Les recours contentieux en matière de passation de contrats de la commande publique ont connu ces dernières années une recrudescence et une diversification. De la création du recours « Tropic » à la transposition de la directive « Recours » en passant par l’évolution jurisprudentielle de plus en plus soucieuse de tenir compte de l’objectif de stabilité des relations contractuelles , il n’est pas aisé pour une entreprise de s’y retrouver. Aussi est-il important pour elle de savoir si le contrat qu’elle envisage de conclure est un marché public, quels sont les recours existants et quel est le juge compétent.
L’acheteur est-il soumis au Code des marchés publics ?
Le Code des marchés publics (CMP) s’applique à l’Etat et à ses établissements publics autres que ceux ayant un caractère industriel et commercial. De même, il s’applique aux collectivités territoriales et aux établissements publics locaux, qu’ils soient de nature administrative ou industrielle et commerciale (sous réserve de certaines exceptions, comme les offices publics de l’habitat depuis la de simplification du droit du 17 mai 2011).
Certaines personnes privées peuvent également être soumises au CMP. Il s’agit notamment des personnes privées qui agissent comme mandataires d’une personne publique soumise au Code (mandat de la , mandat pour l’achat d’espaces publicitaires…) ou encore des organismes locaux de Sécurité sociale, qui appliquent les dispositions du CMP.
Lorsque ces personnes soumises au Code interviennent en tant qu’opérateur de réseaux (énergie, eau, services de transport, services postaux), elles ne sont pas qualifiées de pouvoirs adjudicateurs, mais constituent des entités adjudicatrices. Leurs achats sont soumis à des règles spécifiques fixées dans la seconde partie du CMP.
L’acheteur est-il soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 ?
Certaines personnes publiques ou privées, non soumises au CMP, sont assujetties à des obligations de mise en concurrence imposées par les directives communautaires sur les marchés publics, dès lors qu’elles peuvent être qualifiées de pouvoir adjudicateur ou d’entité adjudicatrice. Ces organismes relèvent de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative « aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au Code des marchés publics » et à ses décrets d’application.
Les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ordonnance du 6 juin 2005 sont : les organismes de droit public ou de droit privé sous influence publique « satisfaisant un besoin d’intérêt général ayant un caractère autre qu’industriel et commercial », dans le sens très spécifique où la jurisprudence européenne l’entend (exemples : groupements d’intérêt public, sociétés d’économie mixte, SA d’HLM, associations parapubliques, télévisions publiques) ; certaines personnes publiques sui generis (exemples : Banque de France, Caisse des dépôts et consignations, Institut de France, Académie française, Pôle emploi…) ; les établissements publics nationaux à caractère administratif lorsqu’ils interviennent dans le domaine de la recherche ; les offices publics de l’habitat.
Les entités adjudicatrices soumises à l’ordonnance du 6 juin 2005 sont : les pouvoirs adjudicateurs soumis à l’ordonnance exerçant des activités d’opérateurs de réseaux ; les entreprises publiques et tout organisme de droit privé bénéficiant de droits spéciaux ou exclusifs exerçant des activités d’opérateur de réseaux (tels RATP, La Poste, EDF).
A noter : ces personnes publiques ou privées relevant de l’ordonnance du 6 juin 2005 peuvent décider d’appliquer volontairement les règles prévues par le CMP, soit de manière générale pour l’ensemble de leurs achats, soit de manière ponctuelle, à l’occasion d’un marché particulier.
Le contrat est-il un marché public ?
Les marchés publics, entendus au sens du Code et de l’ordonnance du 6 juin 2005, sont des contrats conclus, à titre onéreux, avec un opérateur économique public ou privé en vue de satisfaire aux besoins d’un pouvoir adjudicateur ou d’une entité adjudicatrice en matière de fournitures, de services ou de travaux. Leurs objets peuvent donc être très divers. La contrepartie onéreuse n’implique pas nécessairement le paiement d’un « prix ». Il peut s’agir par exemple d’un abandon de recettes.
Le contrat est-il exclu du champ d’application du CMP ou de l’ordonnance du 6 juin 2005 ?
L’article 3 du Code et l’article 7 de l’ordonnance de 2005 dressent une liste de contrats qui, bien que remplissant les conditions de définition d’un marché public, sont pour autant exclus de leurs champs d’application.
Certains contrats sont exclus en raison du cocontractant. Sont visés les marchés portant sur des prestations intégrées ou « in house » supposant que l’acheteur public exerce sur le cocontractant un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services et que ledit cocontractant réalise l’essentiel de ses activités pour lui. Il s’agit également des marchés de services conclus avec un pouvoir adjudicateur titulaire d’un droit exclusif.
D’autres contrats sont exclus en raison de leur objet : les contrats d’acquisition ou de location d’immeubles ; certains marchés de services financiers ; les contrats relatifs à des programmes de recherche et de développement ; les achats d’œuvres d’art…
Quelle est la juridiction compétente pour un recours contentieux exercé dans le cadre de la passation d’un marché public ?
Une entreprise dont la candidature ou l’offre n’a pas été retenue lors d’une consultation lancée par un organisme adjudicateur soumis au CMP ou à l’ordonnance du 6 juin 2005 peut, en général selon la nature du contrat, saisir le juge administratif ou le juge judiciaire pour contester son éviction. Notons toutefois que certains recours ne dépendent pas de ce critère. Ainsi le recours contre un acte administratif détachable d’un marché « de droit privé » ou le recours en responsabilité contre l’organisme adjudicateur dépend de la nature du service qui passe le marché.
Les recours contentieux en matière de passation de marchés publics restent cependant généralement introduits devant le juge administratif lorsque les contrats sont administratifs. Notons que tous les contrats soumis au CMP ont le caractère de contrats administratifs par détermination de la loi et relèvent, par conséquent, de la compétence du juge administratif.
En revanche, certains marchés publics peuvent être de droit privé et donc relever de la compétence du juge judiciaire. Il s’agit, d’une part, des contrats conclus par les pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices personnes de droit privé (associations du secteur public, organismes de Sécurité sociale, sociétés d’économie mixte, sociétés publiques locales…), et, d’autre part, des contrats conclus par certains pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices personnes morales de droit public non soumises au CMP, à condition que ces contrats ne portent pas sur des travaux publics, ne comportent aucune occupation du domaine public, ne contiennent aucune clause exorbitante du droit commun et ne fassent pas participer le cocontractant à l’exécution même du service public.
Quels sont les recours susceptibles d’être exercés par des tiers lors de la passation d’un marché public ?
Tout d’abord, le préfet peut, en application de l’ (pour les communes), déférer au tribunal administratif, dans les deux mois suivant leur transmission, les marchés et accords-cadres qui ont la nature de contrats de droit administratif. Ce déféré, qui constitue désormais un recours de plein contentieux, peut être, le cas échéant, assorti d’une demande de suspension.
Ensuite, un recours pour excès de pouvoir contre les actes administratifs détachables d’un contrat (administratif ou de droit privé) peut également être introduit par tout tiers intéressé : contribuables locaux, usagers du service public, représentants du personnel, syndicats professionnels, par exemple.
Enfin, les candidats évincés ou toute personne qui a été empêchée de déposer une offre ont la possibilité d’exercer des recours contentieux, soit au fond, soit en référé. Dans la mesure où les recours au fond devant le juge administratif ou judiciaire ne permettent que de plus en plus rarement la remise en cause du contrat et impliquent une procédure contentieuse particulièrement longue, les recours devant le juge des référés constituent la voie de contestation des procédures de passation des contrats de la commande publique la plus efficace. Ces référés précontractuels et contractuels suivent un régime quasiment identique que l’on soit en présence de marchés publics « contrats administratifs » ou « contrats de droit privé ».