En 2018, le projet national Recybéton arrive à son terme. Alors que les bétons de démolition sont dans leur immense majorité recyclés en technique routière, toute la filière s'est mobilisée six ans durant pour faciliter leur utilisation dans de nouveaux bétons pour le bâtiment. Les 47 partenaires ont produit une série de recommandations sur le tri des matériaux, leur caractérisation, les taux de substitution des granulats en fonction des différents environnements ou encore l'adaptation des formulations. Dans les années qui suivent, la réglementation évolue : la norme granulats NF P18-545 est adaptée en 2021, puis c'est au tour des règles d'utilisation des granulats recyclés dans les bétons (NF EN 206 + A2/ CN) en 2022.
Quant aux Eurocodes 2, il ne leur manque aujourd'hui que le document concernant les calculs au séisme, pour lequel des essais sont en cours. Maîtres d'ouvrage, bureaux d'études et entreprises disposent désormais, en plus de l'approche performantielle, d'un panel réglementaire et normatif très complet pour massifier le recyclage des bétons de démolition dans de nouvelles constructions.
Les maîtres d'ouvrage « sont de moins en moins réticents et ont même parfois des exigences difficiles à honorer car la ressource n'est pas toujours suffisante », estime Isabelle Moulin, directrice du développement au Lerm, le laboratoire d'études et de recherche sur les matériaux de Setec. De leur côté, « les producteurs de granulats ont bien compris qu'il serait de plus en plus compliqué d'ouvrir des carrières alors que les grands centres urbains représentent un vaste gisement, constate Philippe Francisco, directeur adjoint matériaux et économie circulaire au Centre d'études et de recherches de l'industrie du béton (Cerib). Ils se mettent en ordre de marche.
Et les fournisseurs et équipementiers suivent »
En 2018, la part des granulats recyclés dans le béton était estimée à 10 % de la production nationale.
La massification espérée a-t-elle pour autant lieu ? Difficile à dire, car ce type d'utilisation n'est pas chiffrée. Au moment du projet Recybéton, la part des granulats recyclés dans le béton était néanmoins estimée à 10 % de la production nationale. Il semblerait qu'elle ait peu évolué. Si 80 % des tonnages de béton déconstruits sont recyclés, seule une faible proportion intègre de nouveaux bétons de construction. « La grande majorité des matériaux recyclés après démolition de bâtiments, voire d'ouvrages d'art, est toujours orientée vers des applications routières », indique Frédéric Thoué, président de la commission technique de l'Union nationale des producteurs de granulats (UNPG).
« L'usage reste faible ».
Par ailleurs directeur adjoint qualité granulats et fillers chez Lafarge, il remarque : « L'offre est là mais l'usage reste faible. » Et ce malgré des réalisations spectaculaires, la plus connue étant le projet Recygénie, mené à Gennevilliers (Hauts-de-Seine) par le bailleur social Seqens avec Holcim France et l'agence d'architecture A26. Achevés fin 2024, ces bâtiments disposent en effet d'une structure 100 % recyclée, des gravillons au sable en passant par le ciment et même l'eau.
« Il faut que la filière se mette en place, une filière un peu différente de la production de granulats de béton recyclé pour la technique routière et les aménagements de type remblais, avec d'autres équipements et, surtout, un matériau mieux déconstruit et mieux trié », plaide Isabelle Moulin. Plâtre, plastique, polystyrène et métal doivent être évacués : c'est le déchiffonnage. « Une tâche essentiellement manuelle, fastidieuse, pour laquelle il est difficile de trouver des opérateurs », soupire Frédéric Thoué. Son automatisation, complexe et coûteuse, est encore peu développée.
Le plâtre, notamment, est la bête noire des producteurs car il contient des sulfates dont la teneur doit être très limitée pour un usage béton afin de prévenir les risques de gonflement. « C'est l'une des raisons pour lesquelles les minéraux issus de la démolition entrent beaucoup dans les applications routières dont la production est moins exigeante que celle des matériaux destinés à un usage béton », souligne Frédéric Thoué.
Les assurances font de la résistance, faute de recul suffisant sur les bâtiments construits avec du béton recyclé.
Défi logistique
La norme a par ailleurs restreint l'usage des sables recyclés, contenant des fines particules de plâtre et des impuretés, qui affichent des caractéristiques légèrement inférieures à celles du sable naturel. « Or le recyclage du béton de démolition génère des granulats de toutes tailles, des sables aux gravillons, mais les producteurs ne peuvent pas vendre que les gravillons. Ils ont besoin d'un exutoire pour tous leurs produits, sable compris », argumente Frédéric Thoué. Sans compter que la fabrication d'un granulat recyclé est un peu plus chère que celle d'un granulat naturel. « Et le marché n'accepte pas ou rarement ce surcoût. Ce qui signifie que les clients des producteurs achètent les granulats recyclés au même prix que les naturels », regrette Frédéric Thoué. La filière se heurte également à un défi logistique car la production nécessite des cases de stockage supplémentaires et demande donc de la place. « L'introduction dans la norme de la notion de granulats en mélange, c'est-à-dire un mélange de granulats naturels et recyclés, est un levier contre les limitations imposées par le manque d'espace dans les centrales à béton », estime cependant Isabelle Moulin.
Des pratiques hétérogènes
Tout comme la production de granulats, la formulation des bétons recyclés est plus exigeante que pour ceux à base de granulats naturels. « Lorsque les taux de substitution s'élèvent, la norme impose d'ajouter notamment des fibres dans la formule béton pour assurer leur tenue au feu, ce qui crée une complexité supplémentaire et un surcoût », reconnaît Frédéric Thoué, de l'UNPG. « La chaîne de production n'est pas encore rodée à ces formules qui demandent une appréciation et des habitudes différentes de ce qui se fait avec des granulats naturels », ajoute Isabelle Moulin. La directrice du développement du Lerm avoue son scepticisme face au 100 % recyclé. « Si cela conduit à augmenter le dosage en ciment ou en liant du béton pour conserver ses propriétés, c'est un non-sens environnemental », clame-t-elle. Et Philippe Francisco, du Cerib, de rappeler : « Ce qui conduit à choisir tel ou tel granulat, c'est sa capacité à satisfaire les exigences de performance, qu'il soit naturel ou recyclé. » Et là, tout est question de disponibilité sur le territoire.
« Les pratiques de recyclage aujourd'hui ne sont pas homogènes : certains acteurs sont prêts, ont fait l'effort d'aller vers le marquage CE, voire CE2+, d'autres n'ont pas vraiment démarré », observe Philippe Francisco. Le dynamisme de l'activité locale et la présence d'exutoires favorisent la montée en gamme et facilitent la traçabilité nécessaire pour garantir les performances des granulats recyclés pour béton. « La prescription doit tenir compte du territoire, précise Philippe Francisco. Une collectivité située dans une région à faible activité ne peut pas réclamer 20 % de granulats recyclés dans tous ses bétons. A l'inverse, dans les zones où l'offre en granulats recyclés qualifiés est importante, la prescription pourrait en tenir compte. »
Structurer une filière locale
Le Cerib a ainsi contribué avec la Fédération de l'industrie du béton (Fib) au projet Olympi, soit la construction de 37 logements sociaux dans le centre-ville de Chartres pour le compte de Pierres & Territoires d'Eure-et-Loir (Procivis). « Ce projet a été l'occasion pour des PME de la région de fournir des produits préfabriqués en béton contenant une part de granulats recyclés issus de la déconstruction de sites proches et traités également par une plateforme locale », décrit Philippe Francisco. Viser des projets réalistes avec des taux de substitution raisonnables permet de structurer une filière locale dans la durée. C'est aussi le moyen de convaincre les assurances qui, faute de recul suffisant sur les bâtiments construits avec du béton recyclé, font de la résistance.
Reste que les constructeurs visent en priorité la décarbonation de leurs bâtiments, beaucoup plus regardée que l'économie de ressources. « Le granulat recyclé n'est pas un élément majeur du poids carbone d'un ouvrage », déplore Frédéric Thoué.

Les cimentiers ne font pas la « fines » bouche
Du côté de France Ciment, la décarbonation du béton est perçue comme une évolution positive, sans pour autant constituer une révolution pour la filière. « Concrètement, nous utilisons des fines de béton recyclé comme filaires dans les ciments, ce qui contribue à faire baisser leur poids carbone, explique Laure Hélard, la déléguée générale de l'organisme. Elles permettent d'offrir une alternative au clinker. C'est une corde supplémentaire à notre arc, mais leur volume est encore insuffisant pour avoir un impact significatif sur notre activité. » Obtenir ces fines de béton suppose de concasser le ciment récolté sur un chantier et d'en séparer la fraction fine, dont la dimension est inférieure à un grain de sable. Restent les granulats usagés qui demeurent les principaux composants du béton (70 % en poids) et dont le périmètre de valorisation, pourtant large, ne concerne pas les ciments.