Bouygues Construction vient d’acquérir coup sur coup plusieurs entreprises européennes. Quelle est la logique de ces opérations ?
Je souhaite faire progresser nos activités européennes. Avec l’extension des frontières de la Communauté européenne, l’Europe, notre marché domestique, a pris de nouvelles dimensions et les prévisions de croissance, compte tenu des forts besoins d’équipement, sont supérieures à 5 % par an dans certains pays.
Par rapport à d’autres majors, Bouygues Construction n’est pas suffisamment présent en Europe. Nous avions eu tendance à privilégier une politique de grands projets complexes, conduits par des équipes d’expatriés. Aujourd’hui, il me semble pertinent de compléter cette approche en s’appuyant sur des implantations locales, maîtrisant leur environnement commercial et réglementaire local, leurs coûts de productions, et auxquelles nous apportons des ressources complémentaires en matière d’ingénierie financière, juridique ou technique, pour leur permettre de se lancer dans des opérations qui leur étaient inaccessibles auparavant. En clair, il s’agit de mettre la puissance d’un grand groupe au service d’entreprises locales.
Allez-vous privilégier les pays où vous êtes déjà présents ?
Là où nous sommes déjà présents, il faut nous renforcer : nous venons de le faire en Suisse en rachetant l’entreprise Marazzi, ce qui permet à notre filiale Losinger de devenir le troisième groupe de bâtiment en Suisse.
Là où nous ne sommes pas présents, nous serons opportunistes. Dans beaucoup de pays – Pologne, Hongrie – même si les plus grandes entreprises sont devenues filiales de majors européens, des opérations de croissance externe de taille significative sont encore possibles : c’est ainsi qu’en République tchèque, nous venons d’acquérir VCES, un acteur significatif du pays, qui nous permettra de couvrir le territoire tchèque mais aussi de rayonner vers la Slovaquie.
Vous avez, depuis 2002, œuvré pour restaurer la rentabilité de Bouygues Construction, où en êtes-vous et comment se présente 2006 ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions en 2002, ma priorité était de retrouver une rentabilité opérationnelle d’un bon niveau. A cette date, elle était voisine de zéro. En 2005, elle a atteint 4,7 % et nous pensons reconduire cette performance en 2006, ce qui pour nos métiers constitue un très bon niveau.
En 2005, nous avons enregistré 6,5 milliards d’euros de prises de commandes ; nous avons réalisé un chiffre d’affaires de 6,1 milliards et un résultat net de 175 millions. En 2006, notre prise de commandes et notre chiffre d’affaires devraient, pour la troisième année consécutive, afficher une augmentation d’au moins 10 %. Notre résultat net devrait également progresser. Je souligne aussi que chacune des entités de Bouygues Construction contribue à ces bonnes performances. Nos objectifs ont été atteints, mais nous ne relâchons pas nos efforts.
Vous aviez fixé quatre axes de développement : l’électricité-maintenance, les PPP, le montage immobilier et les concessions d’infrastructures de transport. Avez-vous atteint vos objectifs ?
Au-delà de la croissance des métiers traditionnels du groupe, nous avions effectivement défini des axes prioritaires de développement.
Le BTP étant un métier à cycle court, l’objectif était de nous développer dans des métiers à cycles moyens ou longs, de façon à améliorer la visibilité de nos revenus. Les quatre axes que nous avons privilégiés répondent à cet objectif.
Nous avons beaucoup travaillé sur les métiers de l’électricité-maintenance. Alors qu’ETDE réalisait fin 2002 environ 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, elle a clôturé l’année 2005 en franchissant la barre du milliard d’euros et prévoit d’atteindre 1,4 milliard en 2006. Sans trop de bruit, nous avons multiplié quasiment par trois notre activité en renforçant notre maillage géographique et nos compétences techniques, d’abord en France puis en Europe plus récemment. Nous avons fait, en particulier, une très belle avancée en Grande-Bretagne grâce au rachat de plusieurs entreprises. Nous exerçons désormais dans ce pays les principaux métiers d’ETDE et atteindrons 300 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2006. Nous allons essayer de reproduire ce modèle de développement dans d’autres pays européens.
Sur le développement immobilier, nous avons mis en place une véritable filière au sein de Bouygues Construction. Pour mieux répondre aux attentes des investisseurs, nous avons créé Advalys, une filiale d’Asset management qui commence à remporter ses premiers succès commerciaux. En France, le développement immobilier est désormais à l’origine d’environ 15 % de notre prise de commandes dans le bâtiment, avec des contrats très intéressants comme la Porte des Poissonniers à Paris, signé par Sodéarif, ou la plateforme logistique pour Renault à Sens, remportée par Cirmad. C’est une approche que nous cherchons à généraliser en Europe.
Où en sont vos développements en PPP et concessions ?
En matière de partenariats public-privé (PPP) au sens global, nous avons remporté un certain nombre de contrats : je pense à l’éclairage public d’Auvers-sur-Oise, au CHU de Caen, aux logipôles de Douai et de Magnac-Laval. Après une période que l’on peut qualifier de rodage, nous sommes attentifs à la façon dont ce marché va se développer, en particulier dans les grandes opérations d’infrastructures. Nous restons toujours très actifs en Angleterre où nous espérons finaliser trois nouvelles opérations d’ici la rentrée.
En matière de concessions, notre approche privilégie la création d’opérations ex-nihilo, qui intègrent le montage financier et juridique, la conception, la construction et l’exploitation. Nous avons remporté de beaux succès : l’A41 entre Annecy et Genève, les aéroports de Chypre ainsi que la liaison ferroviaire de Gautrain en Afrique du Sud, dont le bouclage financier est en cours. Comme vous le constatez, nous avons élargi notre palette d’interventions au-delà des concessions routières.
Quels sont vos objectifs à trois ans ?
D’abord, poursuivre la croissance rentable dans tous nos métiers. La croissance déjà évoquée d’ETDE, par exemple, a été menée tout en améliorant la performance économique de l’entreprise. Notre plan à trois ans se place donc dans la continuité des trois années écoulées. Un niveau de résultat opérationnel consolidé voisin de 5 % dans nos métiers reste un bon objectif. Cet objectif quantitatif sera soutenu plus que jamais par des objectifs qualitatifs : mettre en place une politique de développement durable concrète et structurée, pour répondre aux nouvelles aspirations du monde qui nous entoure ; renforcer l’attractivité de nos métiers, pour être capables d’attirer les meilleurs talents dans notre groupe, et de fidéliser nos collaborateurs.
Le recrutement constitue l’un de nos enjeux majeurs, puisque nous devons recruter cette année 7 000 collaborateurs, dont 3 000 en France. Nous nous sommes donné des moyens, en créant par exemple à Challenger une vraie cellule de recrutement, Job Search, en appui de nos entités pour recruter des collaborateurs expérimentés.
Enfin, je citerai la politique d’innovation et recherche-développement du groupe. L’innovation constitue un moteur de la dynamique de l’entreprise, c’est un élément majeur de différenciation et de compétitivité. Nous cherchons donc à la promouvoir dans chacun de nos métiers, en mettant en place une politique structurée, relayée dans toutes nos filiales. Cette année par exemple, nous travaillons de façon approfondie sur deux thèmes : le coût global d’un ouvrage et la construction durable.
Le fait que l’Etat envisage, dans le nouveau Code des marchés publics, de supprimer la possibilité de proposer des variantes inquiète les entreprises innovantes. Quel est votre point de vue ?
Dans la réforme du Code des marchés publics, qui doit transposer une directive européenne de 2004, il semble en effet que la variante deviendrait l’exception, c’est-à-dire qu’elle ne serait possible que si le maître d’ouvrage l’autorise explicitement. Le projet est actuellement au Conseil d’Etat mais si ce point était validé, ce pourrait être problématique.
Les innovations à l’origine des variantes font en effet progresser l’ensemble du secteur. A titre d’exemple, la variante pour construire un tunnel monotube (à la place d’un bitube) sur le chantier de Groene Hart aux Pays-Bas, a permis de réaliser le plus grand tunnelier du monde mais aussi de limiter l’impact sur l’environnement lors de la construction de l’ouvrage. L’innovation, moteur de l’entreprise, est également toujours une source de progrès pour la société et pour l’économie. Cela étant dit, faisons confiance aux maîtres d’ouvrage qui ne voudront pas se priver des variantes dans certains grands appels d’offres.
Vous avez répondu à l’appel d’offres d’EDF sur le réacteur nucléaire de Flamanville, dont vous assurez déjà le terrassement. Où en est cette offre et quelles sont vos ambitions dans le nucléaire civil ?
Nous avons remporté un premier lot de 41 millions d’euros avec DTP Terrassement (mandataire), Quille et Bouygues TP pour les travaux préparatoires. La notification est en cours. Pour le deuxième lot (génie civil), l’appel d’offres est en cours, le résultat pourrait être connu en juillet.
A propos de nos ambitions dans le nucléaire civil, je rappellerai que l’expérience de Bouygues est ancienne : nous avons construit les centrales de Bugey dans les années 70, puis Flamanville, Saint-Alban et Chooz. Nous sommes adjudicataires d’une partie du génie civil de la centrale d’Olkiluoto en Finlande qui utilise la technologie EPR. Nous sommes très intéressés par le nucléaire civil, convaincus que cette activité va se développer en France et à l’étranger, à la fois en construction de centrales et en démantèlement.
La prise de participation de Bouygues dans Alstom s’inscrit-elle dans cette volonté de développement dans l’énergie ?
Bien sûr, dans la mesure où tout ce qui touche l’énergie (et pas seulement le nucléaire) est porteur d’avenir, vu les besoins dans les pays en développement et l’épuisement prévisible des énergies fossiles. La prise de participation de Bouygues dans Alstom, qui sera finalisée après le feu vert des autorités de Bruxelles, doit permettre de créer des synergies entre nos deux groupes, à la fois dans le domaine de l’énergie et dans celui des transports.



