La bibliothèque de Noisy-le-Sec en Seine-Saint-Denis - un ancien et élégant pavillon de banlieue en meulière et à toiture en ardoise - est l'unique survivance d'un quartier qui a été totalement rasé au cours de la dernière guerre. Désireuse de se doter d'un outil plus adapté à la culture et ses différentes formes d'expression, la municipalité lance en 1993 un appel d'offres pour un ensemble comprenant une médiathèque, un auditorium et une salle de spectacle de 5 000 places. « Nous avons voulu rompre avec une architecture de béton orthogonale et médiocre, omniprésente dans ce quartier défiguré par des ensembles de tours construits dans les années 70, explique l'architecte Yann Brunel. Le projet, qui englobe l'ancien bâtiment, se distingue par des façades en brique, une structure en bois de géométrie complexe et une couverture en zinc prépatiné quartz. » Entreprise en septembre 1996, la première tranche de l'ouvrage s'étend sur une longueur de 60 m. La toiture se prolonge en un auvent qui s'enroule autour de l'ancien bâtiment, réservé aux services administratifs. La réalisation de la salle de spectacle est différée à 1998.
L'édifice comporte un sous-sol, un rez-de-chaussée et un niveau haut à 4,50 m. La structure porteuse de type poteaux-poutres en bois lamellé-collé est implantée selon une trame carrée de 6,50 m de côté. La longueur des poteaux varie car la toiture est soumise à une ondulation dont le point haut culmine à 14,50 m, le point bas n'étant qu'à 5 m du sol. Une autre difficulté vient du découpage de la couverture en trois nappes parallèles, superposées et distantes de 2 m, pour dégager des tympans dispensant un éclairage naturel sur l'ensemble du plateau constitué par le niveau supérieur.Voulant éviter des structures trop massives, l'architecte a défini un modèle de poteau cruciforme, constitué de quatre éléments en lamellé-collé de section carrée de 16 cm de côté, assemblés par des entretoises à base de tubes d'acier carré d'acier de 20 cm de côté, où viendrait se loger une canalisation en PVC transparent laissant passer la lumière et permettant de recueillir les eaux pluviales collectées en toiture. « Contrairement à un élément monolithique, rien n'assure que les efforts repris par ce poteau "composite" sont uniformément répartis dans chaque élément, explique Jean-Bernard Secoué, responsable du calcul de structures au sein de la société de charpente CMBP. Le bureau de contrôle nous a demandé de prendre en compte la somme des raideurs des quatre éléments plutôt que de partir sur la base d'un ensemble monobloc. » Pour limiter le flambement, les entretoises sont espacées de seulement 1,56 m à 2 m suivant les charges à reprendre.
Ces poteaux sont associés à des poutres en lamellé-collé de 86 cm de hauteur et 21 cm d'épaisseur. Cette structure supporte le premier niveau, constitué non pas d'un plancher sec mais d'une dalle béton de 20 cm, coulée en place d'une façon traditionnelle après avoir étanché les rives du coffrage avec un joint mousse pour éviter que la structure ne soit souillée par des fuites de laitance. Pour plus de précaution, tous les éléments en lamellé-collé ont été livrés recouverts par un film polyane afin de protéger la finition lasurée.La bonne liaison du béton et de la structure porteuse est assurée par la présence de connecteurs verticaux fixés sur les poutres.
50 t de reprise de charge par poteau
« Chaque poteau doit pouvoir reprendre une charge de 50 t, soit près de 1 200 kg au mètre carré, explique Guy Tasseau, ingénieur au bureau d'études charpente ESP. En revanche, il ne doit être soumis à aucun effort transversal, une contrainte perpendiculaire au fil du bois engendrée par la flexion des grosses poutres risquant d'entraîner un arrachement. » La solution : ovaliser les trous de fixation des ferrures liaisonnant les poutres aux poteaux, afin que chacun des 30 boulons ne transmette que des efforts verticaux. Une démarche opposée a été adoptée pour assurer la stabilité de l'ouvrage au niveau haut, poteaux et poutres devant être solidement encastrés pour former dans le sens transversal une succession de portiques nécessaires au contreventement. Dans le sens de la longueur, les files de la structure viennent en butée contre des éléments en béton ou en brique. En l'absence de points d'appui, l'entreprise de charpente a recours à des croix de Saint-André.Le tracé de la courbure de la toiture est constitué d'arcs dont le rayon est très variable. Les poutres à simple ou double courbure supportant la couverture atteignent des longueurs de 10 m. « Une plus grande résistance a été obtenue en diminuant l'épaisseur des lames de bois (33 mm contre 45 mm) pour augmenter le nombre de joints de collage », explique Yves Moulin, de l'atelier de fabrication de CMBP. « Même si la forme de la charpente est très complexe, son principe statique reste simple, reprend Guy Tasseau. En revanche, l'ouvrage est constitué d'une multitude de pièces différentes qui nous ont obligés à définir les éléments quasiment au cas par cas. » Ainsi, les 40 modèles de poteaux, les 150 références de poutres droites et courbes et les 103 modèles de ferrures ont-ils nécessité la réalisation d'une cinquantaine de plans d'exécution. Une affaire complexe mais hélas non rentable si l'on en juge au dépôt de bilan du bureau d'études ESP.
55 gabarits pour le lamellé-collé
Côté atelier, Eric Verrière, P-DG de l'entreprise de charpente CMBP, s'est heurté aux mêmes types de contraintes, avec des délais d'étude jugés trop justes : « Pour 170 m3 de lamellé-collé mis en oeuvre sur le chantier, nous avons construit cinquante-cinq gabarits différents. Au total, l'ouvrage a nécessité trois mille huit cents heures de fabrication et trois mille heures de chantier. Pour ce type d'ouvrage, qui aurait demandé cinq mois d'études, en concertation avec les autres corps d'état, nous n'avons pu disposer que de trois mois. La structure a été montée de la fin septembre à la fin décembre 1996 par une équipe de deux charpentiers très compétents. Le bâtiment sera livré à la fin du mois de juin. Il ne fait aucun doute que le résultat sera à la hauteur des efforts déployés. »
FICHE TECHNIQUE
Maîtrise d'ouvrage : municipalité de Noisy-le-Sec.
Architecte : Yann Brunel, assisté par Christine Pelletier
et David Diémoz.
Bureau d'études tous corps d'état : Artec 20.
Bureau d'études charpente : ESP.
Entreprise de charpente : CMBP.
Entreprise générale : Bouygues Ouvrages fonctionnels.
Bureau de contrôle : Socotec.
Montant des travaux : 23 millions de francs HT dont 2 millions pour le lot charpente.
PHOTOS : 1. La toiture courbe, répartie sur plusieurs niveaux, a introduit une grande variété de pièces structurelles. 2. Le décalage des nappes de couverture permet d'éclairer naturellement l'intérieur du bâtiment.
3. Ferrure basse des poteaux.
4. Les poteaux cruciformes et les poutres supportant le plancher béton sont assemblés par des pièces mécanosoudées évitant la transmission d'efforts transversaux.
5. Ferrure haute soutenant la couverture.
SCHEMA : Liaison poteau-toiture