Parfois, il suffit de traverser la rue pour faire du réemploi. Pour réaliser la crèche qui doit être livrée prochainement rue de la Justice, dans le XXe arrondissement de Paris, Jean Bocabeille, architecte associé de l'agence BFV (Bocabeille Fassio Viaud), est passé de l'autre côté du boulevard Mortier, tout proche, pour trouver son matériau de façade. Là, des habitations bon marché (HBM), ces logements sociaux de la ceinture de brique rouge des années 1920, alors en rénovation, recelaient un formidable filon : des portes palières.
Dans sa réponse au concours pour la crèche, fin 2015, Jean Bocabeille avait en effet proposé de vêtir le futur équipement avec du bois sauvé de la destruction pour répondre à une volonté de la Ville. Depuis quelques années, la mairie de Paris pousse en effet à la construction vertueuse et « a mis en place une politique volontariste pour que le réemploi soit permis dans la plupart de ses chantiers, explique-t-on à l'hôtel de ville. Cela doit permettre la réutilisation des matériaux et ainsi éviter de les envoyer dans les circuits des déchets ».

Pas de fonction mécanique. Affiché en façade, le choix de l'architecte n'a pas qu'une vocation militante ou décorative. « Cette trame sert de brise-soleil et de brise-vue devant les fenêtres et les larges balcons de la crèche. En revanche, comme les matériaux de réemploi n'ont pas fait l'objet d'avis technique et ne peuvent pas avoir de fonction mécanique, le dispositif ne pouvait pas être structurel ou faire office de garde-corps. Sa tenue au feu était la seule obligation », précise Jean Bocabeille. A l'époque de la compétition, le recours à des palettes de récupération était envisagé « mais j'étais persuadé que ce n'était pas la meilleure solution et nous avons cherché la ressource tous azimuts », poursuit-il.
Les montants ont été démontés, poncés, retaillés pour obtenir une matière saine

L'équipe de maîtrise d'œuvre a finalement déniché son gisement providentiel de portes en 2017, dix-huit mois avant le lancement de son chantier. « Nous avons bénéficié de toute une chaîne de bonnes volontés, remarque Jean Bocabeille. De la RIVP, bailleur des logements sociaux, d'Eiffage, qui menait la restructuration et a fait en sorte de démonter soigneusement les portes plutôt que de les benner sans ménagement, des services de la Ville, qui les ont stockées… Et tout cela, gratuitement. » L'expertise de la coopérative d'architecture Bellastock a, entre autres choses, permis de garantir que ce bois pouvait resservir. Justement, les portes étaient en partie constituées de solides montants en chêne massif, « un bois très dense, qui résiste bien dans le temps. Mais il est aussi très cher. Jamais nous n'aurions pu avoir du bois neuf de cette essence », se réjouit l'architecte. Il fallait encore trouver les compétences pour assurer le travail de réemploi et ce, à un coût raisonnable. Elles ont été trouvées en Seine-et-Marne, chez la société de menuiserie SEES, choisie comme sous-traitant par l'entreprise générale, Boyer.

Un prototype de façade a dès lors pu être mis au point. En effet, l'objectif n'était pas de réaccrocher des portes avec leur esthétique de « récup ' » bohème, mais bien d'utiliser une ressource pour créer une architecture nouvelle. Les montants de 490 des 520 portes récupérées ont été démontés, poncés, retaillés pour obtenir une matière saine et sans défaut avant d'être assemblés pour générer le motif géométrique souhaité. « En fait, ce projet relève davantage de la réutilisation que du réemploi », estime Jean Bocabeille. La crèche aura tout de même une petite touche « brocante » grâce aux patères fabriquées à partir de 120 poignées de laiton des anciennes portes. A l'agence BFV, tout le monde a été mis à contribution pour les briquer.