Cotraitance Des groupements d'entreprises de trois types

-Formule classique d'association entre entreprises pour la réalisation d'un marché de travaux, la cotraitance peut prendre plusieurs formes, qui entraînent chacune des risques différents pour les cotraitants.

La cotraitance constitue aujourd'hui, au même titre que la sous-traitance, un mode classique d'association entre les entreprises pour réaliser un marché de travaux.Dans la pratique, la cotraitance revêt cependant des formes variées qu'il est important de connaître, afin notamment de maîtriser les risques relatifs à l'existence de la solidarité envers le maître de l'ouvrage dont les conséquences sont redoutables pour les entreprises.

On peut distinguer trois types de cotraitance, selon que la solidarité est absente de l'engagement des entrepreneurs groupés, qu'elle existe pour le mandataire commun qui devient le garant de la défaillance éventuelle des autres cotraitants, ou bien qu'elle existe pour l'ensemble de ceux-ci.

Groupement sans solidarité

Chacun des cotraitants est seulement tenu de la réalisation de ses propres travaux. L'originalité de ce type de groupement réside dans le fait qu'il exclut toute solidarité des cotraitants envers le maître de l'ouvrage. Chacun des cotraitants a des rapports contractuels directs avec le maître de l'ouvrage. Le mandataire commun désigné par les cotraitants n'est tenu à aucun engagement solidaire. Cette formule de groupement sans solidarité était d'ailleurs prévue par le projet de loi visant à donner un statut légal aux groupements momentanés d'entreprises (1).

En pratique, ce type de groupement peut se rencontrer dans les marchés privés, lorsque le maître de l'ouvrage souhaite disposer d'un interlocuteur unique, voire même d'un coordonnateur des différents cotraitants, mais ne veut pas nécessairement se garantir contre la défaillance d'un ou plusieurs d'entre eux par un engagement solidaire. C'est probablement parce que ce type de groupement prive le maître de l'ouvrage de la solidarité qu'il se rencontre assez rarement. Dans les marchés publics, on pouvait rencontrer ce type de groupement dans les marchés qui relevaient des cahiers des charges antérieurs aux CCAG-travaux de 1976 (2). Depuis l'entrée en vigueur du nouveau CCAG, le 1er juin 1976 (3), cela paraît difficilement possible puisqu'il résulte des dispositions de l'article 2.31 de ce document, qu'il n'existe que deux sortes d'entrepreneurs groupés :

les entrepreneurs groupés solidaires lorsque le marché n'est pas divisé en lots ;

les entrepreneurs groupés conjoints lorsque le marché est divisé en lots.

Selon le CCAG-travaux de 1976, dès lors que le marché est passé avec des entrepreneurs groupés conjoints, le mandataire commun est nécessairement solidaire des autres cotraitants envers le maître de l'ouvrage.

Engagement solidaire de l'entreprise de gros oeuvre

Chacun des cotraitants est tenu de la réalisation de ses propres travaux, mais le mandataire commun est solidaire des autres cotraitants envers le maître de l'ouvrage. On trouve le plus souvent ce type de groupement dans le domaine des travaux de bâtiment plutôt que dans celui du génie civil. En effet, lors de la réalisation d'un marché de bâtiment, peuvent coexister au sein d'un même groupement, des entreprises de second oeuvre (menuisiers, vitriers, plombiers, etc.), de taille et de surface financière le plus souvent modestes et l'entreprise de gros oeuvre, de taille et de surface financière le plus souvent importantes. L'engagement solidaire de l'entreprise de gros oeuvre, en tant que mandataire, constitue une garantie efficace pour le maître de l'ouvrage en cas de défaillance d'un des cotraitants, alors que l'engagement solidaire des entreprises de second oeuvre ne constitue pour celui-ci qu'une garantie de nature limitée.

Pour la réalisation des marchés privés, les normes Afnor P. 03-001 de septembre 1991 pour les travaux de bâtiment et P.03-002 de mai 1992 pour les travaux de génie civil ne définissent pas ce type de cotraitance. En revanche, un certain nombre d'autres documents-types tels le CCAP-type proposé par le CREPAUC (4) en fait état. On peut, en effet, lire à l'article 1-2 (c) de ce document : « L'ensemble des travaux est réparti en lots confiés à un groupement conjoint. Les entrepreneurs groupés sont conjoints lorsque chacun est engagé pour une partie de la prestation bien définie (en général, un ou plusieurs lots) dans la lettre d'engagement. L'un d'entre eux, désigné comme mandataire commun, est solidaire de chacun des autres dans leurs obligations contractuelles vis-à-vis du maître de l'ouvrage jusqu'à la fin du délai de parfait achèvement, date à laquelle ses obligations prennent fin ».

Pour la réalisation des marchés publics, jusqu'au 31 mai 1976, le décret du 20 octobre 1962 (5) rendait obligatoire le fascicule no 02 du cahier des prestations communes applicables aux marchés de travaux de bâtiment pour les marchés passés par l'Etat et les établissements publics nationaux. Ce fascicule, spécialement applicable aux marchés de l'Etat passés avec des entreprises groupées, pouvait d'ailleurs être utilisé également par les collectivités locales. Le modèle de soumission annexé au fascicule no 02 indiquait clairement que le mandataire commun était solidaire des autres cotraitants envers le maître de l'ouvrage jusqu'à la réception définitive.

Le CCAG-travaux de 1976 prévoit que la division des travaux en lots dans le marché constitue le signe de la présence d'entrepreneurs groupés conjoints. L'article 2.31 al. 4 du CCAG dispose en effet : « Les entrepreneurs groupés sont conjoints lorsque, les travaux étant divisés en lots dont chacun est assigné à l'un des entrepreneurs, chacun d'eux est engagé pour le ou les lots qui lui sont assignés ; l'un d'entre eux, désigné dans l'acte d'engagement comme mandataire, est solidaire de chacun des autres dans les obligations contractuelles de celui-ci à l'égard du maître de l'ouvrage jusqu'à la date définie au 1 de l'article 44, à laquelle ces obligations prennent fin » (c'est-à-dire la fin du délai de garantie de parfait achèvement).

Solidarité de tous les cotraitants

Chacun des cotraitants est à la fois tenu de la réalisation de ses propres travaux et solidaire des autres cotraitants envers le maître de l'ouvrage. On rencontrera le plus souvent ce type de groupement dans le domaine du génie civil plutôt que dans celui du bâtiment. En effet, dans ce domaine d'activité, la réunion des entrepreneurs au sein d'un groupement d'entreprises ne s'effectue pas généralement, comme dans le domaine du bâtiment, sous l'égide d'une entreprise de gros oeuvre qui domine plusieurs entreprises de second oeuvre de plus petite taille, à la surface financière plus réduite et ayant chacune une activité spécialisée.

Dans le domaine des travaux de génie civil, le groupement peut comporter des entreprises de taille importante et des entreprises de taille plus réduite. Mais il n'y a pas de façon systématique au sein du groupement, domination de l'un des entrepreneurs dont la surface financière importante conduit tout droit le maître de l'ouvrage à rechercher sa garantie. C'est l'engagement solidaire de chacun des entrepreneurs groupés, de taille relativement égale et disposant chacun d'une surface financière et de qualifications variées, qui va assurer une garantie efficace au maître de l'ouvrage, en cas de défaillance de l'un des entrepreneurs groupés.

Pour la réalisation des marchés privés, les normes Afnor P. 03-001 de septembre 1991 et P.03-002 de mai 1992 ne définissent pas en particulier ce type de cotraitance. En revanche, un certain nombre d'autres documents-types tels que, par exemple, le CCAP-type du CREPAUC en fait état. L'article 1-2 (d) dudit CCAP dispose « L'ensemble des travaux est confié à un groupement solidaire. Les entrepreneurs sont solidaires lorsque, ayant signé une même lettre d'engagement, ils sont engagés pour la totalité des obligations qui découlent du marché correspondant et doivent pallier une éventuelle défaillance de leur partenaire ».

Cette clause est d'ailleurs accompagnée d'une note précisant les conditions du recours à un tel système. Cette note est ainsi libellée : « Il serait souhaitable que cette option ne soit réservée qu'à des entreprises aux caractéristiques communes, notamment dans leur taille et leur qualification, et ayant ainsi un relatif degré d'interchangeabilité ».

Pour la réalisation des marchés publics, jusqu'au 31 mai 1976, le décret du 26 décembre 1968 (6) rendait obligatoire un cahier des prescriptions communes applicables aux marchés de génie civil passés par l'Etat. Ce document ne parlait pas des groupements conjoints, mais il faisait référence, dans son chapitre I, à la possibilité de passer des marchés avec des « entrepreneurs conjoints et solidaires » indiquant que, dans ce cas, l'acte d'engagement recevait les signatures des entrepreneurs conjoints et solidaires (7).

Le CCAG-travaux de 1976 prévoit que les entrepreneurs groupés sont solidaires dès lors qu'ils ont souscrit un acte d'engagement unique et que chacun s'est engagé pour la totalité du marché. En conséquence, la défaillance éventuelle d'un ou plusieurs des entrepreneurs groupés devra être prise en charge par les autres membres du groupement.

Le CCAG de 1976 a aussi prévu l'hypothèse où le marché n'indiquerait pas clairement si les entrepreneurs sont groupés solidaires ou bien groupés conjoints. La solution prévue par le CCAG est extrêmement protectrice des intérêts du maître de l'ouvrage, car le silence ou l'imprécision du marché public de travaux sur la nature solidaire ou non de l'engagement des entrepreneurs groupés, va avoir pour conséquence de rendre ceux-ci solidaires envers le maître de l'ouvrage. En effet, selon l'article 2.31 alinéa 7 du CCAG, il suffit pour que les entrepreneurs soient réputés solidaires :

que les travaux ne soient pas divisés en lots dont chacun est assigné à l'un des entrepreneurs;

ou que l'acte d'engagement d'un groupement conjoint ne désigne pas l'un des entrepreneurs comme mandataire (ce qui priverait le maître de l'ouvrage de l'engagement solidaire du mandataire).

Ces dispositions sont sévères car elles conduisent, sans que les conditions de la solidarité aient été clairement énoncées dans le marché, à en faire supporter toutes les conséquences aux entrepreneurs qui pourront ainsi être conduits à faire les frais de la défaillance de l'un des membres du groupement.

(1) Projet de loi du 28 juin 1976 relatif au contrat de groupement momentané d'entreprises, A.N. 2e session ordinaire 1975-1976, no 2432. (2) Pour un marché passé en 1965 ; à défaut de clause instaurant une quelconque solidarité, aucun des cotraitants n'est solidaire : CE, 18 avril 1984, Cofeba/ OPHLM de Bayonne/SAE, no 1460-1468, inédit. (3) Décret no 76-87 du 21 janvier 1976 approuvant le CCAG applicable aux marchés publics de travaux, « JO » du 30 janvier 1976. (4) Centre de Formation des professionnels de la construction « les marchés privés de travaux », Ed. Le Moniteur 1990. (5) Décret no 62-1279 du 20 octobre 1962, « JO » du 3 novembre 1962, p. 10640. (6) Décret no 68-1258 du 26 décembre 1968, « JO » du 5 janvier 1969 et rectificatif JO du 4 avril 1969. (7) L'expression «conjoints solidaires» a été remplacée par le terme «solidaire» dans le CCAG du 21 janvier 1976.M. Dubisson dans son ouvrage, «Les accords de coopération dans le commerce international», Lamy 1989, p. 61, indique que c'est bien le terme solidaire qui est correct. L'expression «conjoint et solidaire» serait un anglicisme tiré des termes anglo-saxons « Joint and several » qui n'est pas retenue en droit français.

L'ESSENTIEL

»Les règles relatives à la cotraitance résultent des dispositions insérées dans les différents cahiers des charges des marchés de travaux.

»On peut distinguer trois types de cotraitance, selon que les entrepreneurs groupés sont seulement tenus de réaliser leurs propres travaux, sans solidarité, ou que seul le mandataire est tenu à cette solidarité, ou bien que celle-ci existe pour tous les membres du groupement.

»La présence ou l'absence d'engagement solidaire envers le maître de l'ouvrage constitue un aspect essentiel du risque généré par la réalisation d'un marché de travaux en cotraitance.

POUR EN SAVOIR PLUS...

Ouvrages du Moniteur

« Droit des groupements d'entreprises et de la cotraitance », par Jean-Pierre Babando. Octobre 1998, 300 pages, 420 francs.Tél : 01.40.13.33.72.

« Clauses et contrats types », par Bertrand Couette. Deux classeurs à feuillets mobiles, 1200 pages, avec deux mises à jour annuelles, 740 francs. Tél : 01.40.13.33.72.

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