Canal Seine-Nord Qui va payer?

Les enquêtes socio-économiques pour le canal Seine-Nord Europe sont achevées. L’ouvrage coûtera plus de trois milliards d’euros mais sa rentabilité économique ne fait plus de doute pour ses promoteurs. Les négociations ont commencé entre l’Etat, les collectivités locales et les partenaires privés sur le montage financier du projet.

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Dans la dernière ligne droite, il faut surtout éviter de tomber. Les équipes de Voies navigables de France (VNF), en charge des études techniques et économiques du canal Seine-Nord, n’ont que cela en tête. Le président de VNF, François Bordry, remettra donc avec une certaine appréhension en mai le dossier d’avant-projet du canal à Dominique Perben, ministre des Transports et de l’Equipement. Cette étape est cruciale pour ce gigantesque ouvrage de 106 km reliant l’Oise à l’Escaut, qui permettra de joindre, en 2012, le bassin parisien au réseau fluvial du nord de l’Europe.

Renaissance du transport fluvial. Les acteurs socio-économiques épluchent actuellement les études rendues début mars par la mission Seine-Nord de VNF, dirigée par Nicolas Bour. Ils remettront leurs avis fin avril à Michel Sappin, préfet de Picardie, coordonnateur du projet. Le début de l’enquête d’utilité publique est prévu en septembre prochain pour une DUP fin 2007. Entre-temps, le dialogue compétitif aura été engagé en vue d’un contrat de partenariat. Les négociations commencent donc réellement sur le financement de l’ouvrage. Europe, Etat, collectivités locales et surtout partenaires privés… tout le monde va se parler, évaluer la pertinence économique de ce projet, recalculer les projections de trafic, valoriser les bénéfices attendus et, bien sûr, constituer des alliances. Elles seront nécessaires, les promoteurs du projet ayant vite compris que l’Etat ne pourra financer seul ce canal dont le coût est maintenant évalué entre 3,17 et 3,72 milliards d’euros, en fonction de la configuration des écluses. La solution du partenariat public privé permettrait d’amoindrir la contribution publique et d’étaler les paiements dans le temps. Mais cette procédure implique des groupements très larges, comprenant constructeurs, exploitants du canal, opérateurs de bases logistiques et de zones touristiques, gestionnaires de réseaux d’eau et, bien sûr, investisseurs et banques.

Pour les observateurs du transport fluvial, la montée en puissance du canal Seine-Nord confirme la renaissance de la voie d’eau. Ironie de l’histoire, le dernier canal construit en France est le canal du Nord, le long duquel la liaison future viendrait s’installer. Dès sa livraison en 1965, le canal du Nord était sous-dimensionné avec un gabarit de 650 tonnes. Dix ans plus tard seulement, une réflexion avait été engagée pour porter sa capacité à 3 000 tonnes. Il a fallu attendre trente ans pour que le gouvernement décide de construire un nouveau canal - Seine-Nord - en le faisant figurer, en décembre 2003, parmi les 35 projets prioritaires.

Entre-temps, les routes s’étaient saturées et le ferroviaire avait montré ses limites. La voie d’eau était redevenue un mode de transport intéressant, sous l’effet de la mondialisation : la concentration des lieux de production pousse à une massification des échanges. Les ports maritimes voient la part des « boîtes » (conteneur équivalent vingt pieds - EVP), représentant 30 % des marchandises, s’accumuler sur leurs digues. Les dessertes terrestres doivent les évacuer rapidement. La route semble apporter la solution la plus évidente, mais les camions ne peuvent transporter qu’un petit nombre de conteneurs. Les modes fluviaux et ferroviaires, capables d’en charger une grande quantité, permettent de répondre à la massification et élargissent l’hinterland des ports. L’exemple d’Anvers et de Rotterdam, où la voie d’eau assure plus de 50 % de la desserte, montre le potentiel de progression du Havre et de Dunkerque. Le transport fluvial en France connaît d’ailleurs une véritable reprise : 7,4 % en 2005 pour les marchandises. Et 40 % sur dix ans.

Jusqu’à 200 millions d’économies par an. Jean-François Dalaise, président du Comité des armateurs fluviaux (CAF), en tire donc les conséquences : « La construction de l’écluse de Port 2000 au Havre est urgente. » Ce lyonnais d’origine, amené à présider le Port autonome de Paris, a lutté plus de deux ans pour que cette écluse soit inscrite dans la liste des 30 projets prioritaires français : « L’écluse n’est pas là pour l’ouverture de Port 2000, l’enjeu désormais est qu’elle soit construite pour la livraison de Seine-Nord en 2012. »

Sans attendre l’écluse du Havre, les études socio-économiques permettent de se projeter dans l’avenir, avec un canal construit, et d’imaginer quels en seront les bénéficiaires.

Pierre-Alain Roche, directeur des transports maritimes, routiers et fluviaux au ministère de l’Equipement, concède que « faire des projections longues dans un contexte de renouveau récent du transport fluvial n’est pas une mince affaire ». Pourtant, les études de VNF assurent que, d’ici à 2020, le transport fluvial prendra cinq points de part de marché, essentiellement à la route. « Un report de 1 000 t-km de la route vers la voie d’eau se traduira par une économie comprise entre 17,6 et 65,4 euros », selon l’étude. Compte tenu des perspectives de trafic fluvial, cela se traduit par une économie annuelle de 60 à 95 millions d’euros en 2020 et de 75 à 200 millions en 2050.

Autre bénéfice attendu, la fonction de régulation du canal pour réduire les crues de la Somme et de l’Oise. Des économies considérables, mais issues de calculs complexes qui feront l’objet de validations. Une mission du Conseil général des ponts et chaussées (CGPC), présidée par Claude Gressier, est déjà à l’œuvre. Autre enseignement de l’étude : le trafic sur le canal sera généré à 30 % par les territoires traversés grâce aux plates-formes intermodales. Une donnée importante pour la participation des régions au financement. Daniel Beurdeley, vice-président transport de la région Picardie, ne le cache pas : « Si nous regardons passer les bateaux, ce canal n’a aucun intérêt. Il nous faut une grande plate-forme intermodale permettant de développer le territoire. » Janine Marquaille, son homologue à la région Nord-Pas-de-Calais, tient le même raisonnement : « Nous avons déjà participé aux études, mais notre engagement sera proportionnel aux retombées économiques envisageables. » Reste la possibilité, pour la métropole lilloise, de disposer d’une alimentation supplémentaire en eau. Son président, Pierre Mauroy, a déjà manifesté son intérêt. En Ile-de-France, le conseiller chargé des transports, Serge Mery, explique que « ce projet n’est clairement pas une priorité pour la région », même s’il ne conteste pas son intérêt.

Enfin, la contribution européenne reste aujourd’hui inconnue. Bien qu’inscrite comme réseau de transport européen (RTE) prioritaire par la Commission européenne, la liaison pourrait être victime de la baisse drastique des crédits communautaires. L’enveloppe RTE a été réduite de 30 milliards à 6 milliards d’euros pour 2007-2013. Une sélection plus draconienne des projets est envisagée, plutôt qu’un saupoudrage sur les 30 RTE. Mais quels seront les heureux élus ? Les cinq RTE disposant d’un coordinateur européen - dont Seine-Nord ne fait pas partie - seraient avantagés.

PPP et dialogue compétitif. Quelle que soit la clé de répartition pour financer le projet, les versements publics s’étaleront dans le temps grâce au PPP. L’étude de VNF permet désormais aux investisseurs privés d’en savoir plus : le taux de rentabilité interne (TRI) du projet est compris entre 6,4 % et 8,7 %. De quoi attirer les partenaires privés. Et ils ne manquent pas, avec en première ligne les constructeurs qui disent tous regarder le dossier. Les banques aussi sont intéressées. Patrick Van de Voorde, directeur des PPP à la Caisse de dépôts, ne cache pas son intérêt pour ce projet « qui comporte toutes les caractéristiques de ce que l’on peut faire grâce à un PPP ». Et au premier chef, la possibilité d’inclure dans le montage des activités annexes permettant d’améliorer sa rentabilité. Dominique Maurel, directeur de projet à la Royal Bank of Scotland, « n’exclut pas un rôle de partenaire ». Quant à Bruno Deletré, directeur général du secteur public chez Dexia, il estime que « Seine-Nord est un équipement qui se prête bien à un PPP dans la mesure où le risque trafic sera pris en charge par la puissance publique ». Quelle que soit la nature des groupements, la maîtrise d’ouvrage prépare le terrain pour le dialogue compétitif qui devra s’engager. La préparation de l’avis d’appel public à la concurrence commencera en mai, après la remise de l’évaluation préalable au contrat de partenariat. De juin à octobre, la préparation et le choix des groupements par VNF pourront donc s’opérer, avec une première phase de dialogue qui pourrait commencer en fin d’année.

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