Electricité, tempête sur les réseaux

Didier Lenoir, Vice-Président du CLER (Comité de liaison énergies renouvelables), ingénieur civil des Ponts et Chaussées et urbaniste, revient sur les coupures de courant qui ont frappé la France et nous livre son analyse.

Hiver 2008-2009 : comme il est normal pour un hiver un peu rude et il y en aura d'autres, malgré l'effet de serre, il neige en abondance sur les Alpes, les Pyrénées, le Massif Central. Par centaines de milliers, des familles, des entreprises, des services publics sont privés d'électricité pendant des jours ou des semaines.

Tempête du 25 janvier : forêts ravagées, immeubles endommagés, deux millions d'abonnés privés d'électricité, dont plusieurs dizaines de milliers pendant plus d'une semaine. Ce type de tempête se multipliera avec l'accroissement de l'effet de serre.

Tempête des 9-10 février : des coups de vent à 120 km/h sur la Normandie, les Pays de Loire, le Centre génèrent de multiples coupures des réseaux de distribution ; 700 000 foyers sont privés d'électricité pendant quelques heures et l'on parle de plusieurs jours pour des dizaines de milliers. Ce type de situation sera de plus en plus fréquent avec les changements climatiques actuellement prévisibles

Chaque fois, sur le terrain, des milliers de techniciens s'activent jour et nuit pour rétablir le service. Ainsi, EDF demeure auprès des français le modèle du service public. Il faut pourtant s'interroger sur la validité d'un modèle de plus en plus fréquemment mis en échec par le climat .

Quelles sont les raisons de ces dysfonctionnements ?

La production française d'électricité est extrêmement centralisée : 80 % proviennent de vingt sites de très grande puissance (de 1760 à 5000 MW) mis en service entre 1978 et 2004. Une telle centralisation a exigé de lourds investissements pour établir un réseau de transport à Très Haute Tension (400 000 Volts). À titre d'exemple, la centrale de Flamanville, en cours de réalisation pour un coût de 4 milliards d'euros, doit être desservie par une ligne, dite "du Cotentin" et quelques renforcements de réseaux pour un total de 400 millions d'euros.

Ce faisant, les réseaux de distribution ont souffert de sous-investissement chronique, d'où la situation actuelle où chaque événement climatique exceptionnel engendre des coupures des réseaux en moyenne tension, appelée « Haute Tension de Distribution » . Depuis la fin des années 80, la Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et des Régies, FNCCR, dénonce un rythme d'investissement local inférieur de 1 milliard d'euros par an à ce qui serait nécessaire. En 2005, Patrick Devedjian, alors Ministre de l'Industrie, ne reconnaissait-il pas que la qualité du courant était en France inférieure à celle de l'Allemagne pour la simple raison que les réseaux de distribution y sont plus fragiles, enfouis à 35 % contre 75 % outre-Rhin ? Or, les réseaux de distribution sont plus sensibles aux excès du climat que les réseaux de transport car ils sont moins robustes et insuffisamment maillés.

Ces choix défavorisant les réseaux locaux au profit du système centralisé ont été effectués dans la plus parfaite ignorance de la volonté et des protestations des collectivités, pourtant propriétaires des réseaux de distribution. Il faut dire que la loi de 1946 les a obligées à confier leurs installations à EDF et que l'Etat a toujours veillé à ce que les cahiers des charges de concession laissent la plus grande liberté à cette entreprise qui n'est jamais confrontée à la concurrence pour les prestations de service aux réseaux qui lui sont confiées.

Seuls 5 % des réseaux locaux sont gérés par les collectivités propriétaires car elles en avaient conservé le contrôle en régie lors de l'élaboration de la loi de 1946.

Jusqu'en 2001, EDF gérait directement les quatre activités de production, de transport, de distribution et de fourniture d'électricité. Pour favoriser le développement du marché de l'électricité en permettant l'accès de nouvelles entreprises sur chaque marché national, l'Union Européenne a imposé la séparation de ces fonctions.

C'est ainsi qu'actuellement EDF gère ses unités de production et la commercialisation de l'électricité, RTE exploite le Réseau du Transport d'Electricité et ERDF, Electricité Réseau Distribution France, est le concessionnaire des Collectivités. Mais, RTE et ERDF restent au sein d'EDF qui continue donc à contrôler toute la chaîne. Ses marges de manœuvre sont toutefois moins importantes qu'auparavant car l'autonomie de RTE est préservée par la vigilance de la Commission Européenne qui, en revanche, s'intéresse peu à ERDF.

Cette situation permet à EDF d'entretenir un double jeu par lequel il abuse de sa position. La Commission de Régulation de l'Energie, autorité administrative chargée de garantir le bon fonctionnement des marchés de l'énergie, vient de publier un communiqué dénonçant cette "confusion préjudiciable entre le fournisseur EDF relevant du secteur concurrentiel d'une part, et les gestionnaires de réseau RTE et ERDF relevant du secteur régulé d'autre part.". La CRE précise que "le principe d'indépendance des gestionnaires de réseaux [...] constitue une garantie essentielle [...] du bon exercice par les gestionnaires de réseaux de leurs missions de service public".

De la sorte, la distribution reste le parent pauvre sous l'étroite tutelle d'EDF, comme le souligne le SIPPEREC, le plus important des syndicats d'électricité, regroupant 86 villes de la première couronne parisienne :

"Force est de constater que le plan d'investissement d'ERDF n'est ni connu, ni validé, pas même discuté par l'autorité concédante, propriétaire du réseau de distribution et représentant les communes et les concitoyens. / ... L'inclination d'ERDF à s'approprier les provisions en vue de conforter ses résultats plutôt que de les affecter aux renouvellements pose question."

Oubliant les principes fondateurs posés en 1946 par la loi de nationalisation, le Groupe EDF joue maintenant dans la concurrence internationale. Ses clients français, en partie captifs, lui assurent les moyens financiers d'échecs américains et de conquêtes européennes. Accessoirement, l'Etat, actionnaire à 87,3 %, est triplement intéressé aux , grâce à l'impôt sur les sociétés, aux dividendes et aux exportations d'électricité.

Où est le service public dans tout cela ?

Face à cette situation, les fragiles espoirs de changement nés du Grenelle de l'environnement sont soumis à rude épreuve par de multiples décisions prises sans aucune concertation avec les collectivités.

Ainsi, l'Etat établit la programmation des investissements électriques en refusant tout contact avec les Régions, malgré l'obligation qui en est inscrite dans la loi Voynet, toujours en vigueur. Cela revient à confier à EDF les arbitrages de nature politique concernant les investissements dans les réseaux de distribution : la technostructure d'EDF est supposée seule compétente pour juger des besoins et des priorités que seules les collectivités territoriales peuvent définir avec leurs syndicats d'énergie en fonction de leurs politiques de développement.

Dans la même logique, l'occasion de modifier l'équilibre général du système électrique national en renforçant les réseaux locaux grâce au plan de relance n'est même pas envisagée par l'Etat. La faible somme de 300 millions d'euros prévue pour « améliorer la qualité et la sûreté des réseaux de distribution » y est affectée à EDF, toujours chargée d'effectuer des choix politiques étrangers à sa vocation et à sa culture, alors que les élus réclament 10 milliards d'euros par la voix de la FNCCR .

Au même instant, ne serait-il pas de bonne gouvernance de tirer les leçons des sinistres climatiques, ce qui ne peut être efficace que région par région avec toutes les collectivités intéressées ? Cette démarche partenariale entrerait parfaitement dans l'optique des futurs schémas régionaux du climat, de l'air et de l'énergie définis par la loi Grenelle 1, adoptée en première lecture par les deux Assemblées.

Au contraire, complètement étrangère à la logique du Grenelle, l'annonce de prochains engagements pour la construction de deux nouveaux EPR de très grande puissance signifie la poursuite de la fuite en avant privilégiant la production centralisée et le réseau de transport Très Haute Tension au détriment de la production locale et des réseaux de distribution.

L'espoir demeure que la crise mondiale suscite un profond mouvement de développement local utilisant les richesses potentielles des territoires actuellement inexploitées : matériaux naturels, bois et biomasse, énergies renouvelables ... Les exemples se multiplient dans le monde entier de collectivités dynamiques dont les territoires revivent de la sorte. En France, le poids de l'Etat et de ses entreprises freine de telles initiatives.

Il est temps de rétablir le plein exercice de leurs compétences par les collectivités territoriales pour la gestion de leurs énergies. La loi Grenelle 2 pourrait émettre un signal très fort dans ce sens en rétablissant la possibilité de créer de nouvelles régies d'énergie et l'obligation de mise en concurrence des Délégations de Service Public pour les réseaux de distribution, selon les règles européennes.

Mais au-delà de simples mesures de modernisation et d'organisation, la conjoncture actuelle n'est-elle pas favorable au lancement de vastes chantiers innovants ?

Le débat public préalable à l'autorisation de construire la centrale de Flamanville fut l'occasion d'exposer le projet concurrent de développer en Bretagne la maîtrise de l'énergie et les énergies renouvelables avec les mêmes montants d'investissements (à l'époque 3 milliards d'euros, réévalués aujourd'hui à 4 milliards d'euros). Avec les techniques et les rendements actuels, d'après une étude réalisée par les 7 vents du Cotentin, il serait possible de produire et d'économiser près du double d'électricité tout en créant vingt à trente fois plus d'emplois pérennes.

A l'époque cette étude avait été négligée, l'opinion n'était pas mûre pour des solutions aussi nouvelles. Depuis lors, le Grenelle de l'environnement a clairement choisi la voie correspondante en montrant son caractère réaliste malgré l'ampleur des changements nécessaires. Pourquoi ne pas proposer à la Bretagne de réaliser en 6 ans un tel programme fortement mobilisateur de toutes les forces vives régionales ?

En comparant point par point et année par année les résultats et les retombées des deux démarches, notre pays disposerait enfin d'éléments objectifs pour confirmer les orientations à long terme de sa politique de développement durable.

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