« Le contrôle a posteriori (des collectivités locales) est la contrepartie indissociable du principe de responsabilité pleine et entière des élus, qui constitue le fondement de la décentralisation ». C'est en ces termes que Pierre Joxe, Premier président de la Cour des comptes, a ouvert la journée d'étude qui vient de se tenir sur le thème « démocratie locale et chambres régionales des comptes ». Si le contrôle de légalité a posteriori est assuré par le préfet (voir notre enquête p. 38), il revient aux chambres régionales de comptes d'exercer le contrôle financier, en étant juges des comptes des comptables publics des collectivités territoriales et de leurs établissements publics, et en examinant la gestion de ces collectivités.
Mais on a assisté depuis 1982 à un processus inverse de celui auquel on aurait pu raisonnablement s'attendre. « A priori, le contrôle de légalité devait jouer le rôle majeur du fait de la saisine du juge administratif par le préfet, et le contrôle financier un rôle secondaire, compte tenu du principe de libre administration des collectivités locales », a rappelé Hugues Portelli, professeur à l'Université Paris II.
Première explication de ce phénomène : la nature ayant horreur du vide, le contrôle financier a eu tendance à occuper la place laissée vacante par la carence du contrôle de légalité. Carence qui se traduit notamment par l'absence d'unité de démarche entre les divers départements, et par le peu d'attirance des déférés préfectoraux pour des domaines pourtant aussi sensibles que les marchés ou les délégations de service public.
Forte demande sociale de transparence
Joël Thoraval, président de l'association du corps préfectoral, et préfet de la région Ile-de-France, situe l'origine du mal dans une disparité historique initiale : « En 1982, on a conforté les moyens du contrôle budgétaire, cependant que les représentants de l'Etat ont été priés d'exercer le contrôle de légalité avec les moyens du bord. Cette distorsion initiale s'est aggravée avec la complexification des textes et l'érosion des moyens des préfectures ».
Seconde explication de la montée en puissance du contrôle financier : ce contrôle a bénéficié d'un engouement médiatisé. Il a correspondu à une forte demande sociale de transparence dans l'utilisation des deniers publics ; et l'opinion publique ne peut manquer de comparer l'indépendance des chambres régionales des comptes avec le statut politico-administratif des préfets.
Comment rétablir un meilleur équilibre global ? Trois orientations se sont dégagées :
créer une fonction juridique à la disposition des préfets, pour leur permettre de faire face à une réglementation toujours plus complexe, volumineuse et changeante (une mission pourrait être localisée dans chaque région) ;
renforcer le conseil en amont. On devrait pouvoir consulter les chambres régionales des comptes sur certains projets de marché, dans une optique de prévention, car un contrôle a posteriori ne peut conduire qu'à une sanction ;
afin d'atteindre la masse critique indispensable aux « pôles de compétence juridique » nécessaires aux collectivités locales, Jean-Paul Delevoye, président de l'association des maires de France, propose de développer en ce domaine l'intercommunalité.
Pierre Joxe conclut : « La France n'a pas de tradition de décentralisation, elle a une tradition de gestion par l'Etat, de tutelle, de contrôle a priori. En prenant l'habitude des responsabilités décentralisées, elle prendra aussi l'habitude des contrôles indépendants. Cela demandera sans doute quelque temps... »