La crise des matériaux inquiète en haut lieu. Dès le 16 mars, à l'annonce du plan de résilience, puis dans une circulaire du 30 mars (1), Jean Castex a demandé d'appliquer la théorie de l'imprévision pour les marchés publics de l'Etat et de ne pas réclamer de pénalités de retard dans le cas de difficultés liées à l'approvisionnement. Il a aussi rappelé les personnes publiques à leur obligation d'insérer une clause de révision des prix dans les contrats à venir dès lors qu'ils sont exposés à des aléas majeurs en raison des fluctuations des cours mondiaux ; clause qui ne devra contenir ni « terme fixe », ni « clause butoir, ni clause de sauvegarde », « afin de ne pas pénaliser les entreprises ».
Fin mars, l'Insee a annoncé une publication plus rapide des valeurs mensuelles des index de la construction. Ces derniers - diffusés dans « Le Moniteur » - sont utilisés pour prendre en compte l'évolution des coûts subis par les entreprises entre le moment de la signature d'un contrat de travaux et la réalisation des opérations. En faisant évoluer sa méthodologie de calcul, l'institut statistique répond à une requête formulée de longue date par le BTP. Il va publier ces valeurs mensuelles 45 jours après la fin du mois considéré et non plus au bout de 80 jours environ. « C'est 1,5 mois de gagné pour nos trésoreries », se félicite Olivier Salleron, président de la FFB.
Alerte rouge sur les marges. Il faut dire que depuis le début de la pandémie, les entreprises font face à une crise des matériaux sans précédent. D'autant que la guerre en Ukraine a aggravé la situation, laissant les professionnels « dans une situation inédite : les prix évoluent dans tous les sens, les délais de livraisons ne sont plus assurés, et il y aura peut-être des arrêts de chantiers à cause de pénuries totales de matériaux », déplore Pascal Boulanger, président de la FPI. Sur les chantiers, les entrepreneurs sont en alerte maximale car les marges sont mises à rude épreuve. « Nous faisons face à des hausses intervenant dans des délais extrêmement courts et à des prix valables uniquement 48 heures », relaie Jean-Christophe Repon, président de la Capeb. Comment préserver les marges ? La mission est impossible, ou presque. Tout le monde décrypte ses devis, cherchant une issue de secours. Sur les marchés privés qui ne prévoient pas de clause de révision des prix, « je conseille aux artisans de rester très vigilants sur les délais de validité », poursuit Jean-Christophe Repon. Pour les autres contrats, signés avec un maître d'ouvrage public notamment, les professionnels ont les yeux rivés sur les index BT et TP. L'envolée des prix des matériaux met en évidence l'importance des clauses de révision dans les marchés, du choix des index qui les composent… mais aussi leur déconnexion totale de la réalité vécue sur le terrain.
Les index du bâtiment n'ont d'ailleurs presque pas été remodelés depuis leur création, il y a des décennies pour les plus anciens, alors que les métiers ont beaucoup évolué. « La composition du BT01 [« Tous corps d'état » utilisé pour les CCMI, NDLR] ne correspond plus à la manière de concevoir les projets, dans lesquels il y a aujourd'hui davantage de technologie et d'ingénierie. Nous lançons des études de sols, techniques, thermiques…, rappelle Sylvain Massonneau, vice-président du Pôle Habitat de la FFB. Traditionnellement, quand le BT01 augmente de 5 % [5,37 % sur une année glissante, NDLR], nous observons plutôt des hausses de prix de 7 à 8 %. »
Manque de cohérence. Certains professionnels dénoncent même le manque de cohérence de certains index BT par rapport à la réalité du terrain, notamment sur la prise en compte des matériaux mis en œuvre. « Nous sommes en train de travailler sur certains index BT qui ne sont absolument plus corrélés avec l'activité, annonce Olivier Salleron. Nous collectons des données pour comprendre ce fossé entre le terrain et l'index. Par exemple, sur les trois premiers mois de l'année 2021, le prix de certaines essences de bois a été multiplié par deux, alors que sur la même période, les index BT bois n'augmentaient que de 0,8 %. » La filière bois, encore peu structurée, aurait beaucoup de peine à faire remonter les données.
Les index du bâtiment n'ont presque pas été remodelés depuis leur création, alors que les métiers ont beaucoup évolué
Par ailleurs, il est parfois difficile de s'y retrouver. Il existe ainsi cinq index liés aux travaux de menuiseries extérieures qui s'entrechoquent. D'autres présentent des libellés qui portent à confusion, tel le BT27 « Fermeture de baies en aluminium » utilisé à tort pour des fenêtres alors qu'il concerne les volets et ne prend donc pas en compte l'évolution du prix du verre.
Leur composition serait même « illogique », dénonce un professionnel. « Pour la menuiserie extérieure métallique, concernant la partie relative au bois, il est mentionné ”bois frais” alors qu'il devrait être indiqué ”bois composé” », détaille-t-il. « Ce sujet est dans notre viseur, indique-t-on au ministère de l'Industrie. Le travail de recomposition des index est en cours, mais il s'agit d'une opération plus compliquée que d'accélérer leur publication. Nous devons construire une méthodologie robuste. Cette situation permet d'explorer des niveaux d'inflation qui n'existaient pas dans les bases statistiques et les simulations des économistes du ministère, de vérifier quels indices fonctionnent et de nourrir un travail d'expérience statistique. Nous devons toutefois attendre d'avoir une vision de l'inflation mensuelle sur une période longue pour avoir une base de calcul cohérente. Ces données mettent plus de temps à remonter. » Ce qui fait prédire à notre source que « les changements ne pourront pas s'appliquer à la crise actuelle, car en moyenne, les contrôles de composition des index peuvent durer deux ans ».
Rappelons que l'Insee s'est déjà livré à un tel exercice pour les index TP lors du changement de base en 2015 avec l'aide de la FNTP et n'hésite pas à apporter des modifications ponctuelles comme ce fut le cas en novembre 2021 pour l'index TP06a « Grands dragages maritimes ». Ce qui n'empêche pas Bernard Sala, président de Routes de France, de demander une nouvelle révision - en urgence - des index…