffle, et redonner une forte appropriation aux maîtres d’ouvrage locaux qui se porteraient volontaires si l’innovation concernée répond bien à un de leurs besoins.

• Pour la direction des Routes, au titre de ses responsabilités pour la politique nationale de l’innovation, apporter un appui technique aux chantiers expérimentaux par des prestations directes de son réseau scientifique et technique, par exemple : laboratoires régionaux pour les tests et le suivi. Ce «coup de pouce» lié à l’expérimentation peut être suffisant pour inciter de nombreux acteurs à travailler ensemble et à adopter une attitude pragmatique et constructive. C’est un des enseignements des réseaux technologiques français.

Sur un plan pratique et pour éviter de créer de nouvelles instances, cette mission pourrait éventuellement être confiée par le directeur des Routes :

• Soit au CFTR avec la nécessité de roder les aspects contractuels et financiers,

• Soit au RGCU par mandat (c’est du Génie Civil, certains des acteurs concernés commencent déjà à être représentés à son comité d’orientation : SETRA, LCPC mais aussi AITF, entreprises routières, etc. ; les règles de cofinancement fonctionnent bien), soit en construisant une complémentarité pragmatique entre ces deux instances.

Ce « partenariat pour l’innovation avec les maîtres d’ouvrage » pourrait notamment se concrétiser à l’occasion d’une re dynamisation de l’innovation par la demande (voir D 3).

5. Dans le domaine routier, les États-Unis ont rodé depuis de très nombreuses années des rapports équilibrés et constructifs entre le niveau fédéral et les États, notamment avec des programmes spécialisés pour la recherche et l’innovation. Le National Cooperative Highway Research Program (NCHRP) constitue une structure intéressante à analyser puisqu’elle est animée par l’AASHTO en relation étroite avec le niveau fédéral. Un « scanning tour » avec la DR, les STD, l’ADSTD, lors d’un prochain TRB pourrait être un lieu privilégié de dialogue.

D.2. Une ouverture plus grande à l’Europe, aux PME, à la recherche des autres secteurs et aux agences intersectorielles de financement de l’innovation, est nécessaire compte tenu des enjeux

Utiliser l’ANVAR et l’Europe, chercher l’innovation transversale

Une plus grande ouverture du processus d’innovation et des mesures de soutien à l’ensemble des acteurs est un facteur clé de succès.

Historique et bilan

Les procédures et l’ensemble du processus d’innovation sont aujourd’hui relativement centrés sur les aspects technologiques du domaine routier (acteurs et techniques) et les grands groupes. Sauf exceptions, l’ouverture internationale reste encore très limitée. Par rapport aux autres secteurs industriels, l’innovation routière est bien cadrée et n’implique qu’un petit nombre d’acteurs. Gage d’efficacité et de coordination, cette caractéristique se traduit aussi par une tendance au fonctionnement en circuit fermé.

Recommandations :

Élargir le cercle de l’innovation :

Mieux ouvrir le soutien à l’innovation aux PME et aux Bureaux d’études

Mieux intégrer les PME et les bureaux d’études dans les procédures existantes ou leur proposer un programme avec un budget et des procédures spécifiques (voir ce qui se fait notamment dans les secteurs de l’espace, la défense, dans le 6e PCRD, et aux États-Unis). Pour ce qui concerne les PME dépendant de la FNTP, cette dernière pourrait être intéressée par cette initiative.

Renforcer le niveau régional et local de soutien à l’innovation des PME (cf. bonnes pratiques de soutien des CETE pour les chartes et des correspondants pour le RGCU).

Ouvrir clairement le champ de l’innovation routière aux domaines où les PME ont un avantage concurrentiel (exemples : l’information et la communication, les services, l’environnement…). Inciter à l’inclusion dans les contrats entre maître d’ouvrage et maître d’œuvre de clauses pour le recours à des sous-traitants innovants.

Utiliser plus les « marchés de définition » et les concours pour stimuler l’innovation dans les bureaux d’études.

Mettre en œuvre la procédure des petits lots pour expérimenter une innovation qui ne concerne qu’un point particulier d’un vaste chantier.

Mettre en place des dispositions spécifiques à la protection de la propriété industrielle et intellectuelle.

Ouvrir les partenariats avec les industriels hors route :

Les procédures de soutien sont ciblées sur les acteurs des travaux publics, alors que les innovations d’autres domaines sont rarement exploitées ou ne sont pas connues.

- Chimie (exemples : Rhodia, Total)

- Métiers du bruit et de l’acoustique (exemple : Hutchinson)

- Nucléaire (exemples : Framatome, CEA - vieillissement)

- Électronique et télécommunications, nouveaux matériaux, entreprises de services (exemple : Accor).

Ouvrir d’une façon appropriée le champ du soutien aux innovations qui intéressent et concernent le collectif des maîtres d’ouvrage sans affaiblir le soutien aux innovations technologiques d’entreprise.

L’observation de l’évolution des besoins et des actions soutenues par d’autres directions des Routes européennes, ainsi que l’existence de questions communes à de nombreux maîtres d’ouvrage, semblent justifier que le champ de soutien à l’innovation s’ouvre aux innovations propres aux maîtres d’ouvrage.

Par ailleurs, dans certains domaines, les innovations « isolées » touchent leurs limites, et c’est l’ouverture du champ à des « systèmes » qui pourrait créer l’innovation de « rupture » (auscultation et des systèmes plus globaux de gestion des routes, besoin de modèles de gestion d’incidents multi-exploitants…)

Démultiplier les actions du ministère de l’Équipement par des accords avec d’autres agences

Développer un partenariat avec ANVAR, pour promotion et identification de thèmes spécifiques aux PME. Le cas de l’accord-cadre ministère de la Défense – ANVAR peut être de ce point de vue un exemple intéressant (cf. fiche annexe F 15 a).

Promouvoir l’innovation routière auprès du secrétariat Eurêka (voir annexe F 7 F).

Ouvrir le soutien de l’innovation routière aux acteurs et au marché international

Élargir progressivement certaines procédures actuelles (IVOR, RGCU) aux entreprises européennes, sous des formes de réciprocité à promouvoir.

Développer les actions de lobbying et répondre systématiquement aux appels d’offres du PCRD. Développer les projets bilatéraux internationaux, par exemple sur des chantiers transfrontaliers.

Développer les interactions avec les homologues européens et les agences, promouvoir l’innovation française en Europe, créer une plate-forme d’harmonisation européenne de la stratégie d’innovation routière (cf. annexe F 16 sur l’enquête internationale).

Analyser la faisabilité d’une « bourse européenne des innovations dans le secteur routier » contenant les nombreuses innovations existantes, ainsi que les demandes récurrentes d’innovation, afin de rendre le marché plus fluide, de valoriser les acteurs les plus dynamiques, et de faciliter l’émergence de « communautés d’intérêt » de maîtres d’ouvrage atteignant ainsi la taille nécessaire pour lancer et rentabiliser des innovations.

Exploiter la mondialisation des marchés, par exemple en soutenant les exportations des entreprises françaises (en partenariat avec la Coface ?) ou le développement de partenariats internationaux.

Une culture, des ressources humaines, une information et une communication favorables à l’innovation

Améliorer l’efficacité de l’accueil des utilisateurs ou bénéficiaires de l’innovation par les responsables de procédures en s’inspirant des bonnes pratiques d’autres procédures (ANVAR notamment, voir annexes F 7).

Favoriser (et former à) une culture projet dans les organismes techniques. Une formation à l’analyse fonctionnelle favoriserait une approche de l’innovation plus tournée vers les bénéficiaires et moins technique.

Faciliter l’accès des entreprises et des industriels français et européens aux grands équipements d’essais accélérés du réseau technique

D.3 La re-dynamisation de l’innovation par la demande

Définir les besoins d’innovation

L’identification structurée des besoins prioritaires en innovation peut être une pièce maîtresse du dispositif futur de la politique de soutien car elle permet une re-dynamisation et un meilleur « rendement ».

Historique et bilan

Les grands concours de techniques innovantes routières lancés par la direction des Routes de 1984 à 1987 ont globalement été très positifs parce qu’ils étaient centrés sur de vrais besoins et que des innovations potentielles étaient presque mûres ; on peut aussi citer celui lancé plus récemment pour les glissières motos.

Le Prédit, ainsi que la succession de l’appel à idées puis de l’appel à propositions du RGCU sur la vulnérabilité des infrastructures au changement climatique, montrent que cette dynamique de la demande est exigeante mais payante, même pour des phases où les innovations potentielles exigent encore un effort de recherche.

Les raisons de l’importance actuelle :

1. Dans de nombreux interviews d’acteurs publics ou privés, trois points ressortent :

- Depuis quelques années, par exemple dans les chartes innovation, les offres spontanées d’innovation correspondent à des créneaux utiles mais plus étroits ou plus diffus qu’avant. Plusieurs interviewés connaissant bien ces sujets ont exprimé leur inquiétude vis-à-vis d’une poursuite d’une politique où le « bottom-up » a une très large place, y compris avec des choix annuels de thèmes, en utilisant l’expression « cela s’essouffle ».

- Les poids respectifs des différents métiers dans les réponses aux besoins sociétaux prioritaires relatifs à la route évoluent, et les sujets transversaux mobilisent difficilement les acteurs qui devraient être concernées.

- Néanmoins, il est fondamental que les offres d’innovation non sollicitées restent toujours possibles et accueillies positivement. Ce principe est tout à fait à maintenir.

2. Certains pays comme les Pays-Bas ont développé une dynamique par la demande d’innovation, ce qui non seulement incite l’ensemble des acteurs à se concentrer sur les besoins prioritaires, mais également permet une politique de communication efficace, voire (mais ceci reste à vérifier sur place) facilite la gestion contractuelle des chantiers expérimentaux.

3. Il existe certains besoins forts à court, moyen ou long terme, dont la déclinaison par priorité, par type de réseau routier prioritairement intéressé, et par niveau de maturité des innovations potentielles, permettrait de lancer par étapes, des actions solides et concrètes de soutien à l’innovation, avec les cercles correspondants des acteurs directement concernés, et les procédures appropriées.

La relance de l’innovation par la demande peut constituer une occasion intéressante et constructive pour développer des dialogues efficaces avec les différentes composantes des maîtrises d’ouvrages territoriales. Ceci conditionne évidemment leur mobilisation pour les étapes suivantes, dont la valorisation des innovations.

Facteurs clés de succès

L’identification des besoins prioritaires d’innovations est, par nature, une pièce maîtresse de l’édifice de toute politique d’innovation.

Pour être un facteur de réussite, cette identification doit :

- Intégrer une vision prospective suffisante,

- Très bien intégrer les besoins des opérationnels,

- Définir clairement les priorités (poids relatifs des enjeux et priorité pour le moyen et le long terme),

- Partir d’une dynamique ministérielle et créer un dialogue puis, dans toute la mesure nécessaire, un consensus de la communauté routière tout entière, notamment des autres maîtres d’ouvrage.

Recommandations

Il est proposé que la Direction des Routes, en relation avec les différents acteurs concernés anime un processus durable d’identification et de priorisation de la demande d’innovation routière en profitant des meilleures pratiques existantes :

- Agora 2020 qui couvre un secteur plus large et qui doit aboutir fin 2004, mais qui concernera l’aspect plus prospectif,

- D’autres expériences nationales (Pays-Bas, Suède, États-Unis - NCHRP) qui vont déjà dans le même sens depuis plusieurs années,

- Les formes existantes de remontée des problèmes du terrain, par exemple le réseau des laboratoires régionaux.

Ce processus devrait être élargi en faisant appel aux autres maîtres d’ouvrage pour définir en commun les besoins.

Compte tenu des horizons de temps du domaine routier, cette approche doit être prospective ; elle doit également prendre en compte les évolutions sociétales et les pressions environnementales.

Le résultat de ce « management de la demande » pourrait se traduire par un programme cadre d’actions prioritaires dont les moyens de mise en œuvre seraient fonction du degré de maturité des solutions pouvant être apportées à chaque sujet prioritaire :

- Soit par le lancement de concours de techniques innovantes ciblés ou appels d’offres sur performances quand les solutions innovantes sont quasiment mûres,

- Soit par le lancement d’appels à propositions quand les concepts existent, ainsi que les acteurs volontaires et qu’il faut finaliser la recherche pour bien répondre aux besoins,

- Soit par le lancement d’appels à idées quand une démarche supplémentaire de maturation des sujets ou des complémentarités entre acteurs, reste à faire.

Des précisions complémentaires sont données dans l’annexe F 14.

D.4. Un sigle commun plus lisible

Reconnaître partout l’innovation française

Donner un sigle commun à l’ensemble des procédures d’innovation soutenues par la direction des Routes, ou même par le Ministère, en augmenterait l’efficacité nationale et internationale.

Constat

Nous avons observé la dispersion des procédures et leur diversité, certaines efficaces mais de fait assez confidentielles, d’autres permettant une bonne valorisation sans avoir aidé l’expérimentation… Quel rapport entre charte, RGCU, IVOR ?

Raisons d’un sigle commun

Les entreprises comme les maîtres d’ouvrage sont demandeurs (et parfois « très demandeurs ») d’un chapeau commun aux innovations que la direction des Routes et son réseau technique ont évaluées. Plusieurs personnes interviewées ont considéré le mouvement vers ce « label unificateur » comme « essentiel ».

Parmi les raisons importantes du besoin de cette évolution vers une plus grande lisibilité figurent :

• Le rôle croissant des ingénieurs des collectivités territoriales, bien répartis sur le terrain, mais inégalement connectés au réseau technique, exige d’atteindre une taille critique pour ce label et justifie une promotion nationale forte,

• L’importance croissante de l’Europe qui ne peut s’accommoder d’une multiplicité des labels dont le détail des domaines d’emploi est incompréhensible pour un maître d’ouvrage étranger voulant utiliser une innovation française. Ce point est fondamental pour le moyen terme.

• La valorisation collective de la richesse des différentes procédures existantes en montrant bien qu’elles forment en fait une chaîne cohérente.

L’expérience, l’évolution et l’effet de taille critique des avis du CSTB peuvent guider la réflexion du domaine routier. L’impact de la transposition de cette expérience d’un secteur proche, vers le niveau européen, peut être très important pour les industriels. (voir annexe F 15 c).

Recommandations

Il s’agit d’intégrer sous un même sigle différentes formes de labellisation relatives à plusieurs phases de la chaîne d’innovation :

• L’appréciation technique d’une planche d’essai,

• L’accord pour expérimenter sur chantier réel,

• L’évaluation d’un chantier innovant,

• Le constat du résultat obtenu après quelques années (le suivi technique),

• La diffusion de l’innovation.

Ces différentes étapes, correspondant à des procédures actuelles multiples, gagneraient à être inscrites sous un sigle commun du ministère de l’Équipement. Ce sigle coifferait ainsi les différentes procédures et permettrait de les situer les unes par rapport aux autres. Les entreprises innovantes pourraient s’en prévaloir, d’une manière rendue facilement compréhensible pour les autres maîtres d’ouvrage comme à l’étranger. Il serait aisé de repérer à quelle phase se situe l’innovation proposée dans la succession d’étapes conduisant à sa mise sur le marché. Chaque innovateur pourrait évidemment choisir l’étape ou les étapes les plus appropriées à son produit.

Cependant des précautions de terminologie doivent être prises pour veiller :

- À ne pas engager inutilement la responsabilité juridique du co-financeur ou du donneur d’avis, comme ceci est bien fait aujourd’hui,

- À garantir une bonne lisibilité des différentes étapes dans les avis donnés, pour éviter que certains bénéficiaires « jouent » sur ce sigle commun et en pervertissent l’intérêt (en entretenant par exemple la confusion entre l’accord sur une planche d’essai et la validation finale).

D.5. Le développement de la performance de la valorisation

Rien ne sert d’innover sans valoriser

Une plus grande sélectivité de soutien aux innovations, combinée à une véritable implication des maîtres d’ouvrage dans la valorisation des innovations qui répondent à des enjeux forts, serait beaucoup plus efficace pour tous.

La valorisation économique des projets innovants doit être prévue au démarrage de chaque projet d’innovation et faire l’objet d’un suivi tout au long de la vie du projet. Il faut « professionnaliser » la pratique de la valorisation.

Historique et bilan

La France est reconnue pour ses compétences techniques dans le domaine routier, mais les innovations disposent d’un potentiel de valorisation inexploité, contrairement aux États Unis par exemple où la valorisation est plus systématiquement intégrée au projet.

Certaines bonnes pratiques françaises sont à valoriser (journée annuelle des entretiens du RGCU, journées du PREDIT, notes d’information sur les avis du CFTR, etc.)

Il existe deux types de rupture de charge récurrents (et qui risquent de s’accentuer dans le futur) qu’il faut traiter d’une façon plus systématique :

• D’une part les incitations des acteurs de la recherche pour une valorisation efficace sont d’une faiblesse disproportionnée par rapport aux enjeux de cette valorisation,

• D’autre part le changement des personnes concernées entre la recherche ou l’innovation et ses applications sur chantier entraîne « une perte de charge » importante.

En ce sens, le principe des « réseaux technologiques » (RGCU), dans lesquels chaque projet est porté par un partenariat maître d’ouvrage / entreprise / laboratoire apparaît efficace. Ceci reste difficilement applicable au cas des innovations développées puis commercialisées par la même entreprise de travaux. Toutefois des responsables techniques d’entreprise constatent parfois des phénomènes qualitativement similaires en interne.

Raisons de l’importance actuelle

A l’instar de la plupart des domaines d’activité, les impacts socio-économiques sont devenus le principal facteur clé de succès des projets de recherche et d’innovation. La valorisation des innovations, outre son effet économique direct, contribue également à une meilleure compétitivité des entreprises. Cette valorisation est d’autant plus efficace qu’elle est prise en compte le plus en amont possible dans le processus. Il est utile de l’avoir présente dans les réflexions et de procéder à intervalles réguliers à l’évaluation coût – bénéfice.

Recommandations

1. La valorisation doit être prise en compte et intégrée à tous les stades du projet d’innovation :

• Lors de la sélection des projets, le chiffre d’affaire accessible (à moyen terme par exemple) doit être un critère majeur de sélection,

• au cours de la vie du projet, la valorisation doit être suivie dans le cadre de la procédure, par exemple par des séminaires de présentation d’avancement, des publications sur les résultats (cf. bonnes pratiques du RGCU et des projets nationaux et la nouvelle publication de la DRAST « Recherche et Équipement », qui comprend des résumés orientés utilisateurs et des points de contact pour poursuivre le dialogue),

• en fin de projet, l’entreprise ou le porteur de projet doit réaliser la promotion commerciale de la nouvelle solution. Le responsable de la procédure (ou tout groupe motivé de maîtres d’ouvrage ; voir l’expérience américaine du Technology Implementation Group décrit en annexe F 18) peut être amené à soutenir cette promotion lorsque l’enjeu est important pour les maîtres d’ouvrage ou les usagers.

2. Les procédures devraient intégrer une analyse économique plus approfondie dans leur phase d’évaluation des propositions :

• Démonstration de l’intérêt économique du projet : l’aspect économique des innovations doit être étudié par les responsables des procédures afin de valider l’analyse du marché potentiel du porteur du projet,

• Mais aussi preuve de la volonté des équipes projet d’en rechercher la valorisation économique (et pas seulement technique).

La typologie des critères à prendre en compte, comprend :

• Les critères économiques : taille et croissance du marché, nature et nombre des clients potentiels, chiffre d’affaire généré sur 1, 3, 5 ans, potentiel de développement international,

• Les critères concurrentiels (technologies, produits et acteurs),

• Les contraintes et moteurs juridiques, réglementaires et normatifs,

• L’identification des partenariats et acteurs de valorisation.

Les responsables de projets doivent encore mieux structurer une démarche volontaire de valorisation économique. Ceci est souvent fait dans le cas d’une seule entreprise porteuse d’une innovation dans le cadre des chartes. Ceci devrait être mieux fait dans le cas de projets du type RGCU :

• En assurant la diffusion de l’information scientifique et technique appropriée, et en sécurisant le fait qu’elle touche effectivement son groupe cible,

• En contribuant à l’application et à la valorisation technique, sociale, commerciale et économique des résultats des recherches,

• En favorisant l’action commune, les partenariats et les réseaux des organismes travaillant dans son domaine de compétence,

• En élaborant et en mettant en œuvre concrètement une stratégie de valorisation effective de ces projets de recherche.

Pour les étapes de l’innovation visée par les procédures du type PREDIT ou RGCU, les modalités d’incitation à la valorisation des projets doivent notamment porter sur :

• Des clauses contractuelles de valorisation de l’innovation,

• Une répartition du budget réservant une part à la valorisation,

• Des conditions de valorisation sous peine de remboursement de l’aide.

Les axes d’actions et les outils à mettre en œuvre par le Ministère pourraient porter sur :

• La conception et la réalisation d’un guide de valorisation à destination des porteurs de projet (méthodologie, cas exemplaires, sources de soutien) ; l’action dans ce sens en cours dans le cadre du RGCU pourrait être étendue à d’autres procédures,

• Une offre de formation des responsables de projets à la valorisation de l’innovation (éligible à subvention dans le cadre du projet),

• La fixation d’objectifs aux gestionnaires de procédure (ou tout groupe motivé de maîtres d’ouvrage) permettant une plus grande implication sur la valorisation des projets en cours ou déjà labellisés (cf. expérience américaine TIG),

• Une meilleure coordination des procédures pour profiter de leurs complémentarités et de leurs synergies,

• Un accompagnement possible de la valorisation des projets par des experts du développement de projets innovants lorsque le contexte le justifie,

• Une attention plus marquée portée par le réseau technique et le Ministère, d’une part sur le moment optimum du passage de la R & D sur un produit innovant à l’organisation de sa valorisation dynamique, et d’autre part sur le choix de l’acteur qui sera le plus efficace dans cette valorisation auprès de tous les acteurs concernés.

• Une réflexion permettant de tirer les meilleures pratiques de l’expérience du ministère de l’Équipement, très strict vis-à-vis des règles de la concurrence, et de l’expérience du ministère de la Recherche qui pousse à la valorisation, à la création d’entreprises, et aide les industriels à se développer.

Concernant le respect par les maîtres d’ouvrage des droits de propriété intellectuelle ou industrielle des acteurs privés qui ont investi dans une innovation, il est nécessaire d’approfondir la connaissance des situations récurrentes posant problème afin de cibler quelques actions. Ce point est important au risque de « casser involontairement un levier » de l’innovation.

Les recommandations précédentes sont en termes d’orientation, celles qui suivent sont tournées vers l’organisation et les moyens.

D.6. Tirer parti du nouveau code des marchés publics

Pouvoir lancer des chantiers expérimentaux

Constat

Les procédures d’innovation actuelles se heurtent au code des marchés publics pour la réalisation des chantiers expérimentaux : la pratique des marchés négociés sans appel à la concurrence a été interdite par le ministère des Finances, ce qui a conduit au blocage des chartes innovations. Il convient de trouver une procédure permettant aux maîtres d’ouvrage publics de réaliser ces chantiers expérimentaux en conformité avec le code (c’est-à-dire respectant deux principes : transparence de choix des entreprises, ouverture à la concurrence).

Le nouveau code a inscrit le mot innovation parmi les critères de choix des entreprises en réponse à un appel d’offres, mais il n’apporte pas de réponse directe pratique pour les chantiers expérimentaux.

Importance et actualité de l’enjeu

Seule la réalisation d’un chantier expérimental d’importance suffisante permet en général de démontrer la pertinence en grandeur réelle de l’innovation. Le déblocage de ce point précis apparaît fondamental, car l’étape du chantier expérimental est indispensable à la validation d’une innovation routière. La résolution de ces problèmes contractuels pour les chantiers expérimentaux et les chartes est essentielle et urgente, car ils portent atteinte aujourd’hui, si l’on écoute les nombreux interviewés, à la crédibilité même de l’ensemble de la politique d’innovation routière. Il faut donc aussi trouver des solutions immédiates, même si elles sont imparfaites.

Les procédures de brevet et autres protections d’une innovation sont peu efficaces et peu courantes dans le domaine routier, où l’expérience prime. Ceci doit être conjugué avec la transparence réclamée par le code des marchés.

Recommandations :

Le paragraphe C 3 d) ci-avant a exposé les possibilités du nouveau code des marchés (2004).

Faute de solution générale, il s’agit d’optimiser l’emploi sur chaque procédure de dispositifs divers, certains déjà bien connus :

• Le marché négocié (après publicité préalable et mise en concurrence) choisi sur le critère innovation, si le coût est inférieur au seuil de 5,9 ME HT.

Le marché de travaux à des fins d’expérimentation si le coût dépasse ce seuil.

• Le marché de conception-réalisation pour les ouvrages d’art et les cas où le concepteur prend une part importante dans l’innovation.

• La variante d’entreprise, mieux adaptée aux « innovations d’amélioration » par rapport à des méthodes existantes.

Le petit lot peut s’appliquer sur les chantiers dont une partie seulement est expérimentale à condition que le lot ne dépasse pas 80 000 E HT si l’ensemble du marché est inférieur à 5,9 ME HT, ou 1 ME HT si l’ensemble du marché est supérieur à 5,9 ME HT. Le petit lot doit rester dans tous les cas inférieur à 20 % du montant total. Le principal du marché est passé selon les règles du code.

D.7. Recréer des lieux d’innovation

Créer des creusets d’innovation

Trois mesures organisationnelles permettraient d’accompagner les mutations nécessaires à maintenir une haute efficacité de la chaîne de développement des innovations dans un contexte en évolution profonde. Elles concernent le CFTR, les « lieux » où les innovations se génèrent, et un groupe pour faciliter le déploiement d’une nouvelle politique de soutien à l’innovation.

1. Le Comité Français des Techniques de la Route (CFTR) doit s’ouvrir davantage à d’autres maîtres d’ouvrage, optimiser son organisation et s’élargir aux autres domaines de la route, hors ouvrages d’art.

Historique et bilan :

Le CFTR actuel répond à des besoins importants dans un cadre associant étroitement la direction des Routes et les professions, essentiellement pour le domaine des chaussées.

Facteur clé du succès :

Dans les avis techniques sur l’innovation, chacun doit jouer son rôle spécifique ; le SETRA porte la responsabilité de la préparation de l’avis sur la durabilité et le domaine d’emploi du produit.

Recommandations

• Les différents maîtres d’ouvrage doivent être associés pour prendre un rôle plus important dans le CFTR.

• Le CFTR devrait devenir aussi efficace et reconnu pour les innovations de l’ensemble du secteur routier, qu’il l’est déjà pour le domaine des chaussées, par exemple pour les terrassements (mais hors ouvrages d’art, compte tenu de la différence des professions concernées).

2. Une attention particulière doit être portée aux « lieux » dans lesquels, pour chaque domaine de la route, le dynamisme collectif innovant est vraiment actif.

Historique et bilan :

Dans la période 1970-1990 des « lieux » collectifs, souvent autour du LCPC, du SETRA ou d’entreprises, suivant les domaines, ont été les catalyseurs du dialogue conduisant à des grandes innovations, souvent autour de personnalités expertes (exemple : matériaux et structures de chaussées, matériels de terrassements, ouvrages d’art, etc.).

Actuellement cet effet semble atténué, mais d’autres « lieux » comme l’AFTES restent des catalyseurs efficaces d’innovations spécialisées.

Facteurs clés du succès :

Ces « lieux » sont d’autant plus efficaces que :

• Les différents acteurs sont présents, effectivement écoutés et travaillent en complémentarité,

• Le dialogue est très ouvert, y compris sur les problèmes rencontrés, et avec diverses formes de brainstorming prospectif,

• L’optique commune est d’abord de relever les vrais défis (d’où l’importance que ces « lieux » d’innovation soient de temps en temps en contact direct avec les acteurs responsables « stratégiques » du domaine concerné) et d’identifier d’une façon très pragmatique des complémentarités efficaces,

• Soit il existe un animateur de talent, soit le collectif plus « collégial » fonctionne avec un sens aigu des complémentarités utiles.

Dans tous les cas, les rôles des « lieux » et des individus innovants sont très complémentaires. Il est vital pour l’innovation, qu’aux bons moments ces individus soient vraiment écoutés et « encouragés pour voir ». Il existe un doute sur le maintien de notre capacité collective à écouter, encourager, créer des contextes de vraie créativité.

Raisons de l’importance actuelle

- Sur le moyen terme, la perte d’efficacité de ces « lieux » pourrait avoir des conséquences majeures sur la pertinence et sur la rapidité d’émergence des innovations.

- Le passage à la retraite d’une génération de grands experts, associée à d’autres mutations, a fait significativement évoluer le dynamisme ou le caractère pleinement opérationnel de ces lieux par domaine. Leur re-création ne se commande pas, elle peut en revanche être facilitée par des actions attentives et continues du collectif des acteurs clés, c’est une démarche exigeante pour tous.

- Une analyse, pour chacun des domaines de la route, de la situation actuelle et des mesures susceptibles de re-dynamiser ce travail de catalyse, en tenant pleinement compte des évolutions de chaque contexte, pourrait avoir un impact profond à moyen terme sur l’innovation.

- L’existence d’un animateur reconnu (actuel ou même potentiel) par domaine, devrait pouvoir justifier des mesures spéciales de stabilité professionnelle et de reconnaissance.

Recommandations

Il est proposé :

- Qu’une analyse par domaine fasse l’état des lieux, avec une grande qualité d’écoute, notamment par rapport aux facteurs clés de succès,

- Qu’une identification des besoins ressortant de cet état des lieux soit combinée aux enjeux à venir par domaine, pour que des priorités soient établies en étroite concertation avec les partenaires,

- Et enfin que quelques actions de soutien ciblées sur le dynamisme innovant de ces lieux soient engagées, chacune tenant compte des rôles spécifiques de chaque acteur clé et bien positionnée quant au « niveau géographique de pertinence par sujet ».

3. Noyau-conseil d’ingénieurs innovants

La création d’un noyau-conseil d’ingénieurs innovants serait de nature à dynamiser la relance d’une politique rénovée de soutien, en développant une concertation étroite avec les acteurs clés concernés, ce qui pourrait également faire émerger dans un deuxième temps, une jeune génération de haut niveau motivée par l’innovation, travaillant en réseau et largement ouverte sur l’Europe.

Historique et bilan

Le Comité Conseil à l’Innovation Routière (CCIR) a fonctionné de 1978 à 1985 et a contribué significativement à l’atteinte des deux objectifs cités ci-dessus. Des leçons de cette expérience ont aussi été tirées.

Facteurs clés de succès

• L’efficacité du CCIR a été très liée :

- à la très bonne complémentarité entre la demande du directeur des Routes de l’aider à dynamiser l’innovation et l’existence d’une équipe très motivée.

- et à la présence d’animateurs de haute compétence comme Messieurs Bonitzer et Parey, ainsi qu’à l’efficacité d’un rapporteur disponible et à l’engagement personnel de jeunes maîtres d’ouvrage.

• Dans le contexte actuel, il serait essentiel que les acteurs clés de l’innovation routière soient représentés par des volontaires reconnus pour leur capacité à mobiliser toute la communauté concernée (bonne combinaison des types d’acteurs et des différents domaines concourant aux performances de tout le secteur routier).

• Pour apporter une plus-value claire, notamment vis-à-vis du CFTR, ce noyau-conseil devrait se placer en très bonne complémentarité avec les acteurs existants (SETRA et LCPC, par ailleurs représentés dans ce groupe) et, si le Ministère le juge approprié, se concentrer sur la dynamisation de la politique de soutien ainsi que sur l’organisation de la résolution des problèmes clés de la mise en œuvre de cette politique.

• La direction des Routes a un rôle historique dans le domaine de l’innovation routière, elle a aussi un rôle important de maître d’ouvrage. La DRAST anime le réseau scientifique et technique, la veille, ainsi que des démarches de prospective de la demande. Le développement permanent de l’efficacité de la synergie entre ces deux directions centrales peut constituer un élément déterminant de la performance d’une nouvelle politique d’innovation routière.

Des objectifs généraux en stricte complémentarité par rapport à l’existant

• L’évaluation a clairement montré le besoin et les bénéfices collectifs d’une re-dynamisation du pilotage actif de la cohérence globale de la politique et des procédures correspondantes, par exemple : l’ajustement entre la réactivité aux offres d’innovation » bottom-up » et la pro-activité pour répondre aux demandes prioritaires, le renforcement général et donc horizontal entre procédures sur la valorisation, le développement européen de ce type de politique en lien avec les autres directeurs des Routes, etc.

• La nécessité de re-dynamiser la politique de soutien, combinée à l’accroissement de la complexité de l’environnement institutionnel (décentralisation, Europe) semble justifier la création, au moins temporaire, d’un noyau-conseil rassemblant les énergies, développant une vision d’ensemble, et favorisant la maturation plus collégiale des consensus.

• Par rapport aux années 1980, les experts français de niveau international et les animateurs informels par domaine ont continué un certain essaimage, et le poids relatif des enjeux à l’export s’est encore accentué. Ceci conduit à la nécessité qu’un tel groupe contribue à mettre en synergie renforcée les forces vives publiques ou privées.

• Ce noyau-conseil devrait se concentrer sur ce qui ne marche pas encore et passer le relais aux organes appropriés dès qu’une nouvelle dynamique est bien partie.

• Une de ses tâches serait de rencontrer successivement :

- les différents grands acteurs maîtres d’ouvrage pour développer un consensus sur les priorités d’action et les complémentarités les plus efficaces,

- les responsables des différents métiers de la route (chaussées, terrassements, matériels, ouvrages d’art, etc.) pour identifier les spécificités de leurs demandes en matière de politique de soutien à l’innovation routière.

• Ce noyau-conseil pourrait notamment animer le processus de re-dynamisation de l’innovation par la demande, et contribuer à la définition actualisée de la complémentarité des rôles des différents acteurs (fait en Suède).

• Un sous-groupe pourrait être constitué des responsables de la gestion des 16 procédures de soutien, ce qui faciliterait grandement : un échange des bonnes pratiques existantes, une mutualisation de la demande de conseil ou de coaching sur les sujets nouveaux ou difficiles (utilisation des critères économiques et industriels pour la priorisation des soutiens à l’innovation - voir annexe F 17 -, organisation d’appuis à la valorisation), et une mise en pratique accélérée des évolutions de la politique de soutien.

Recommandations

Si le Ministère considère qu’une telle initiative peut être une aide à la re-dynamisation et au développement de la politique d’innovation routière, la création d’un noyau-conseil d’ingénieurs innovants, temporaire si nécessaire, peut être motivante pour les autres acteurs, mais nécessite de bien utiliser les leçons du passé, formulées par les facteurs clés de succès résumés ci-dessus.

Pour être efficace, notamment dans les deux à trois premières années de re-dynamisation, un «moteur permanent» constitué d’un animateur senior à temps plein et d’un rapporteur junior à temps plein paraîtrait à même d’atteindre les objectifs cités dans les paragraphes qui précèdent, outre la condition (qui ne se commande pas) que le groupe soit dynamique et participant.

D.8. Les «Scanning Tours»

Des acteurs divers observent ensemble l’innovation étrangère

Dans le contexte actuel, le lancement de « Scanning Tours » (missions françaises multi-organisations, ciblées sur un sujet précis dans quelques pays étrangers bien identifiés) compléterait avantageusement vers l’amont le dispositif actuel de soutien à l’innovation.

Historique et bilan

Entre 1960 et 1980, plusieurs missions spécialisées d’acteurs français se sont rendues à l’étranger, notamment aux États-Unis. Elles ont été, directement ou indirectement, à l’origine d’innovations ou de transferts intéressants. Des expériences australiennes similaires, entre 1980 et 1990, ont été très efficaces en terme de compétitivité. Depuis 1990, plus de 50 « Scanning Tours » d’équipes américaines, spécialisées mais multi-organisations, ont obtenu à un bilan très positif (un rapport de synthèse et les rapports spécialisés sont accessibles).

Raisons de l’importance actuelle

C’est le bon moment pour relancer ce type de missions sur des sujets prioritaires d’intérêt collectif, pour lesquels l’expérience étrangère a développé certaines innovations dont nous devons évaluer la pertinence et la transposabilité ; en effet :

a) Remobiliser et ressouder des équipes multi-organisations avec des clients et des acteurs économiques, autour de « demandes » prioritaires, correspond à un besoin fort.

b) De tels scanning tours permettent de créer un consensus sur la répartition la plus efficace, entre :

- la transposition rapide d’innovations étrangères existantes, après adaptation appropriée,

- le lancement français d’appels à idées, à propositions ou de concours de techniques innovantes sur les sujets importants pour lesquels il n’existe pas de solution adaptée ailleurs.

c) Sur les thèmes concernés par la décentralisation, les scanning tours peuvent être un outil privilégié pour associer des représentants de collectivités territoriales (en résolvant le problème du financement des missions à l’international). A noter que les US-State-DOT ont eu le même problème et l’ont résolu compte tenu de l’enjeu.

d) Pour les sujets dont le périmètre géographique de pertinence est plus large que la France, les « scanning tours » contribuent à créer un consensus français sur les choix appropriés de partenariats et sur l’état réel de nos forces et faiblesses.

Par ailleurs, pour les sujets sur lesquels la France aurait tout avantage à coopérer activement avec un autre pays européen, un « scanning tour » bien préparé pourrait se prolonger par un financement « Eurêka ».

e) Il ressort de nombreuses interviews d’acteurs français, tant publics que privés, que les scanning tours peuvent constituer un outil tout à fait approprié sur le fond et très opportun quant au moment. C’est une forme particulière, mais dynamique et ciblée de veille technique, qui peut aussi contribuer à créer une communauté d’intérêt qui se poursuive dans le temps d’une façon plus collégiale.

f) L’expérience récente de la direction des Routes sur des sujets particuliers comme les tunnels, montre que la connaissance préalable des pratiques intéressantes des différents pays européens rend le dialogue avec la Commission Européenne beaucoup plus pertinent et efficace.

Facteurs clés de succès et recommandations

- Ce type de missions, ciblées par sujet et dans le choix des pays visités, par un collectif motivé d’acteurs d’un même pays mais multi-organisations, constitue un outil de comparaison et de création de consensus particulièrement performant, dont la pertinence et l’utilité semblent importantes et durables.

- La motivation de participation des représentants d’entreprises ou des représentants des collectivités territoriales dépendra de la qualité de la préparation de ces missions pour qu’elles apportent aux premiers une plus value réelle de compétitivité, aux seconds une ouverture efficace.

Ces missions peuvent toucher :

- aux innovations à promouvoir par le secteur privé (innovations technologiques, etc.),

- aux innovations qui sont clairement dans le champ des maîtres d’ouvrage (les besoins et les bonnes pratiques à l’international sur ces sujets sont actuellement importants). A titre d’exemple, l’analyse des activités les plus performantes de l’AASHTO, et notamment le programme NCHRP et le Technology Implementation Group, pourrait être fructueuse avec les acteurs motivés par l’innovation dans les Conseils généraux.

D.9. Mieux définir un cadre vraiment propice au développement d’innovations par les entreprises

Préciser le cadre juridique et la répartition des risques

Historique et Bilan

Des formes de partenariats « maître d’ouvrage, maître d’œuvre, entreprise » pour l’innovation ont eu lieu, mais l’évolution de la réglementation et la progression du poids du juridique nécessitent de ré-analyser comment les motivations des acteurs concurrentiels de l’innovation peuvent être renouvelées tout en tenant compte des contraintes actuelles.

Une caractéristique de l’innovation, et particulièrement des chantiers expérimentaux, est d’augmenter les risques de défaut ou de désordre. Les schémas actuels précisent mal qui prend le « risque de l’innovation ». Il est utile qu’il soit partagé entre les acteurs, mais cette répartition entre le maître d’ouvrage, le maître d’œuvre et l’entrepreneur doit être définie à la mesure de ce que chacun peut le mieux maîtriser et supporter, compte tenu des avantages qu’il en retirera.

Par ailleurs, la décision européenne d’élever le pourcentage du PNB consacré à la recherche, et notamment la proportion financée par le secteur privé, exige de très bien identifier le cadre qui la rendra possible.

Facteur clé de succès

Plus le lien entre la décision pour une entreprise d’innover et le fait qu’elle maximise ses chances de gagner un (ou des) marché en aval est direct et manifeste, plus l’effet de levier est efficace. Ceci est vrai à court terme pour la décision de mobiliser toutes les forces appropriées pour gagner, ceci est également vrai à long terme pour conserver ou développer (ou au contraire licencier) des équipes innovantes, avec toutes les conséquences que cela peut avoir. Il ne faut pas oublier que certaines équipes de recherche / innovation de grands acteurs concurrentiels de notre secteur ont été réduites environ par un facteur deux au cours des dernières années. Si les procédures classiques de soutien à l’innovation restent utiles, il faut bien mémoriser que ce « lien innovation / marché » est le levier créateur de motivation chez les entreprises.

Recommandations

1. Faciliter l’émergence d’une « communauté d’intérêt » d’acteurs motivés par chaque grand besoin. Lorsqu’un besoin d’innovation est important du fait d’une récurrence élevée d’une même famille de problèmes, il faut éviter que la dispersion des acteurs ne joue en défaveur de l’émergence de l’innovation attendue et susciter une « communauté d’intérêt » d’acteurs motivés (parfois les seuls maîtres d’ouvrage, dans certains cas un cercle plus large avec les entreprises). Il arrive qu’une organisation existante regroupe déjà l’essentiel des maîtres d’ouvrage intéressés (ASFA, Ministère, AITF…), mais de plus en plus ces communautés d’intérêt sont transversales par rapport aux organisations existantes ; il arrive que l’absence de dialogue entre les acteurs concernés tue, parfois définitivement, les innovations potentielles. La création de ces communautés d’intérêt devrait être encouragée, et leurs projets innovants mériteraient d’être facilités. Ceci est un complément à la re-dynamisation de l’innovation par la demande (cf. D 3).

2. La maîtrise d’ouvrage devrait mieux exprimer les valeurs clients qu’elle attend et les règles pour évaluer les offres. Ceci est notamment important concernant l’environnement et la valeur du temps de l’usager, pour les travaux sous circulation par exemple : l’émergence des solutions innovantes (dans ce cas avec préfabrication et interventions plus courtes) serait facilitée. Le Royaume-Uni utilise le système des « lane rental » depuis près de 15 ans et les États-Unis préparent une action importante sur les grands chantiers de réhabilitation avec gêne minimale pour les usagers. Profitons-nous pleinement de ces expériences ?

3. Approfondir l’analyse juridique du risque entre les différents participants à l’innovation en affectant chaque risque à l’acteur le plus à même de le maîtriser et en vérifiant qu’il a aussi les moyens de le supporter. Définir à l’avance la participation de chacune des parties à la réparation des désordres éventuels. Rechercher des solutions où les acteurs partagent leur contribution à la couverture du risque, en s’appuyant par exemple sur une compagnie d’assurance ou encore en se couvrant mutuellement.

4. Pour créer un cadre incitatif au développement des innovations par les acteurs économiques concurrentiels, les solutions suivantes peuvent être citées par ordre de priorité décroissante :

- les concessions,

- les conceptions-réalisations,

- les marchés de définition,

- les appels d’offre avec variantes,

- le dialogue compétitif (ex sur performances),

- les concours de techniques innovantes liées à des chantiers en aval.

5. A contrario, les cas où des maîtres d’ouvrage ne respectent pas les règles de la propriété industrielle ou intellectuelle, ont des conséquences catastrophiques et durables sur la motivation des acteurs concurrentiels.

6. Il existe plusieurs cas où un processus de demande d’innovation de la part des maîtres d’ouvrage a donné l’impression aux entreprises de manquer de cohérence ou de continuité : une demande initiale exprimée fortement au départ a donné lieu à un effort d’innovation sensible en entreprise, et in fine les clients ont soit changé de priorité, soit n’acceptent pas de payer le surcoût de l’innovation techniquement réussie. Tel est le cas de certaines innovations qui contribuent au développement durable. Les frustrations induites par ce type de « processus raté » pèsent parfois plus durablement ou profondément qu’on ne le penserait. Ce sont des pertes d’efficacité collective à prendre plus au sérieux que ce n’est le cas actuellement, car elles sont aussi des occasions manquées du collectif français vis-à-vis du maintien de la compétitivité internationale.

7. Il ne faut pas s’arrêter aux seules solutions organisationnelles que nous connaissons aujourd’hui :

- des pays comme l’Australie ou le Royaume-Uni pratiquent des marchés d’entretien sur un réseau routier de plusieurs centaines de kilomètres, pendant des durées de 5 à 10 ans : la combinaison de l’effet « taille » et de l’effet « durée » est créatrice d’innovation tant dans les techniques de chaussées que pour l’auscultation

- de la même façon, les « CREMA » d’Amérique latine pour des renforcements lourds d’itinéraires jouent sur les mêmes facteurs

- l’expérience du « Partnering » du Royaume-Uni développe dans certains cas un esprit de coopération propice à l’innovation ; des entreprises françaises y ont activement participé. Analyser sans a priori les bilans de ce type d’expériences et leur transposabilité pourrait constituer un sujet utile de « scanning tour » multi-organisation.

Force est de constater que « l’innovation fuit les espaces trop réglementés », un équilibre reste à trouver.

8. La définition précise et actualisée des complémentarités, des rôles, des responsabilités et des synergies des différents acteurs de l’innovation est un moyen constructif :

- de ressouder une communauté autour d’objectifs communs,

- et d’expliciter des demandes spécifiques du Ministère adaptées aux nouveaux enjeux et tenant bien compte des nouveaux contextes.

La direction des Routes suédoise a lancé une démarche similaire qui a débouché sur une telle définition, qu’elle a clairement affichée dans son document d’orientation de la R & D et de l’innovation.

Cette définition devrait au minimum couvrir l’ensemble des services du Ministère concerné (DR, DRAST, DAEI, SETRA, CETU, CERTU, LCPC, CETE, DRE, DDE…). Si une concertation de l’ensemble des acteurs clés aboutit à une vision commune, il peut être très utile de produire un document commun au Ministère, aux autres maîtrises d’ouvrages et aux professions.

D.10. Communiquer sur l’innovation

Sortir de la confidentialité

L’analyse internationale, celle des meilleures pratiques nationales, historiques ou par domaines et l’écoute attentive des acteurs amènent à des recommandations spécifiques pour la mise en œuvre d’une stratégie d’innovation renouvelée.

Sensibiliser et mobiliser l’ensemble des acteurs de l’innovation routière sur les enjeux de l’innovation. Relancer une politique d’innovation renouvelée, c’est aussi décerner une reconnaissance appropriée aux acteurs qui mettent en pratique les valeurs que cette politique veut promouvoir.

En ce sens, un ensemble de prix annuels décernés par le Ministère, résultant de concours ou avec d’autres

dispositifs, lorsque cela est plus approprié, peut avoir un impact fort pour un coût très raisonnable :

- Un prix récompensant l’équipe qui a créé le plus de valeur pour l’ensemble des acteurs routiers et des usagers, en France et à l’export, mettrait l’accent sur la pertinence des innovations.

- Un prix pour l’équipe multi-organisation dont l’innovation a le mieux fait jouer les complémentarités entre acteurs permettrait d’affirmer la valeur du décloisonnement.

- Un prix pour l’équipe la plus performante pour la valorisation d’une innovation affirmerait que cette valorisation est aujourd’hui le nerf de la guerre.

- Un prix pour le gestionnaire de procédure le plus efficace pour soutenir l’innovation reconnaîtrait à sa juste valeur ce travail discret, difficile, de service public, et à fort effet de levier.

En période de décentralisation, le développement de valeurs communes est une nécessité sur le long terme.

Le rôle de la communication sur la politique d’innovation est important.

Dans son rôle d’animation de la politique nationale d’innovation routière, la direction des Routes aurait besoin de développer une communication structurée et durable auprès des différents acteurs, y compris des décideurs / managers et sans oublier les services de l’État.

La cohérence effective et sur le long terme entre cette politique annoncée, la façon dont les procédures sont financées et fonctionnent, et le lien entre les innovations de grande qualité avec l’attribution de marchés sont des facteurs clés de décision des directeurs généraux du secteur concurrentiel pour investir en innovation et dans les experts correspondants. C’est pour cette raison que cette cohérence doit être construite, pilotée dans le temps et largement communiquée.

En période de restrictions budgétaires fortes, il semble qu’il vaille mieux être plus sélectif pour ne soutenir que les meilleures innovations, mais il ne faut pas relâcher le pilotage de cette cohérence.

Les efforts de communication du Ministère devront être orientés à la fois vers les partenaires industriels, les acteurs de l’innovation, mais aussi vers les élus, le grand public et les organismes de pression sociétale et de défense de l’environnement, qui devraient devenir encore plus actifs dans les années à venir (cf. A 86 Ouest). On peut noter par exemple à ce sujet la politique active de communication de Colas auprès du grand public et sur des sujets ciblés (environnement). L’attractivité du secteur auprès des jeunes est aujourd’hui basse et même critique. L’innovation peut être à la fois un vecteur d’une communication efficace et le premier bénéficiaire à moyen terme d’une attractivité réussie.

Développer l’information et la communication sur les dispositifs

Créer un support d’information synthétique global facilement accessible, destiné en particulier aux PME, sur l’ensemble des procédures et des aides à l’innovation (voir par exemple le document édité par la direction des Routes des Pays-Bas : programme « Roads to the Future »).

- Création d’un site d’information et d’échange sur Internet (sur les procédures, les labels, les projets, des « success stories », les scanning tours),

- Publication d’un guide et d’un mode d’emploi des procédures et des labels à destination des bénéficiaires.

- Organisation éventuelle d’un événement sur l’innovation routière à l’occasion des congrès et exposition Interroute (Montpellier fin septembre 2004, puis possibilité de pérennisation tous les deux ou trois ans avec Intermat, TP Tech ou Interroute).

E. Conclusion

L’innovation routière est une tradition française depuis les années 60. Elle a montré son intérêt économique d’abord pour les maîtres d’ouvrage en réduisant les dépenses des ouvrages nouveaux et aussi les coûts d’entretien. Elle a donné aux entreprises routières françaises une forte réputation internationale qui s’est traduite dans l’obtention de marchés. L’usager y a gagné en sécurité routière et en confort de conduite.

L’esprit de coopération entre la direction des Routes et les entreprises a abouti à des innovations performantes grâce au réseau technique du ministère de l’Équipement qui a étudié, amélioré, suivi et validé les propositions. Ce réseau a ainsi renforcé ses compétences au profit de la qualité des routes françaises. De même les entreprises ont développé leur effort de recherche en se dotant de moyens d’étude et de contrôle.

Mais on constate aujourd’hui un certain essoufflement dans l’innovation. Un certain décalage se profile entre les thèmes d’innovation et la demande sociale. Comme les effets de l’innovation se manifestent sur le moyen terme (de l’ordre de 5 à 10 ans), l’impact économique de cet essoufflement n’est pas encore tangible. Pour y remédier, les procédures de soutien à l’innovation pourraient bénéficier d’un échange des bonnes pratiques ; des méthodes aidant à la pertinence accrue d’une sélectivité sont à développer.

L’évaluation a analysé les diverses procédures de soutien à l’innovation et a relevé leurs avantages et leurs faiblesses. Des améliorations sont suggérées à caractère général pour l’ensemble des procédures dans le corps du rapport, et procédure par procédure dans les annexes. L’arrêt des chantiers expérimentaux, étape clé de validation d’une innovation routière, a bloqué la poursuite des chartes d’innovation. Une méthode compatible avec le code des marchés publics reste à préciser pour passer ces marchés de chantiers expérimentaux.

La relance de l’innovation semble aujourd’hui nécessaire aux nombreuses personnes qui ont été questionnées dans le cadre de cette évaluation : l’avance française s’estompe, avec son avantage économique pour les maîtres d’ouvrage routiers (en majorité publics) et l’atout qu’elle représente pour les entreprises à l’exportation. L’expérience étrangère confirme que l’innovation ne peut se développer sans l’appui des maîtres d’ouvrage. Les procédures de soutien sont donc une nécessité ; la direction des Routes a bien la légitimité pour les piloter.

Le rapport propose de poursuivre ces procédures en y associant largement les autres maîtres d’ouvrage (collectivités territoriales et concessionnaires) : définir avec eux les besoins prioritaires d’innovation, intégrer leurs représentants dans les procédures et organiser avec eux l’expérimentation. Pour ces procédures, sont recommandés : leur insertion sous un sigle commun unique, une ouverture réelle aux PME, un élargissement à l’échelle européenne et une prise en compte de la valorisation à toutes les étapes des projets soutenus. Un rapprochement avec des agences généralistes comme l’ANVAR devrait faciliter le recours à des procédures communes. Il semble nécessaire d’organiser la veille technique (par les « scanning tours »), de recréer des creusets d’innovation et de communiquer plus sur ce thème.

La 3e partie de ce rapport contient les annexes générales. Il est consultable à l’adresse suivante :

http://www2.equipement.gouv.fr/rapports/archive_r/infra_rapport.htm

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