Petit réseau mais grande innovation. S’affranchir du courant alternatif pour recharger son téléphone ou son ordinateur en France c’est possible, depuis juin, mais… seulement dans quelques bureaux à Lille au sein du Wawe, le bâtiment ultra-connecté de Vinci Energies.
Pour les salariés qui travaillent dans le bâtiment Wave, il est donc possible de recharger son téléphone avec du courant continu. C’est à dire avec des électrons circulant tranquillement des panneaux photovoltaïques vers les appareils sans qu’ils ne changent de sens 50 fois par seconde, comme c’est le cas avec le courant alternatif utilisé en France (50 hertz).
En effet, depuis la fin du XIXe siècle, le courant alternatif, promu par Nikola Tesla et Georges Westinghouse a largement éclipsé, partout dans le monde, le courant continu défendu à l’époque, bec et ongle, par Thomas Edison.
Alors, après plus d’un siècle de mise en veille, le courant continu peut-il désormais espérer un avenir ? Oui, estiment les experts. Ceci grâce à la saturation actuelle des réseaux électriques couplée au déploiement simultané des énergies renouvelables et des appareils consommant nativement du courant continu comme les smartphones, ordinateurs, appareils électroménager de classe A, ou vélos et véhicules électriques. Ces derniers peuvent ainsi être directement alimentés en courant continu par l’électricité produite par les sources d’énergies renouvelables.
20 % d’économie
A Lille, le fait de ne pas avoir à transformer le courant continu issu des panneaux photovoltaïques en courant alternatif puis de nouveau en courant continu pour alimenter les appareils électroniques réduit ainsi significativement les pertes lors du transfert des électrons.
Avec la suppression de ces deux passages dans des convertisseurs, « nous faisons 20 % d’économie sur l’électricité produite », détaille Romain Scolan, chef de projet Cegelec Nord Grands Projets (filiale de Vinci Energies). Le bâtiment possède en toiture 18 panneaux photovoltaïques totalisant d’une puissance de 5 kW crête. Il dispose aussi d’une batterie de 12 kWh permettant de stocker cette énergie renouvelable.

Romain Scolan, chef de projet Cegelec Nord Grands Projets (filiale de Vinci Energies) résume ce qui se passe sur un réseau électrique classique qui impose de transformer le courant continu produit par les panneaux solaires en courant alternatif puis de nouveau en courant continu pour être utilisable par les ordinateurs. © E.L.
Pour se brancher en courant continu sur les installations mises à disposition au sein de Wave, rien de plus simple : il suffit d’un câble USB. Pour l’utilisateur, en effet, rien ne change ou presque. Qui plus est, avec cette innovation, il est possible de dire adieu, avec grande joie, aux transformateurs d’ordinateurs portables, si facile à oublier et tellement peu standardisés.
Problèmes techniques et de sécurité résolus
C’est derrière les murs que se cache l’innovation. Pour déployer ce circuit ultra-innovant, les équipes de Vinci Energies, et notamment de Cegelec, ont dû se creuser les méninges. « Il existe aujourd’hui encore peu de fournisseurs de matériel dédiés au courant continu. Mais, au final, nous avons pu résoudre tous les problèmes techniques et de sécurité. Nous avons opté pour un réseau de 350 volts, comme ce qui est déployé actuellement aux Pays-Bas », se félicite Romain Scolan.
Moitié moins de cuivre
Pour équiper les 300 m2 SP de bureaux en courant continu, l’entreprise a installé, en parallèle de celui déjà existant, un nouveau réseau fabriqué à partir de câbles issus du recyclage. « Les réseaux en courant continu consomment 50 % moins de câble en cuivre que ceux pour le courant alternatif », se félicite Emmanuel Dunat, directeur général de Vinci Energies Nord et Grand Est. Les équipes ont aussi fait monter un tableau électrique « maison » spécialement conçu pour le courant continu. Le coût total des travaux s’est monté à environ 50 000 euros.

A droite, le tableau électrique « maison » permettant de fournir une partie des bureaux de Wave en courant continu via un réseau monté en parallèle de l’existant en courant alternatif. A gauche le tableau est celui dédié à l’électricité produite par les 18 panneaux photovoltaïques du bâtiment. © E.L.
Ce frémissement qui a lieu à Lille va-t-il se propager ? « Le courant continu est prêt à être déployé à grande échelle. Il est particulièrement adapté pour des bornes de recharges de véhicules électriques alimentées par des panneaux photovoltaïques ou pour des réseaux locaux de bâtiments équipés de ces panneaux, comme c’est le cas pour Wave », souligne le directeur général de Vinci Energies Nord et Grand Est.
Reste un grand frein au déploiement à plus grande échelle du courant continu : son prix. En effet, il existe encore peu d’équipements et de solutions standards permettant de fournir directement du courant continu, ce qui augmente aujourd’hui les coûts d’installation.
Standard
La mise au point d’un standard commun à tous les pays, sur lequel travail la fondation CurrentOS (voir encadré ci-après), est aussi un préalable important à l’essor de cette technologie. Elle s’adapterait par exemple parfaitement en France aux parkings équipés d’ombrières dotées de panneaux solaires, comme l’exige désormais la réglementation, pour l’alimentation des bornes de recharge électrique. Ces bornes pourraient en effet directement fournir du courant continu aux véhicules électriques.
« On peut déjà imaginer aujourd’hui un retour sur investissement entre 5 à 10 ans grâce aux économies d’énergie », projette Emmanuel Dunat. Et il pourrait être plus rapide, dans un futur proche, si le courant continu prend sa revanche et se développe, faisant ainsi baisser le prix des installations.
Vinci énergie rejoint la fondation CurrentOS
Forte de son installation pilote dans son bâtiment, Vinci Energies a rejoint, fin novembre, la fondation CurrentOS. Créée en 2021, cette dernière réunit une quarantaine d’acteurs de la filière électrique et des industriels présents dans 22 pays et désireux contribuer à développer la solution « courant continu » dans les réseaux locaux. Il s’agit notamment de faire émerger un standard européen pour cette solution de transport de courant qui permet de réduire les pertes liées à la transformation en courant alternatif du courant continu produit par les énergies renouvelables. Ce courant alternatif doit en effet être ensuite transformé en courant continu pour alimenter de nombreux appareils comme les smartphones, ordinateurs ou véhicules électriques. La fondation est à l’initiative de plusieurs autres projets pilotes en Europe, notamment aux Pays-Bas ou la saturation du réseau électrique favorise le développement des réseaux locaux en courant continu.