Un sondage récent (2) a confirmé que les élus plébiscitent la ville durable. Mais comment la définir ?
Définir la ville durable est une affaire complexe, mais on peut l’aborder de multiples manières notamment en s’interrogeant sur sa taille et ses limites. Quelle est la bonne échelle pour une ville durable ? La ville européenne, celle d’un million d’habitants, est une ville durable, parce qu’on y retrouve les notions de vivre ensemble, de partage de l’espace et d’équité sociale. Mais peut-on encore parler de ville durable pour des mégalopoles comme Shanghai, Bombay ? Je pense de façon un peu utopiste que la ville devrait se fixer une limite. De même, plusieurs villes en réseaux ne forment pas une ville : habiter Rotterdam, ce n’est pas habiter Copenhague.
Cette approche implique- t-elle un modèle de développement urbain plus compact ?
Oui. Il y a dans les villes un ensemble de friches industrielles, ferroviaires, portuaires et de grands ensembles que l’on peut urbaniser et densifier. Pour ces territoires, il est nécessaire de raisonner à l’échelle de l’îlot, et non plus à la parcelle. Cette échelle permet de travailler sur la mixité programmatique, sur la qualité des vues et de l’ensoleillement, sur la mutualisation des espaces verts et des parkings, et sur la densité.
Comment faire accepter cette densité ?
La densité doit être travaillée, il faut jouer sur les contrastes du bâti, les différences de hauteur. On doit aussi, aujourd’hui, être en mesure d’offrir pour chaque appartement un prolongement extérieur - balcon, véranda... C’est la condition pour faire accepter des îlots plus denses et en finir avec les lotissements pavillonnaires. Les promoteurs devraient proposer ce prolongement, car il n’est pas cher à réaliser. Cet élément est d’autant plus important que les logements sont de plus en plus petits.
La gestion de grands îlots n’est-elle pas difficile ?
C’est vrai que la conception des grands îlots engendre une gestion un peu plus compliquée dans le temps. Mais c’est le principe des divisions en volumes (ndlr : technique juridique consistant à diviser la propriété d’un immeuble en fractions distinctes, sur le plan horizontal comme sur le plan vertical) et c’est la seule manière de fabriquer la ville de demain. La ville durable repose sur cette imbrication programmatique. Celle-ci implique fortement les promoteurs, qui doivent être prêts à se lancer dans des programmes complexes.
L’écoquartier est également un moyen pour faire la ville durable…
Le concept d’écoquartier me gêne, car il sous-entend qu’il y a des quartiers « éco » et d’autres qui ne le sont pas. L’écoquartier ne doit pas être un quartier qui s’exclut du reste de la ville. Cela ne suffit pas d’être vertueux en matière d’eau, d’énergie ou de tri des déchets. Les écoquartiers se multiplient mais relèvent souvent d’un même système - maisons orientées nord-sud, sentes, noues paysagères, mixité sociale - en rupture totale avec le contexte. Cela pose des problèmes en termes d’accès, de circulations piétonnes. On l’a déjà vu avec les zones pavillonnaires, les centres commerciaux ou les grands ensembles. Un écoquartier n’est réussi que si la rue est réussie. C’est le vecteur social que l’on doit défendre.
Comment faudrait-il concevoir un écoquartier ?
Je défends pour ma part le sur-mesure, la continuité avec l’existant. L’ultracontextuel. Cela paraît une évidence, mais peu l’appliquent. L’écoquartier doit être intimement lié à l’idée d’urbanité : travailler sur une vue, une distance juste entre deux bâtiments, un parcours à pied, me semble tout aussi important que la performance énergétique d’un bâtiment. On ne fera pas un quartier, aussi vertueux soit-il, s’il n’est pas conçu en tenant compte du climat, des gens et de leurs traditions.
Le sur-mesure est-il vraiment compatible avec l’inflation des normes actuelles dans la construction ?
On est entré dans une période d’excès de labellisation, l’HPE, le THPE, le BBC… Bientôt on va certifier les écoquartiers. Les organismes qui délivrent ces certifications imposent également une manière de faire l’architecture. Les bâtiments finissent tous par se ressembler. Et les labels restent souvent des labels sur le papier. Il faudrait pouvoir contrôler ces niveaux de performance lorsque les bâtiments sont réalisés. Toutes ces certifications sont contraignantes et onéreuses. Elles se font au détriment de la taille des logements et c’est la qualité d’usage qui en pâtit. Il faudrait enfin s’attaquer aux logements existants, qui eux consomment jusqu’à 300 kWh/m2.an et représentent l’essentiel du parc.
Pour le projet urbain des bassins à flots à Bordeaux, vous avez créé un atelier. Quelle est votre démarche ?
Nous expérimentons l’urbanisme négocié. Dans un projet urbain classique, le processus est linéaire. Il consiste d’abord à choisir l’urbaniste, qui fait les études puis élabore les cahiers des charges des lots. L’aménageur lance ensuite les appels d’offres pour désigner les architectes. Ce processus aboutit parfois à une impasse, le promoteur remet en cause le projet de départ de l’urbaniste.
Pour les bassins à flots, nous avons monté un atelier qui réunit la communauté urbaine de Bordeaux, la Ville, le Port automne et notre agence. Nous associons le promoteur très en amont, dès l’élaboration du programme. Après seulement, nous définissons le cahier des charges, mais celui-ci reste très ouvert. Nous dessinons beaucoup, c’est un bon moyen de faire comprendre notre démarche. Mais le dessin ne doit pas être figé, il doit évoluer avec les interlocuteurs.
Quel doit être le rôle du maire dans un projet urbain ?
Il n’y pas de bon projet urbain sans une ambition politique qui le soutienne. C’est impossible. Le maire n’est pas un urbaniste, mais il connaît sa ville. Il faut qu’il tienne ses objectifs très hauts et qu’il soit bien conseillé, en s’entourant d’un bon aménageur et d’un bon urbaniste. Si l’un des trois piliers est défaillant, alors la qualité du projet s’en ressentira très rapidement. Dans ce montage, le rôle de l’urbaniste consiste à produire de la qualité, du vivre ensemble, à travailler avec l’aménageur pour faire admettre un sur-mesure spécifique aux services de la ville, ensuite il faut négocier avec les promoteurs. Ce n’est pas de l’architecture à grande échelle, mais un travail presque politique, très long - au moins dix ans - très prenant, et moins rémunéré que l’architecture. Pourtant, concevoir des quartiers entiers est une responsabilité énorme. C’est souvent sur ces projets que les maires se font réélire ou pas.


