«Nous savons que cela nous pend au nez». Fataliste, cet architecte résume les inquiétudes de la profession. Si la flambée des prix allumée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, à la fin février, impacte déjà fortement les industriels et les entreprises de construction, les maîtres d’œuvre ont conscience qu’ils seront à leur tour touchés, si ça n'est pas déjà le cas.
Difficulté à anticiper
Ainsi, parce qu’elle a actuellement plusieurs sujets à l’étude et un seul en chantier, mais au stade du gros œuvre, l’agence parisienne Avenier-Cornejo sent «la tension monter mais les effets ne sont pas encore arrivés jusqu’à nous.» Alors qu’ils prisent les façades en briques, Christelle Avenier et Miguel Cornejo ont par exemple été avertis de l’augmentation des prix du fabricant Wienerberger. Toutefois les commandes de produits en terre cuite n’auront besoin d’être passées que dans quelques mois. Difficile alors d’anticiper. Difficile aussi de ne pas s’inquiéter. Dans un tel contexte, les maîtres d’ouvrage peuvent en effet être tentés de réclamer que les projets soient revus à la baisse.
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«Cela fait de toute façon longtemps que certains nous demandent si on ne peut pas faire des façades en enduit plutôt qu’en terre cuite ou en bois, ironise Julien Perraud, de l’agence nantaise Raum. Jusqu’ici nous résistions mais ça va devenir de plus en plus dur. On peut s'interroger sur ce qu'il va rester, dans ces circonstances, des sujets mis en lumière par la crise du Covid, comme la qualité d'usage, les espaces intérieurs, les larges ouvertures...»
Connu pour son implication dans la conception durable, l’Atelier Belenfant-Daubas, à Nozay (Loire-Atlantique) a déjà dû consentir à remplacer, sur un projet, «une toiture froide ventilée, en biosourcé, par une toiture chaude pour laquelle nous utiliserons sans doute du polyuréthane. La perte évidente de qualité environnementale est évidente. Toutefois, quand il faut abandonner certains choix de matériaux, nous nous efforçons de le faire là où ce sera le moins impactant pour la qualité d’usage.»
Envolée des factures
Par ailleurs, l’agence a aussi eu à s’inquiéter de l’envolée de la facture sur un bâtiment tout bois : «Les marchés avaient été signés en avril 2020, avant que les prix ne grimpent. Là, nous avons eu la chance que le maître d’œuvre et l’entreprise se mettent d’accord afin que chacun y trouve son compte. Mais tout le monde n’est pas capable de consentir un tel effort.»
A entendre Mayeul Mounaud, économiste de l’agence lyonnaise Tectoniques, le bois présente au moins l’avantage de bénéficier de multiples filières d’approvisionnements. «Jusqu’ici, on privilégiait les bois de Sibérie, le mélèze par exemple, parce qu’ils étaient moins cher que les bois américains. Mais maintenant qu’on ne trouve plus les premiers, on peut se reporter vers les Etats-Unis.» Toutefois les prix ont tellement augmenté qu’en phases de négociation avec les entreprises, Tectoniques «met parfois un peu plus de béton et un peu moins de bois.»
Mais pour l’économiste, le sujet le plus bloquant demeure l’acier : «il n’y a pas d’engagement sur les prix de la part des fournisseurs et les entreprises sont dans l’incertitude la plus totale. Or, que votre projet soit en bois ou en béton, vous aurez toujours besoin d’acier.» Dès lors, l’ouverture des offres est devenu un moment douloureux. Comme pour cet architecte nordiste qui, pour un lot de charpente métallique à un million d’euros, a reçu une seule réponse. «A 1 950 000 € !»