Diminuer la part du clinker dans les liants : la démarche n'est pas nouvelle dans l'industrie du béton, qui incorpore depuis plusieurs décennies des additions minérales dans ses formulations. Mais avec l'objectif de neutralité carbone défini par la stratégie nationale bas carbone (SNBC) à horizon 2050, la pression monte pour développer et agrandir rapidement le panel des solutions de substitution à ce constituant du ciment responsable en moyenne de 85 % des émissions de CO2 liées à la fabrication du béton, rappelle un récent rapport du Centre d'études et de recherche de l'industrie du béton (Cerib) (1). En réduire l'utilisation apparaît donc comme le levier le plus immédiat pour améliorer l'empreinte carbone du matériau de construction.
Parmi les alternatives au clinker déjà autorisées, trois dominent le marché : les cendres volantes, les fillers calcaires et surtout les laitiers de hauts- fourneaux. « Comparé aux autres additions, le laitier présente des propriétés proches de celles du clinker, ce qui permet de l'utiliser dans des dosages plus élevés.
Il offre également une bonne résistance aux ions chlorure et aux agents chimiques, d'où son usage très fréquent dans la construction d'ouvrages maritimes et dans les fondations en milieu agressif », souligne Christian Cremona, directeur du pôle ingénierie matériaux et de la R & D matériaux et structures de Bouygues Construction.
« L'avenir, ce sera sans doute de composer avec des ressources plus locales. » Laure Hélard, déléguée générale du Sfic
Hauts-fourneaux remplacés. Avec trois millions de tonnes produits chaque année en France, ces coproduits industriels constituent une ressource majeure pour la filière béton. Mais l'évolution de la sidérurgie menace le gisement : à horizon 2030, la génération actuelle des hauts-fourneaux devrait être remplacée par de nouveaux procédés moins générateurs de laitiers. Cet enjeu de disponibilité se pose aussi pour les cendres volantes, avec un stock évalué à dix ans - avant la réouverture récente d'une des deux centrales à charbon présentes en France. « Il faut anticiper en recherchant dès maintenant des alternatives pour la production de bétons décarbonés, en évaluant d'autres ressources sous les angles techniques, environnementaux et sanitaires », prévient Xavier Guillot, président du comité européen de normalisation
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Dès 2023, un autre substitut sera exploitable : les fines de béton recyclé, qui feront l'objet d'une norme dédiée. Jusque-là utilisée en granulats, cette ressource pourrait s'imposer dans le liant grâce à la réactivation d'une partie de sa matrice cimentaire. « Ce n'est qu'une première étape dans l'exploration des matériaux de déconstruction », tempère Xavier Guillot. Autre ressource potentielle : les argiles calcinées. Déjà normalisée, leur utilisation comme liant reste marginale du fait de freins au développement, dont celui des coûts. Plusieurs programmes tentent de les lever, à commencer par le projet européen CO2Redres. « Nous travaillons sur des argiles produites lors de l'extraction de granulats, ce qui permet de limiter l'impact environnemental en optimisant l'exploitation des carrières existantes, explique Romain Trauchessec, chercheur à l'Institut Jean-Lamour, affilié à l'université de Lorraine, partenaire du projet. Un ciment composé de seulement 50 % de clinker, de 40 % d'argiles calcinées et de 10 % de calcaires présente les mêmes qualités de résistance qu'un ciment CEM I. » L'argile la plus prometteuse reste le kaolin. D'autres variétés présentent des propriétés légèrement moins intéressantes, mais un gisement important. « Nos recherches portent sur les argiles vertes très présentes en Ile-de-France, composées majoritairement d'illite. Cette variété est plus complexe à activer, mais son utilisation permettrait à l'industrie du béton d'éviter le risque de fluctuation de la ressource et de limiter les transports, tout en apportant une valorisation pour les déblais du Grand Paris », détaille Assia Djerbi, chercheuse à l'université Gustave-Eiffel.
Adaptation des centrales. Si les argiles calcinées semblent l'alternative la plus évidente aux laitiers et aux cendres volantes, la filière multiplie les recherches sur d'autres matériaux de carrière et des coproduits de l'industrie aujourd'hui peu valorisés. Verre broyé, fines de fonderie, cendres de boue de papeterie… Le champ des possibles s'annonce large. « L'avenir, ce sera sans doute de composer avec des ressources plus locales : on n'aura pas forcément les mêmes ciments partout en France, en fonction des additions disponibles et des besoins des chantiers », résume Laure Hélard, déléguée générale du Syndicat français de l'industrie cimentière (Sfic).
Enfin, si disposer d'une plus grande palette de solutions permettra d'offrir de nouvelles valorisations, cela ne se fera pas sans une adaptation des centrales à béton, pour stocker plus de liants. « On voit pour les additions les mêmes évolutions que pour les granulats : l'heure est à l'économie de la ressource, pour faire coller au mieux la réponse technique, la préservation des gisements, et les enjeux de décarbonation », conclut Yvon Fourment, directeur technique et prescription de Cemex France.
