Jurisprudence

Délégation de service public : le Conseil d’Etat précise les conditions de modification par avenant

Parce qu’elles doivent respecter les principes de la commande publique, les délégations de service public ne peuvent être modifiées que sous certaines conditions. Le Conseil d’Etat vient d’apporter de nouvelles précisions à cet égard.

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Les avenants "ne peuvent notamment ni modifier l'objet de la délégation ni faire évoluer de façon substantielle l'équilibre économique du contrat"

Si, avec la réforme de la commande publique de 2016, plusieurs hypothèses sont aujourd’hui prévues pour modifier un contrat de concession, c’est avant tout pour pallier l’insécurité juridique qui existait autour des avenants. La jurisprudence avait auparavant apporté son lot de précisions, et c’est de nouveau ce qu’a fait le Conseil d’Etat dans une décision du 9 mars 2018.

La délégation de service public (DSP) au cœur du litige porte sur la construction et l’exploitation des ouvrages et services d’accueil du Mont-Saint-Michel. En 2013, un avenant à cette convention ayant pour objet notamment de réviser la grille tarifaire applicable aux usagers a été approuvé par une délibération du syndicat mixte en charge du projet. Mais, saisi par la commune du Mont-Saint-Michel et par une entreprise, le tribunal administratif de Caen a annulé en 2015 cette délibération et la décision du président de signer cet avenant. Le délégataire, qui a fait appel de ce jugement, sans résultat, a formé un pourvoi devant le Conseil d’Etat.

L’avenant ne doit pas entraîner une modification substantielle du contrat

La Haute juridiction souligne tout d’abord que les DSP sont soumises aux principes de la commande publique. Par conséquent, « pour assurer le respect [de ces principes], les parties à une convention de délégation de service public ne peuvent, par simple avenant, apporter des modifications substantielles au contrat en introduisant des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient pu conduire à admettre d'autres candidats ou à retenir une autre offre que celle de l'attributaire. »

Ce considérant de principe n’est pas sans rappeler la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE). Elle indiquait en 2008 que « la modification d’un marché public en cours de validité peut être considérée comme substantielle lorsqu’elle introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient permis l’admission de soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou auraient permis de retenir une offre autre que celle initialement retenue » (CJCE, 19 juin 2008, "Pressetext Nachrichtenagentur", aff. C-454/06).

Les juges suprêmes transposent ainsi les conditions de modification d’un marché public à une DSP. Ils ajoutent que les avenants « ne peuvent notamment ni modifier l'objet de la délégation ni faire évoluer de façon substantielle l'équilibre économique du contrat, tel qu'il résulte de ses éléments essentiels, comme la durée, le volume des investissements ou les tarifs. »

Ainsi, ils estiment que même si les clauses tarifaires d’une DSP revêtent un caractère réglementaire, « les tarifs sont au nombre des éléments essentiels qui concourent à l'équilibre économique du contrat. » Or, dans cette affaire, l’avenant prévoyait une hausse de tarifs comprise entre 31 et 48% correspondant à une augmentation de plus d'un tiers des recettes et « qui allait très au-delà de la compensation des augmentations de charges liées aux modifications des obligations du délégataire convenues par ailleurs. »

Pour le Conseil d’Etat, il s’agit donc bien d’une modification substantielle. Il confirme l’analyse de la cour administrative d'appel et rejette le pourvoi du requérant.

Une décision en accord avec les nouvelles règles de la commande publique

Cette décision du Conseil d’Etat fait également écho aux dispositions issues de l’article 36 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession, qui prévoit dorénavant six hypothèses de modification d’un tel contrat. La cinquième autorise en particulier les modifications d’un contrat de concession lorsque « quel qu'en soit le montant, [elles] ne sont pas substantielles ».

Le décret précise par ailleurs ce qu’il faut entendre par une modification substantielle. Cela peut notamment être celle qui « introduit des conditions qui, si elles avaient figuré dans la procédure de passation initiale, auraient attiré davantage de participants ou permis l'admission de candidats ou soumissionnaires autres que ceux initialement admis ou le choix d'une offre autre que celle initialement retenue » (article 36-5-a du décret concessions). Ou encore, celle qui « modifie l'équilibre économique de la concession en faveur du concessionnaire d'une manière qui n'était pas prévue dans le contrat de concession initial » (article 35-5-b du décret concessions).

Pour rappel, selon l’article 78 de l’ordonnance relative aux concessions, ces six hypothèses s'appliquent également à la modification des délégations de service public qui ont été conclues ou pour lesquels une procédure de passation a été engagée ou un avis de concession a été envoyé à la publication avant le 1er avril 2016.

CE, 9 mars 2018, n°409972, publié au Recueil Lebon

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