Décryptage

Décennale : la police obligatoire n'est pas une assurance tous risques

Les pièges existent et sont souvent difficiles à identifier au moment où le contrat est souscrit. Voici un aperçu des points de vigilance.

 

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La police d'assurance décennale est un produit si encadré sur le plan légal que l'entreprise n'y prête pas toujours attention. La souscription est vécue comme le pensum obligé pour répondre à un appel d'offres ou une demande de devis.

Pourtant, les variantes sont nombreuses, et le diable est dans les détails. Il est souvent difficile de cerner le champ exact de la couverture avant que l'assureur refuse sa garantie après sinistre. .. c'est-à-dire trop tard. Voici quelques pièges engendrés par la rédaction des polices d'assurance décennale.

Un cadre général apparemment favorable à l'assuré

Le contrat d'assurance est le plus souvent un contrat d'adhésion au sens de l', dans la mesure où il est rédigé par l'assureur, l'assuré ne pouvant qu'y adhérer sans faculté de discussion.

Pour compenser ce déséquilibre qui place l'assuré en position de faiblesse, ce dernier bénéficie d'une protection par la loi et par la jurisprudence. Cela s'illustre de diverses manières, par exemple : - en cas de doute, le contrat d'assurance s'interprète de la manière la plus favorable à l'assuré (, publié au Bulletin) ; - les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents () ; - les exclusions doivent être « formelles et limitées » afin que l'assuré puisse déterminer aisément la portée de la clause () ; - les tribunaux exigent en principe que ces clauses de nullité, d'exclusion et de déchéance figurent dans la note de couverture (1) []. En revanche, petite subtilité, elles n'ont pas à figurer dans l'attestation d'assurance qui est remise par l'assuré au tiers lors de la signature d'un marché. Aussi, si le cocontractant demande des assurances spécifiques, l'entreprise ne peut pas se fier à la seule attestation d'assurance pour vérifier qu'elle satisfait aux exigences requises.

Des clauses d'exclusion limitées par la loi en assurance décennale obligatoire

En principe, dès lors que l'entreprise expose sa responsabilité décennale, la souscription d'une assurance couvrant cette responsabilité est obligatoire, et le contenu des polices est strictement réglementé.

Notamment, le contrat souscrit par une personne soumise à l'obligation d'assurance se doit de prévoir un certain nombre de garanties au moins équivalentes à celles mentionnées dans les clauses types (art. et du Code des assurances). Les clauses d'exclusion de garantie sont limitativement énumérées par l'article A. 243-1 (annexe I) et visent : - le fait intentionnel ou le dol du souscripteur ou de l'assuré ; - les effets de l'usure normale, du défaut d'entretien ou de l'usage anormal ; - la cause étrangère (explosion, conflit armé, insurrection, incendie, force majeure…).

       L'assuré ne peut pas se fier à la seule attestation d'assurance pour vérifier qu'il satisfait aux exigences de son client

Clauses réputées non écrites. Toute autre clause d'exclusion d'une police d'assurance décennale obligatoire est réputée non écrite car contraire aux règles impératives.

Il en est ainsi, par exemple, de celle stipulant l'exclusion de garantie de certains travaux de gros œuvre réalisés par l'assuré entrepreneur dans l'exercice de son activité, la clause, en l'occurrence, excluant la réalisation de parois de soutènement autonomes ().

En principe, hors les cas particuliers précités, l'assuré qui effectue des travaux de nature décennale peut donc s'estimer couvert et à l'abri de toute clause d'exclusion intempestive. Mais tout n'est pas si simple, car la responsabilité décennale ne veut pas dire nécessairement une assurance décennale obligatoire.

L'exclusion de certains ouvrages de l'assurance obligatoire et son impact

L'article L. 243-1-1, I du Code des assurances énonce une liste hétéroclite d'ouvrages qui, par exception, ne sont pas soumis à obligation d'assurance même si la responsabilité de l'entreprise peut être recherchée sur le terrain décennal.

Il s'agit d'abord, au titre de l'alinéa 1er , des « ouvrages maritimes, lacustres, fluviaux, les ouvrages d'infrastructures routières, portuaires, aéroportuaires, héliportuaires, ferroviaires, les ouvrages de traitement de résidus urbains, de déchets industriels et d'effluents ainsi que les éléments d'équipements de l'un ou l'autre de ces ouvrages ».

L'alinéa 2 est plus complexe, puisqu'il pose une exception dans l'exception. En effet, « les voiries, les ouvrages piétonniers, les parcs de stationnement, les réseaux divers, les canalisations, les lignes ou câbles et leurs supports, les ouvrages de transport, de production, de stockage et de distribution, les ouvrages de stockage et de traitement de solides en vrac, de fluide et de liquides, les ouvrages de télécommunications, les ouvrages sportifs non couverts, ainsi que leurs éléments d'équipements, sont également exclus » de l'obligation d'assurance décennale, « sauf si l'ouvrage ou l'élément d'équipement est accessoire à un ouvrage soumis à ces obligations d'assurance ».

Enfin, toujours dans la cascade des exceptions, le paragraphe II de cet article L. 243-1-1 énonce que l'assurance décennale n'est pas applicable « aux ouvrages existants avant l'ouverture du chantier, à l'exception de ceux qui, totalement incorporés dans l'ouvrage neuf, en deviennent techniquement indivisibles ». Ces deux conditions d'incorporation totale et d'indivisibilité technique semblent cumulatives, et la seconde découlerait de la première ().

Aléa judiciaire. En pratique, l' est une grave source d'insécurité car, dans nombre de cas, l'assuré ne pourra pas déterminer à l'avance si ses travaux relèvent en tout ou partie de l'assurance obligatoire. Ce dernier se trouve directement soumis à aléa judiciaire en cas de contentieux, et ce pendant une durée de dix ans à compter de la réception du chantier.

Surtout, s'il décide de souscrire une assurance décennale hors régime obligatoire (et donc avec un surcoût), le régime de cette assurance sera libre. Autrement dit, la police pourra énoncer des causes d'exclusions hors celles de l' et ici encore, l'assuré ne pourra pas être certain de leur portée réelle. Sont-elles valables ou non ? C'est le juge qui le dira a posteriori.

Au-delà des questions générées par les clauses d'exclusion, il faut aussi évoquer les refus de couverture liés à des clauses de déchéance ou des limitations de garantie, c'est-à-dire autant de risques de non-couverture pour l'entreprise.

Clauses de déchéance : attention aux règles de l'art

Comme la clause d'exclusion, la clause de déchéance expose l'assuré à une absence de garantie. En matière de responsabilité décennale, outre les clauses de déchéance de droit commun, l' dispose qu'il y a déchéance de garantie en cas d'inobservation inexcusable des règles de l'art par l'assuré.

Ces règles de l'art sont définies par différents textes, tels que les documents techniques unifiés (DTU), ou encore les normes visées dans le marché de travaux concerné. En cas de sinistre, tout tiendra donc dans l'appréciation par l'expert de la faute commise.

Limitations ou exclusions indirectes ? Telle est la question

Concernant la question des limitations de garanties, tout l'enjeu tient dans la distinction entre les clauses d'exclusion (qui doivent être formelles et limitées et figurer en caractères très apparents) et lesdites limitations de garanties, qui ne sont pas soumises à ces exigences.

A par exemple été qualifiée de limitation de garantie une clause délimitant le risque ; peu importe, dès lors, qu'elle n'ait pas été rédigée en caractères très apparents (). En revanche, la stipulation qui garantit des fuites, ruptures ou débordements provenant de conduites non enterrées a été considérée comme une clause d'exclusion indirecte de ceux provenant de conduites enterrées (). Ici encore, les différences peuvent être subtiles et difficiles à discerner par l'assuré lors de la souscription de la police.

Enfin, il faut rappeler ici que l'assurance obligatoire de la responsabilité décennale du constructeur couvre exclusivement le paiement des travaux de réparation de l'ouvrage à la réalisation duquel l'assuré a contribué (). Elle ne couvre pas les dommages immatériels, sauf si l'assuré souscrit en sus une option au titre d'une garantie facultative.

Des limitations dangereuses dans l'activité déclarée

Les limitations de garantie relatives à l'activité déclarée sont invoquées par l'assureur en cas de distorsion entre l'activité déclarée par l'assuré et l'activité exercée sur le chantier.

En principe, seules les activités déclarées à l'assureur sont couvertes au titre de la garantie obligatoire. Autrement dit, si la police décennale obligatoire ne peut pas comporter des exclusions autres que celles prévues par la loi, il n'en demeure pas moins que l'assureur ne couvre que l'activité déclarée.

Jurisprudence foisonnante. Ainsi, une déclaration d'activité de couverture zinguerie ne permet pas de garantir une activité relative à des « travaux courants de charpente » (, publié au Bulletin).

De même, la construction d'une maison individuelle ne pourra être garantie si cette activité n'a pas été déclarée au préalable par le constructeur, même si ce dernier a déclaré de nombreuses activités : gros œuvre, plâtrerie-cloisons sèches, charpentes et ossature bois, couverture-zinguerie, plomberie-installation sanitaire, menuiserie-PVC (, publié au Bulletin).

Il est recommandé de revoir les clauses de la police d'assurance décennale régulièrement afin de suivre l'évolution de l'activité de l'entreprise

De plus, si l'objet de la police fait référence à l'emploi d'une modalité technique particulière, celle-ci n'est pas « une simple modalité d'exécution de l'activité déclarée », mais « cette activité elle-même ». De ce fait, l'assureur est en droit d'opposer son refus de garantie en l'absence d'identité prouvée entre la modalité utilisée sur le chantier et celle désignée de manière nominative et limitative au sein de la police d'assurance (, concernant le procédé Harnois permettant d'aménager des combles).

En revanche, il a été jugé que la distinction entre l'objet de l'activité déclarée (maçonnerie générale) et l'une des modalités techniques (carrelage) permet d'admettre que l'assuré, en procédant à l'activité de pose de carrelage, a bel et bien exécuté une activité de maçonnerie générale. Ainsi, l'assureur sera tenu d'indemniser malgré tout le tiers lésé (, publié au Bulletin).

La prudence s'impose

La souscription d'un contrat d'assurance décennale est une démarche sérieuse et d'autant plus engageante que le risque assuré - ou non - est de dix ans après la réception. Les pièges sont nombreux et souvent difficiles à apprécier a priori lors de la souscription du contrat. Il est en outre recommandé de revoir les clauses de la police régulièrement, afin de suivre l'évolution de l'activité de l'entreprise.

Enfin, si l'assurance a pour vocation de réduire l'insécurité, il faudrait peut-être songer à un produit d'assurance qui garantisse le risque de non-couverture d'assurance… La boucle serait bouclée !

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