Au cours d’une négociation, le contenu d’un contrat de délégation de service public (DSP) n’est pas figé, il peut évoluer. Mais dans ce cas, la personne publique devra s’assurer que tous les candidats sont avertis des modifications envisageables. A défaut, la procédure pourra être qualifiée d’irrégulière, comme ce fut le cas dans une décision de la cour administrative d’appel (CAA) de Lyon rendue le 21 décembre dernier.
Dans cette affaire, une commune a lancé une procédure pour confier la construction, la gestion et l’exploitation de l’ensemble d’un domaine skiable à un opérateur unique. Deux entreprises se sont portées candidates. La perdante a saisi le tribunal administratif d’un recours au fond, demandant l’annulation du contrat et la condamnation de la commune à l'indemniser de son manque à gagner.
Le tribunal a estimé que le contrat avait été signé de façon irrégulière, et que, sans cela, la société requérante aurait eu une chance sérieuse de le remporter. Il a ainsi condamné la commune à verser trois millions d’euros à la candidate évincée (alors que cette dernière en réclamait vingt) ; mais a refusé de résilier la DSP au motif que cela emporterait une atteinte excessive à l’intérêt général. La commune a fait appel, et la société évincée a demandé par appel incident une revalorisation de l’indemnisation.
La CAA confirme l’irrégularité de la procédure
Les juges de la cour administrative d'appel constatent tout d’abord que l’avis d’appel public à candidatures autorise « de façon très générale » les variantes techniques, et que le règlement de consultation permet aux candidats de faire des observations ou propositions alternatives « aux autres clauses du document de consultation ou cahier des charges". Ils notent par ailleurs que ce dernier impose aux candidats « […] la réalisation a minima de deux télésièges et d’une retenue collinaire », assimilée dès lors à un programme de base.
La CAA en déduit que « la faculté ouverte par la commune, en cours de négociation, de proposer une variante sur ce programme de base et, a fortiori, une alternative qui dispensait les candidats de l’obligation de réaliser l’un des équipements de ce programme, constituait une modification du contrat. » En conséquence, « cette possibilité devait, dès lors, être communiquée à tous les candidats admis à négocier afin que chacun d’eux puisse adapter son offre ou justifier son choix, technique et financier, de maintenir le programme de base initial. »
Pourtant, quand la commune a admis une variante de la part du futur titulaire, consistant à remplacer la construction de la retenue collinaire par une solution moins coûteuse, et portant donc sur le programme de base, elle n’en a pas informé l’autre candidate. La commune a invoqué « le secret des offres et le caractère confidentiel de la procédure l’obligeant à la plus grande prudence dans la transmission d’informations aux candidats ». Mais pour les juges, « elle aurait dû, tout en s’abstenant de divulguer les détails de l’offre [du futur attributaire], informer l’autre société candidate de ce qu’elle pouvait elle aussi présenter une solution permettant d’assurer un enneigement artificiel […] sans création d’une retenue collinaire. »
Les juges confirment donc que la commune a entaché sa procédure d’irrégularité et méconnu le principe d’égalité d’accès à la commande publique.
Pas de chance sérieuse pour la candidate évincée
Dans un second temps, la CAA établit un lien direct de causalité entre la faute résultant de cette irrégularité de la procédure, et les préjudices invoqués par la société requérante en raison de son éviction.
Elle va donc déterminer le niveau d’indemnisation auquel peut prétendre la société évincée. Pour ce faire, elle vérifie d’abord si la requérante était ou non dépourvue de toute chance de remporter le contrat. L’instruction fait ressortir que les deux offres reçues par la commune ne souffraient d’aucune irrégularité, et qu’en outre, l’offre de la requérante « répondait dans ses grandes lignes aux attentes de la commune ». La société évincée n’était donc pas dépourvue de toute chance d’être retenue comme délégataire, et peut ainsi prétendre a minima au remboursement des frais engagés pour la présentation de l’offre.
La cour estime, par ailleurs, « qu’au regard de la marge d’appréciation dont dispose la collectivité territoriale à l’occasion de l’attribution d’une délégation de service public et même en neutralisant les éléments sur lesquels le vice allégué est susceptible d’avoir eu un effet, [la requérante] n’avait pas de chance sérieuse de se voir attribuer la délégation de service public ». C’est donc à tort que les premiers juges ont condamné la personne publique à indemniser la candidate évincée de son manque à gagner. La CAA énonce que la requérante ne peut dès lors prétendre qu’au remboursement des frais engagés, qu'elle évalue à 150 000 euros.