Ces derniers mois, de reports d’échéances de mise en conformité des ERP en simplifications normatives, l’objectif d’une accessibilité universelle n’a jamais paru si éloigné. Et pourtant, à l’issue de la première table ronde des Rencontres de l’Association pour la promotion de l’accessibilité et de la conception pour tous (Apact) ce 11 février à l’Hôtel de ville de Paris, Alain Rochon, président de l’Association des paralysés de France a eu cette conclusion extrêmement optimiste : « L’accessibilité ? Je commence à me dire que le rêve peut devenir réalité ». Et ce pour une raison a priori surprenante : « La preuve, aujourd’hui nous n’avons quasiment pas parlé de handicap ». Comme si le handicap principal de l’accessibilité c’était… le handicap justement.
Et pourquoi pas ? A y regarder de plus près, on s’aperçoit que le régime de normes et de sanctions concernant la mise en accessibilité des logements et des établissements recevant du public a échoué, au-delà des raisons de coût, principalement parce que la question a toujours été jugée « catégorielle ». Et le discours compassionnel n’a jamais été réellement audible.
Une politique de développement
Il faut donc changer de point de vue. Et la transition a déjà commencé : il est tout simplement en train de se produire concernant l’accessibilité ce qui s’est produit ces dernières années concernant la transition énergétique. Après avoir pris un tour culpabilisateur et punitif – « arrêtez de polluer sinon… », puis avoir tenté de « vendre » au grand public de grands principes – « sauvons la planète » -, le discours s’est orienté vers des notions beaucoup plus terre à terre et abordables de confort et de croissance économique. Or, en termes de confort pour tous et de relais de croissance (le chantier d’adaptation est gigantesque), qui peut nier que l’accessibilité possède un potentiel énorme ?
Reste donc à en faire une politique. Ce que l’économiste Jean-Hervé Lorenzi, invité à lancer les débats, a qualifié de « politique de développement ». « Il faut cesser d’intégrer les traitements du handicap et de la dépendance, car les deux vont de pair, dans une politique sociale mais les aborder dans une politique économique ambitieuse ! Une politique de développement. »
Une politique de croissance nouvelle qui bénéficierait aussi bien aux commerces qu’au secteur de la construction. « Il faut faire comprendre que plus d’accessibilité, c’est plus de chiffre d’affaires ! » a ainsi martelé Alain Rochon. « Dans un magasin d’habillement dans un centre commercial, le gérant m’a expliqué avoir installé une rampe d’accès non pas pour des questions d’accessibilité des personnes en fauteuil, mais pour attirer plus de clientèle ! Désormais, les personnes avec leur caddie peuvent entrer directement dans le magasin. Et s’il faut une autre preuve que les équipements d’accessibilité profitent à tous, vous n’avez qu’à voir l’entrée du ministère des Affaires sociales : il y a un escalier et une rampe. Eh bien tout le monde prend la rampe ! »
Confort pour tous
Le secteur de la construction bénéficierait lui aussi de cette nouvelle politique. A condition d’accepter quelques adaptions. A commencer par une réflexion essentielle sur le coût de l’espace dans les logements neufs. «L’accessibilité ça demande de l’espace. Or on nous a appris depuis des années qu’il fallait vivre dans des appartements plus petits car le mètre carré de terrain est cher », explique Frédéric Denisart, architecte, responsable de la Commission accessibilité de l’Ordre. « La valeur foncière détermine donc le soi-disant surcoût de l’accessibilité. Il faut sortir de cette logique et, au contraire, investir dans ces mètres carrés supplémentaires qui sont vitaux pour le confort de tous ».
Des logements plus grands pour tous, l’idée a de quoi séduire. Il en va de même en ce qui concerne les équipements : « Aujourd’hui il y a deux catalogues », poursuit Frédéric Denisart. « Un catalogue pour tous, varié et design et un catalogue « spécial accessibilité » assez laid et surtout plus cher. Pourquoi ? Rendons les équipements design, accessibles et surtout destinés à tous dès leur conception !»
Enfin, pour l’architecte, il faut « sortir du séquencement actuel dans les travaux qui font que chaque intervenant travaille pour lui-même ».
Une idée que partage Jean-Luc Saussois, artisan maçon qualifié Handibat (Capeb). « Nous qui travaillons dans la rénovation des logements, nous devons faire un travail sur mesure. Cela passe par un diagnostic de départ pour déterminer les besoins puis une collaboration parfaite entre tous les corps de métiers concernés pour que le confort d’usage soit optimal ». Une logique qui là encore se rapproche de celle de la rénovation énergétique. Et qui rencontre le même obstacle : le financement. Même si les crédits existent (20 milliards d'euros de la Caisse des dépôts sont à la disposition des collectivités pour leurs bâtiments, BPiFrance a mis 500 millions d'euros à la disposition des restaurateurs et des commerçants, l’Anah subventionne jusqu’à 50 % du montant des travaux dans un logement via les 50 millions d'euros dévolus au plan national d’adaptation), ils ont du mal à circuler. « Aujourd’hui, déplore Jean-Luc Saussois, pour obtenir les financements, c’est beaucoup trop long. » Conséquence, le développement économique de la filière est bloqué par ces délais de paiement. « Les artisans ne se lancent pas dans l’adaptation des logements car ils mettent trop de temps à se faire payer ! » regrette-t-il.
Dès lors, l’idée avancée par Delphine Mallet, directrice des services de la Silver économie du Groupe La Poste a de quoi séduire : « Pourquoi ne pas avoir une approche intégrée – énergie, confort, accessibilité – et grouper les travaux ? »
Alors à quand des "Pros de la performance énergétique des logements accessibles" ou des "éco-artisans handibat" ?