Spie a enregistré en 2023 un chiffre d'affaires en croissance de 7,6 % sur un an. Quels ont été les principaux moteurs de cette croissance ?
Ces résultats témoignent d'un vrai appétit de nos clients sur le sujet de la décarbonation, qui s'exprime de différentes manières. D'abord, par la volonté des acteurs du tertiaire comme de l'industrie d'accroître leur efficacité énergétique au travers de projets d'électrification en remplacement des énergies fossiles. Une tendance notamment alimentée par les problèmes de disponibilité et de prix du gaz russe auxquels sont particulièrement sensibles l'Allemagne et les Pays-Bas. Ces deux pays ainsi que la Belgique sont par ailleurs confrontés à la nécessité d'une transformation de leur réseau électrique, là encore liée à la situation géopolitique, mais aussi aux enjeux globaux de transition énergétique. Par exemple, des dorsales nord-sud sont construites en Allemagne pour acheminer l'électricité éolienne produite en mer Baltique ou en mer du Nord vers les centres de consommation du centre et du sud du pays. A ces dynamiques s'ajoute enfin le développement de la mobilité décarbonée, un domaine dans lequel nous connaissons une croissance à deux chiffres grâce aux projets d'installation de bornes de recharge dans les bâtiments tertiaires, sur les sites industriels et sur les emplacements publics.
La progression de la demande en matière de performance énergétique vous apparaît-elle avant tout conjoncturelle ?
Motivées par leurs investisseurs, leurs employés, et d'autres parties prenantes, les entreprises s'engagent actuellement sur des trajectoires de réduction de leur empreinte carbone. C'est donc, à mon sens, une tendance profonde, durable et structurante. Remplacer sa flotte de véhicules thermiques par des voitures électriques et améliorer l'efficacité énergétique de ses bâtiments ne relèvent pas d'une vision court-termiste pour une société qui a décidé de travailler sur ses scopes 1 et 2. Dans l'industrie, la mutation va même parfois plus loin puisqu'en plus de respecter les quotas carbone, il leur faut désormais intégrer des process de production moins dépendants des énergies fossiles.
Comment l'usage croissant d'énergies décarbonées va-t-il transformer les besoins en infrastructures de production et de transport électrique au niveau européen ?
La France est d'ores et déjà extrêmement bien placée de ce point de vue avec une intensité carbone au kilowattheure très faible. Nous disposons d'un parc nucléaire conséquent et les nouveaux réacteurs viendront s'implanter sur les sites existants. Le marché français des infrastructures liées à l'énergie demeure néanmoins prometteur, comme en atteste l'annonce récente par RTE d'un vaste plan de rénovation et de renforcement du réseau très haute tension [qui représente un investissement de 100 Mds € d'ici 2040, NDLR]. Pour autant, nous ne sommes pas dans la même configuration que l'Allemagne qui, après avoir renoncé au nucléaire et au gaz, doit entreprendre une recomposition quasi complète de son réseau.
Vous évoquiez le nucléaire. Comment Spie aborde-t-il ce marché en pleine renaissance avec les programmes neufs français ?
Nous sommes déjà le premier acteur de la maintenance des installations électriques du parc français. Nous détenons des contrats depuis très longtemps, parfois depuis la construction des centrales, et nous venons de les renouveler. En ce qui concerne les EPR, nous avons travaillé sur toute la partie câblage de la centrale de Flamanville [hors réacteur, NDLR]. Je ne doute pas qu'EDF compte sur nous pour réaliser des travaux similaires sur la nouvelle génération de réacteurs. Nous sommes prêts à répondre aux appels d'offres dès leur publication.
Spie Oil & Gas Services est devenu Spie Global Services Energy après l'acquisition du spécialiste britannique de l'éolien off-shore Correll. Est-ce la traduction d'une transformation des attentes de vos clients ?
Dans les dix années à venir, quelque 300 gigawatts d'éolien off-shore vont être installés en Europe. C'est cinq fois le parc nucléaire français. Or, nous avons observé que nos clients pétroliers étaient de plus en plus ambitieux dans leurs investissements concernant l'éolien. Notre entité Oil & Gas a, par exemple, travaillé sur les pièces de transition et les sous-stations pour les parcs de Fécamp et de Courseulles-sur-Mer, où nous étions sous-traitant de Saipem, opérateur italien important du parapétrolier. Cela traduit une mutation du marché qui a guidé notre rachat de Correll et le changement de nom de Spie Oil & Gas Services pour accompagner la stratégie que nous déployons maintenant.
L'acquisition de l'allemand Robur, présent sur le marché de la maintenance de l'éolien off-shore, s'inscrit dans cette même logique.
« Nous avons plusieurs milliards d'euros à rattraper en Allemagne avant d'y tenir une place comparable à celle que nous occupons en France. »
Avec la récente acquisition d'ICG (230 M€ de CA), quelles sont les ambitions de Spie dans les télécommunications et la connexion ?
Cette entreprise est positionnée sur l'installation et la maintenance des infrastructures de téléphonie mobile [4G, 5G et en lice pour la 6G, NDLR] des grands opérateurs outre-Rhin. L'autre partie de son activité porte sur le déploiement de la fibre optique. C'est une compétence dont nous disposions déjà en France et aux Pays-Bas, mais qu'il était important de posséder en Allemagne, très en retard sur ce sujet.
Tout semble converger vers le marché allemand…
Au fil des croissances externes, nous avons su construire une très bonne position en Allemagne. Dès cette année, ou au plus tard l'année prochaine, nous y compterons plus de collaborateurs qu'en France. Fin 2023, donc avant l'acquisition d'ICG, nous avions à peu près 20 000 salariés francophones dans l'entreprise et 19 000 germanophones.
Je pense que l'année prochaine, ce sera allemand première langue chez Spie ! L'économie allemande, c'est 150 % de l'économie française. L'industrie allemande, c'est trois fois l'industrie française. Nous avons donc plusieurs milliards d'euros à rattraper en Allemagne avant d'y tenir une place comparable à celle que nous occupons en France.
Après les neuf acquisitions de 2023, faut-il s'attendre à une croissance externe aussi dynamique cette année ?
C'est une priorité stratégique de l'entreprise. Nous avons sensiblement réduit l'endettement du groupe l'année dernière, ce qui nous offre des marges de manœuvre pour l'avenir. Mais cela ne veut pas dire que nous disposons d'une enveloppe absolument établie pour mener des opérations de croissance externe.
Comment appréhendez-vous la dynamique de marché actuelle qui voit les grands groupes de BTP se renforcer sur les marchés des services multitechniques ?
Pour nous, le rachat d'Equans par Bouygues, un groupe extrêmement bien géré, constitue une bonne nouvelle.
Cela va renforcer l'exigence en termes de marge chez Equans et bénéficier au marché dans son ensemble. En tant que premier acteur indépendant en Europe et troisième toutes catégories confondues [derrière Vinci Energies et Equans, NDLR], nous participons depuis de longues années à la consolidation et à la structuration de ce marché. Le cash que nous générons est systématiquement réinvesti dans l'entreprise, pour continuer à croître. Pour preuve, en quinze ans nous avons réalisé près de 140 acquisitions.
Est-ce que les concessions d'infrastructures EnR, telles que les opère Cobra IS, peuvent être un avenir pour Spie ?
Ce n'est pas notre vision. Nous ne souhaitons pas nous engager dans la production d'électricité qui est une activité très capitalistique. Le retour sur investissement de nos acquisitions reste la meilleure voie de création de valeur pour nos actionnaires.