Quelle importance prend la question urbaine dans la politique de la Caisse des dépôts ?
DANIEL LEBEGUE. La gestion des fonds d'épargne et le financement du logement social sont deux des grandes missions d'intérêt général imparties à la Caisse des dépôts. La dernière baisse du taux du livret A s'est répercutée sur celui des prêts PLA, ramené à 4,3 %. Même si ce taux est le plus bas depuis des décennies, la charge réelle de la dette n'en demeure pas moins élevée pour les organismes, supérieure de 3 points environ à l'évolution de leurs recettes locatives, ce qui rend difficile le montage financier de certaines opérations. C'est un frein à l'effort d'investissement - construction et réhabilitation - dans le parc HLM.
Conscient de cette situation, le gouvernement a donné aux organismes d'HLM un ballon d'oxygène en décidant récemment un réaménagement de l'encours des prêts anciens qui allégera de 15 milliards de francs au total leur charge de remboursement, dont 350 millions la première année. Une baisse de 0,75 % du taux du livret A - recommandée par le comité des taux réglementés - se traduirait par un allégement considérable de la charge de la dette, que nous chiffrons à 45 milliards de francs sur la durée de vie des prêts. Elle serait sans aucun doute favorable à une relance de l'effort de construction.
En dépit des remboursements anticipés, l'encours des prêts sur fonds d'épargne en faveur du logement social est resté stable depuis un an. Les versements au secteur locatif social et à la politique de la ville ont totalisé 28 milliards de francs en 1998, chiffre voisin de celui de 1997 mais très inférieur à ce que l'on enregistrait au début de la décennie.
La panne de la construction ne relève-t-elle pas d'autres facteurs liés aux problèmes urbains ?
Oui, il faut sortir du traitement dans l'urgence des situations de crise dans un quartier ou un immeuble pour aller vers une approche plus globale de l'aménagement de la ville et des quartiers à l'intérieur d'un projet de ville - ce que nous appelons le renouvellement urbain. En un mot, placer la transformation des quartiers et le réaménagement de la ville sur elle-même dans une démarche cohérente qui traite de tous les aspects de la vie urbaine - le logement, les équipements collectifs, le réseau de transports, l'activité économique -, avec une approche coordonnée des acteurs publics et privés, une maîtrise d'ouvrage et une conduite de projet très structurées, très opérationnelles.
Quel serait, dans cette configuration, le rôle de la Caisse des dépôts ?
Il y a un consensus dans notre pays sur le modèle républicain et européen de la ville à l'aube du XXIe siècle : lieu d'échanges, d'intégration, d'équilibres sociaux et géographiques, de développement cohérent autour de fonctions collectives, dans un espace pertinent qui apparaît de plus en plus être celui de l'agglomération. Ce qui me paraît primordial aujourd'hui, c'est la question du comment : comment traduire le projet en actions dans les différents champs de la vie urbaine ?
Où en est la réflexion de la Caisse des dépôts ?
D'abord, pour qu'un projet urbain réussisse, il faut définir clairement qui en est le maître d'ouvrage, qui en assure la responsabilité et le portage politiques. Pour nous, un projet de ville - ou pour la ville - est défini et porté politiquement par l'équipe qui a reçu la légitimité du suffrage universel. C'est-à-dire le maire ou le responsable de l'agglomération lorsqu'il y en a une. Si nous avons en face de nous une équipe d'élus qui s'engage de façon déterminée et assure le portage politique d'un projet urbain dans sa définition et sa mise en oeuvre, la Caisse des dépôts est prête à l'accompagner. Nous ne nous engagerons pas dans des projets dont la maîtrise d'ouvrage n'est pas cohérente ni assumée.
Ensuite, il appartient au maître d'ouvrage principal de définir un mode opératoire efficace pour la conduite du projet. Il y a un maître d'ouvrage principal ; il peut y avoir des maîtres d'ouvrage associés, publics ou privés. Qu'un maire décide de retenir comme maître d'ouvrage associé un office ou une société anonyme d'HLM me paraît légitime et bienvenu. Mais il ne peut y avoir de situation avec cinq ou dix maîtres d'ouvrage sans que l'on sache qui tient le gouvernail.
Troisièmement, dans certains domaines, l'Etat et ses services locaux ont une responsabilité directe : ce ne sont ni les maires ni les organismes d'HLM qui vont décider de l'implantation d'un commissariat de police ou des écoles dans la ville.
Quatrièmement, une conduite de projet opérationnelle suppose aussi une assistance à maîtrise d'ouvrage et une maîtrise d'oeuvre efficaces. Il faut un engagement clair sur le calendrier et le budget du projet, ainsi qu'une méthode précise et rigoureuse d'évaluation. Enfin, il faut associer les habitants à la définition du projet et à sa réalisation.
Dans ce processus, comment voyez-vous le rôle de la Caisse des dépôts ?
La Caisse des dépôts n'a pas vocation à être maître d'ouvrage. Ce n'est pas à elle de décider quels sont les bons ou les mauvais projets. Elle ne prétend pas non plus détenir seule la bonne méthodologie pour la conduite des projets. Mais, grâce à notre expérience dans ce domaine et à notre connaissance des bonnes pratiques à l'étranger, nous avons des idées précises sur la conduite de projet, l'organisation des maîtrises d'ouvrage et d'oeuvre, l'évaluation... que nous mettons à la disposition des acteurs qui le souhaitent. Nous sommes en train d'établir des guides méthodologiques pour aider les responsables locaux à travailler vite et efficacement. La Caisse des dépôts est prestataire de services et pourvoyeuse de moyens. Prestataire de services dans le champ de l'ingénierie, de l'assistance à maîtrise d'ouvrage et de la maîtrise d'oeuvre par ses filiales Scic, Scet, Transdev... Nous apportons également des moyens financiers : deux enveloppes de 10 milliards de francs chacune ont été ouvertes sur les fonds d'épargne, l'une à 3,8 % pour les opérations de construction-démolition et de réhabilitation lourde et l'autre à 4,3 % pour financer ou cofinancer les projets urbains dans le champ de la politique de la ville.
En outre, nous avons dégagé 300 millions par an sur nos fonds propres : 100 millions de francs de subventions seront engagés de manière décentralisée pour cofinancer de l'ingénierie et de l'assistance à conduite de projet ; 200 millions seront destinés à de l'investissement dans des projets urbains. Nous sommes prêts à mettre de l'argent comme investisseurs publics dans des projets identifiés au plan local que nous jugerons économiquement solides. Mais ce n'est ni du mécénat ni de l'investissement à fonds perdus.
Nous examinons déjà plusieurs projets d'investissement permettant par exemple de recréer dans certains quartiers des centres commerciaux avec des acteurs privés. Certaines grandes chaînes de distribution seraient prêtes à moderniser des magasins, mais elles voudraient que les accès ou les parkings soient mieux aménagés. Nous sommes prêts à investir aux côtés d'acteurs publics et privés, à travers des sociétés d'économie mixte par exemple. Je crois à l'effet de levier : je suis convaincu que de grandes entreprises privées seraient prêtes à s'engager sur des projets bien montés qui bénéficient de soutiens publics de l'Etat, des collectivités et de la Caisse des dépôts. En mettant 200 millions de francs de fonds propres par an, nous devons pouvoir réunir des tours de table d'investisseurs de l'ordre de 1 à 2 milliards de francs sur la durée triennale de notre programme.
Pour l'instant il n'y a pas d'opérateur privé véritablement engagé dans la politique de la ville. Or, les bonnes volontés ne suffisent pas. Il n'y a rien de plus complexe, de plus professionnel que de recomposer une ville... Cela relève de la conduite de grands projets. Restructurer une grande ville comme Marseille, c'est aussi compliqué que de construire le tunnel sous la Manche.
Comment allez-vous ventiler les sommes des fonds d'épargne ? Avez-vous les moyens de dire non quand un projet ne vous convient pas ?
Entre octobre et décembre 1998, nous avons identifié cent vingt projets d'ensemble, correspondant à une centaine de villes et à deux cents opérations individualisées. Des élus sont prêts à engager les opérations dès 1999. Nous avons par ailleurs commencé à recenser les projets qui pourraient démarrer en 2000 : nous en sommes déjà à une centaine. Si une opération ne nous paraît pas solide dans son bilan économique ou sa maîtrise d'ouvrage, la Caisse des dépôts a toute liberté de ne pas s'engager. Mais nous ne sommes pas dans cet état d'esprit : nous voulons aller de l'avant et contribuer à créer une dynamique nouvelle. La montée en régime va se faire progressivement car, dans les projets urbains du type de ceux que j'évoque, le temps moyen de passage à l'acte est actuellement de deux ans et demi. C'est trop lent. Nous devons changer de rythme si l'on veut répondre à des besoins que tout le monde juge urgents.
Qu'attendez-vous de l'intervention annoncée du Premier Ministre sur les questions de la ville ?
Ce sera politiquement très important que le Premier Ministre marque un engagement fort, à la fois personnel et national, en faveur du renouvellement urbain. Pour la politique de la ville, le temps de l'action et de la mobilisation est venu pour tous les acteurs.
GRAPHIQUE : Evolution du nombre de logements (1993-1998) - La construction neuve marque le pas - La construction de logements sociaux a marqué le pas en 1998, pénalisée par les conditions financières défavorables des PLA (prêts locatifs aidés) qui alimentent la réticence des organismes. En revanche, les programmes de réhabilitation sont en expansion.