Jurisprudence

Collectivités locales Subventionnement :comment anticiper les risques ?

Qu’elle s’adresse à des bénéficiaires publics ou privés, la politique de subventions des collectivités locales s’appuie sur un régime juridique très encadré par le droit national et les directives communautaires. De nombreux rapports officiels ne cessent pourtant de dénoncer des pratiques souvent opaques, non concertées ou inefficaces, faisant peser des aléas juridiques et financiers sur les collectivités et les opérateurs privés. Bien identifier ces risques, c’est déjà, en partie, les éviter.

Réservé aux abonnés
Image d'illustration de l'article
CARICATURE - RGL COINTE 49.eps
Marchés publics

La pratique du subventionnement présente plusieurs risques. Des risques au niveau pénal d’abord, mais également des risques de requalification, moins connus mais tout aussi dangereux. Il apparaît donc essentiel pour les collectivités territoriales de mettre en place des modalités de contrôle et d’évaluation propres à les éviter.

1Les risques encourus

Au niveau pénal

Gestion de fait. Lorsqu’elle est caractérisée, la gestion de fait (article 60-XI de la loi du 23 février 1963) déclenche une procédure devant les juridictions financières. Les chambres régionales des comptes (CRC) sont alors amenées à examiner la comptabilité du gestionnaire de fait dans les mêmes conditions que celle d’un comptable patent, et à engager, éventuellement la responsabilité du gestionnaire de fait.

Bien que principalement financière (1) cette responsabilité peut également être pénale. Aux termes de l’article 433-12 du Code pénal, le fait de s’immiscer dans l’exercice d’une fonction publique en accomplissant l’un des actes réservés au titulaire de cette fonction peut être puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. Le comptable de fait peut également être condamné à payer une amende (2) et être suspendu de sa qualité d’ordonnateur.

Le risque de gestion de fait est particulièrement présent en cas de subventionnement de structures dites « transparentes », c’est-à-dire d’entités ne pouvant être distinguées de la collectivité qui les a créées et qui, n’ayant de ce fait aucune existence réelle, sont traitées comme un abus de droit (3).

La gestion de fait constitue ainsi un risque fréquent comme en témoignent les nombreux exemples issus des rapports d’observations définitives émis fréquemment par les CRC.

Prise illégale d’intérêts. La prise illégale d’intérêts, définie par l’article L. 432-12 du Code pénal, constitue : « Le fait,pour une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement, est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. » La notion d’« intérêt quelconque » est aujourd’hui interprétée de manière très large par les juridictions répressives. Il peut s’agir de la simple perception directe ou indirecte de bénéfices, ou d’avantages pécuniaires ou matériels. Par ailleurs, cet intérêt peut n’être que d’ordre politique, moral ou affectif.

Requalification contractuelle

Initialement, la forme de la subvention était laissée à la discrétion de la collectivité. Elle pouvait, au choix, l’octroyer par acte unilatéral ou par contrat. Depuis la loi du 12 avril 2000 concernant les droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration, la subvention doit être conclue par une convention avec l’organisme de droit privé qui en bénéficie. Cette convention doit définir l’objet, le montant et les conditions d’utilisation de la subvention attribuée. Il existe ainsi une obligation de contractualiser les rapports entre la personne publique et la personne privée bénéficiaire au-delà d’un certain montant, fixé à 23 000 euros an par le décret n° 2001-495 du 6 juin 2001.

Ce mouvement de contractualisation des rapports entre les personnes publiques et les bénéficiaires entraîne un accroissement des risques de requalification des contrats de subventionnement.

Dans un marché public. Aux termes de la définition qu’il est possible d’en donner, la subvention ne doit pas avoir de contrepartie pour la personne publique, au risque d’être qualifiée de prix acquitté pour un service rendu par le bénéficiaire.

Or, selon l’administration fiscale : « Une subvention constitue la contrepartie d’un service rendu lorsque les circonstances de fait ou de droit permettent d’établir l’existence d’un engagement de fournir un bien ou un service. A contrario, les subventions versées à des organismes qui n’ont souscrit aucune obligation en contrepartie de la subvention ne constituent pas la rémunération d’un service rendu » (4). Pour qu’il y ait, non seulement subvention mais rémunération, le juge administratif vérifiera s’il existe un « lien direct », entre la subvention et les prestations offertes par la personne bénéficiaire (CAA de Marseille, 1er mars 2004, « GAEC l’Aurier », n°99MA02079, à propos d’une convention conclue à l’initiative de l’Etat, dans le cadre de la politique de lutte contre les incendies de forêt).

Dans une délégation de servicepublic. Selon l’article L. 1411-1 du Code général des collectivités territoriales, la délégation de service public (DSP) se définit selon trois critères : l’existence d’une activité qualifiable de service public ; une délégation de la gestion de ce service par la personne publique et une rémunération du cocontractant substantiellement liée aux résultats de l’exploitation. Ce dernier critère suppose, selon le Conseil d’Etat (5), que le cocontractant supporte le véritable risque financier de l’exploitation lié à l’organisation de sa gestion. Plus que le simple critère des modalités de rémunération, c’est le critère de la gestion aux risques et périls qui permet in fine la qualification du contrat en DSP.

La frontière entre convention de subventionnement et contrat de DSP est donc ténue et le juge peut découvrir, sous l’apparence d’un contrat de subventionnement, un véritable contrat de DSP.

Dans un arrêt du 20 février 2004 (« Robert H. c./ CUS », n° 03-00784), le tribunal administratif de Strasbourg a requalifié en DSP la convention de subventionnement liant la ville de Strasbourg à une association chargée d’une activité de location de vélos. Selon le juge, la rémunération de l’association était assurée à hauteur de 37 % par les résultats de l’exploitation et, compte tenu des contrôles assurés par la personne publique au titre du service, celui-ci devait être regardé comme un service public.

2 Comment éviter les dérives

Afin de minimiser les principaux risques identifiés et pour optimiser l’efficacité de leurs subventions, les collectivités territoriales doivent appréhender les différentes formes de contrôle possible et mettre en place des outils et des procédures adéquates et systématiques. Au-delà des contrôles prévus par les textes, elles doivent définir et mettre en œuvre un ensemble de « bonnes pratiques » internes et externes encadrant l’utilisation des sommes versées.

Procédures de contrôle

Traditionnellement, on distingue quatre formes principales de contrôle, prévues par différents textes de droit interne : le contrôle administratif, le contrôle politique, le contrôle financier et le contrôle des administrés. Rappelons cependant, même si ne nous l’étudions pas ici, que depuis la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, les collectivités territoriales sont désormais directement concernées par l’application des textes d’origine communautaire et donc par le contrôle que les instances communautaires peuvent être amenées à effectuer dans le cadre de l’octroi d’aides aux entreprises.

Contrôle administratif. Lorsque la subvention est affectée à une dépense déterminée, l’organisme de droit privé bénéficiaire doit produire un compte rendu financier attestant de la conformité des dépenses effectuées à l’objet de la subvention. Le contenu de ce compte rendu financier a récemment été précisé par un arrêté du 24 mai 2005 (6). En outre, est également prévu à l’alinéa 2 de l’article 2 de l’ordonnance du 23 septembre 1958 relative à des dispositions générales d’ordre financier le contrôle sur pièce et sur place des écritures du bilan et des comptes relatifs à la gestion et à l’emploi de l’aide accordée par l’inspection générale des finances et l’inspection de l’administration du ministère de l’Intérieur sur toutes les entités bénéficiaires de fonds publics, quel que soit leur statut.

Contrôle politique. Aux termes de l’article L. 1611-4 alinéa 1 du CGCT : « Toute association, œuvre ou entreprise ayant reçu une subvention peut être soumise au contrôle des délégués de la collectivité qui l’a accordée. » Pour permettre ce contrôle, l’alinéa 2 prévoit que ces organismes devront fournir à l’autorité qui a mandaté la subvention : « une copie certifiée de leurs budgets et de leurs comptes de l’exercice écoulé, ainsi que tous documents faisant connaître les résultats de leur activité ».

Contrôle financier. En application de L. 211-4 du Code des juridictions financières, les CRC ont compétence pour contrôler les comptes des entités, quel que soit leur statut juridique, auxquels les collectivités territoriales apportent un concours financier supérieur à 1 500 euros. Cependant, si, comme le prévoit l’article R. 211-3 du même Code, le concours financier de la collectivité publique est affecté à une dépense déterminée et ne dépasse pas la moitié des ressources totales de l’organisme bénéficiaire, le contrôle se limite à la vérification du compte d’emploi de la subvention (7).

Contrôle par les administrés. Plusieurs dispositions ont prévu la possibilité pour les administrés de contrôler, au moins indirectement, l’utilisation des subventions par leurs bénéficiaires.

Aux termes des articles L. 2313-1, L. 3313-1 et L. 4312-1 du CGCT, les communes de 3 500 habitants et plus, les départements et les régions doivent tenir à la disposition du public à la mairie, l’hôtel du département ou l’hôtel de région : « la liste des concours attribués […] sous forme de prestations en nature ou de subventions » ainsi que « la liste des organismes pour lesquels la collectivité a versé une subvention supérieure à 75 000 euros ou représentant plus de 50 % du produit figurant au compte de résultat de l’organisme ».

De plus, l’article 10 al. 6 de la loi du 12 avril 2000, complétée par le décret du 6 juin 2001, prévoit que : « Les organismes de droit privé ayant reçu annuellement de l’ensemble des autorités administratives une subvention supérieure à 153 000 euros doivent déposer à la préfecture du département où se trouve leur siège social leur budget, leurs comptes, les conventions attributives des subventions et, le cas échéant, les comptes rendus financiers des subventions reçues pour y être consultés ».

Des outils adaptés

Le rappel de l’ensemble de ces dispositifs de contrôle ne doit pas masquer la réalité. Même prévus par les textes ou contractualisés par certaines collectivités, les contrôles sont rares et les subventions accordées revêtent souvent un manque de cohérence et de suivi.

Dans ce contexte, il semble impératif que les collectivités mettent en place une véritable politique de suivi et de contrôle. Cela est plus particulièrement vrai pour les régions, confirmées dans leur rôle de « chefs de file » et coordonnatrices de l’action économique par la loi précitée du 13 août 2004.

Quelques pistes peuvent être envisagées:

• Audit juridique et financier : un audit périodique des principales structures bénéficiaires ainsi qu’un état de l’ensemble des subventions versées permet d’identifier les risques éventuels et d’y remédier.

• Mise en place d’un contrôle de l’opportunité : il s’agit de créer une interface publique chargée d’évaluer les besoins de la collectivité et des personnes privées afin de circonscrire le versement des subventions au strict nécessaire.

• Mise en cohérence des actions:même si le rôle coordonnateur de l’action économique appartient en principe à la région, force est de constater que les départements et les communes continuent de consacrer directement une part importante de leurs budgets à des actions d’aide aux entreprises. Il apparaît nécessaire de clarifier régulièrement les rôles de chacun (au besoin par l’intermédiaire de conventions cadres), afin de redonner une cohérence d’ensemble aux interventions des différentes collectivités territoriales.

• Mise en place d’outils de contrôle permanents de la bonne utilisation des aides : même prévu dans les conventions de subventionnement, ce contrôle demeure le plus souvent inexercé ou parcellaire. Or il est essentiel que les collectivités mettent en place une véritable évaluation de l’utilisation des subventions. Des sanctions doivent être prévues dans les conventions d’objectifs, en cas de non respect des engagements (par exemple : le remboursement des sommes indûment versées).

Les pistes ainsi proposées, instituées de manière systématique et permanente pour demeurer efficientes à long terme, devront être adaptées selon la taille de la collectivité contributive et le volume des subventions gérées. Elles pourront se présenter sous forme de tableaux de bord ergonomiques, facilement actualisables.

Newsletter Week-End
Nos journalistes sélectionnent pour vous les articles essentiels de votre secteur.
Les services Le Moniteur
La solution en ligne pour bien construire !
L'expertise juridique des Éditions du Moniteur
Trouvez des fournisseurs du BTP !
Détectez vos opportunités d’affaires