Rien que pour l’accord sur le financement des pertes et dommages, la 28e édition de la conférence ces parties (COP 28) sur le climat méritera une place de choix dans l’histoire des négociations climatiques. A l’issue de ce coup de maître de la diplomatie émiratie qui préside les débats sous l’égide des Nations-Unies, les investissements internationaux dans la transition énergétique réorienteront leur horizon géographique en direction des pays du Sud.
Cap au sud pour la transition
Les Emirats-Arabes-Unis ont mis 30 Mds de dollars dans le fonds dédié à cet objectif, en comptant déclencher un effet levier chez les financeurs privés. Or, selon François Gemenne, professeur d’économie à HEC et rédacteur principal au groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), « c’est dans les pays du sud qu’il faut investir dans la transition énergétique. Si on ne le faisait pas, cette transition n’aurait pas lieu ».
Lui-même engagé dans un groupe de travail qui évalue les pertes et dommages causés par les migrations climatiques, le scientifique récapitule deux décennies de négociations qui ont abouti à ce résultat : « Après les accords de Kyoto en 1997, la question de l’adaptation est restée longtemps un sujet tabou. En discuter revenait à un aveu d’échec, dans la bataille de l’atténuation. Mais au vu des impacts réels du changement climatique dans les pays pauvres qui y ont le moins contribué, il a fallu trouver une nouvelle voie de négociation ».
Un tabou a sauté
Dans les dernières heures de la COP 27 en 2022 à Charm El Cheikh (Egypte), l’accord de principe avait buté sur une impasse financière : sur proposition de l’ancien vice-président de l’Union européenne Frans Timmermans, les pays riches comptaient financer les pertes et dommages par des annulations de dette, mais se heurtaient à l’opposition ferme de la Chine, détentrice du tiers des créances des pays du sud.
« A Dubaï, les négociations sur les pertes et dommages ont repoussé de quatre heures le lancement officiel de la COP 28. Il fallait au moins 200 M de dollars pour lancer le fonds. Nous en sommes à 600 », précise François Gemenne, conscient que cette victoire d’étape précède des décennies de discussions sur l’évaluation des deux familles de pertes : les biens tangibles – infrastructures, territoires, terres arables – et les intangibles, comme les cultures ou les langues.
Suspens sur les fossiles
Enjeu clé de la seconde mi-temps de la COP 28, le sort des énergies fossiles se joue autour d’une alternative : réduction ou sortie ? Les joueurs déroulent les stratégies suivantes : les pays occidentaux militent pour sortir du charbon dont ils ont déjà presque épuisé les réserves ; principaux consommateurs de ce combustible, l’Inde et la Chine se sentent visés et répondent par l’exigence symétrique pour le gaz et le pétrole, considérés comme les « fossiles des riches ».
Quelle que soit l’issue, François Gemenne invite à un exercice de mémoire, pour mesurer la réalité des progrès : « Jusqu’à la COP 26, l’Arabie Saoudite a réussi à maintenir les énergies fossiles en dehors des négociations climatiques. La mention du charbon a ouvert une première brèche à la COP 27, pour arriver au paradoxe d’aujourd’hui : le sujet domine les discussions de la COP 28, alors que les Emirats arabes unis en détiennent la présidence ». Selon le scientifique, de nombreux pays occidentaux, peu préparés à sortir du fossile, ne seraient sans doute pas mécontents de faire porter aux émiratis le chapeau d’un échec.
Pour mesurer les résultats de la Cop, il faudra observer, dans les jours qui suivent, les cours des actions de TotalEnergy, Exxon ou BP. S’ils montent, c’est l’échec.
— François Gemenne du GIEC
Mirage nucléaire
« Pour mesurer les résultats de la COP, il faudra observer, dans les jours qui suivent, les cours des actions de TotalEnergy, Exxon ou BP. S’ils montent, c’est l’échec ». Selon le professeur d’économie, le principal effet des négociations climatiques réside dans les signaux envoyés au marché : « Un message flou signifierait que les investissements dans le gaz et le pétrole se préparent à de beaux jours ».
Dans ce jeu mondial, quel crédit accorder à la carte nucléaire jouée par la France, parmi 21 pays qui entendent tripler les capacités d’ici 2050 ? « Très actif à l’exportation, le Russe Rosatom en constituera le principal bénéficiaire à court terme », estime François Gemenne. A l’inverse, les besoins d’infrastructures de transport et de distribution ouvrent peu de perspectives aux EPR à la française.
Emergence des villes
Le climatologue prête plus de crédit à la filière émergente des réacteurs à sel fondu, qui produisent moins de déchets que leurs cousins à eau pressurisée. La Chine et l’Inde ont pris une longueur d’avance sur ce créneau.
A côté des négociations entre Etats, la COP 28 confirme l’émergence des villes, comme actrices de la lutte pour l’atténuation et l’adaptation. Les plus grandes d’entre elles se sont regroupées dans le club C 40 présidé par Anne Hidalgo, maire de Paris. Mais d’autres réseaux internationaux de collectivités petites et moyennes se bousculent à Dubaï.
Espoir lucide
« Les premiers brouillons de l’accord en instance confirment le rôle central des villes. Même si elles ne décrochaient pas encore de siège officiel à la table des négociations, j’y vois une étape utile », commente François Gemenne. Utiles également à ses yeux, les démonstrations d’acteurs économiques, en marge de la COP, portent leur fruit, notamment dans l’industrie de la construction : « Les cimentiers avancent très vite », se réjouit-il.
Le professeur se distingue résolument de plusieurs de ses confrères et de nombreux militants qui dénoncent le bilan carbone et l’absence de résultats du barnum mondial : « Quoi qu’on dise de leur lourdeur, c’est le seul lieu où la planète discute de son défi commun ».