Passionné par l’architecture militaire, devenu, au fil des projets, spécialiste de l’alliance entre le bâti historique et la création contemporaine, l’architecte Philippe Prost est dans son élément au château de Caen.
Les remparts s’élèvent au centre de la ville et constituent l’une des plus grandes enceintes fortifiées d’Europe du Nord. Bâtie par Guillaume le Conquérant, elle porte les traces de ses transformations successives, mais a résisté même aux bombardements de l’été 1944. « Un patrimoine historique vivant », appuie l’architecte, lauréat du Grand Prix national d’architecture en 2022. Un an plus tôt, en 2021, il remporte le concours lancé par la ville de Caen, en association avec le paysagiste Thierry Laverne.

Le projet d’aménagement paysager, patrimonial et touristique des espaces intérieurs du château de Caen est la deuxième phase opérationnelle d’un schéma directeur qui en compte neuf, jusqu’en 2037. La première phase, achevée en 2019, a concerné les aménagements extérieurs (aménagements paysagers et mise en lumière des remparts).

Réunifier le site par le sol
Le projet de Philippe Prost consiste à créer un parc paysager de près de 4 ha à l’intérieur de l’enceinte médiévale, véritable « poumon vert » au cœur de la cité. Aujourd’hui, derrière les remparts et ses tours de garde, on trouve le musée des Beaux-arts et le musée de Normandie, ainsi que plusieurs bâtiments d’époques et de fonction disparates. Du donjon, on ne voit plus que les fondations au sol. L’ensemble monumental domine la ville, mais seule une partie de chemin de garde est accessible. On y trouvait même un parking, fermé depuis peu. L’usage fait qu’on traverse le monument, via les trois portes d’accès historiques, sans forcément s’apercevoir qu’on est dans un château.

Le pari de Philippe Prost et de Thierry Laverne est de réunir ces éléments disparates et de redonner une unité au site, par le sol, en créant un « tapis vert ». Plus précisément, deux grandes pelouses de type « gazon anglais » devant l’église Saint-Georges, l’espace devenant la place centrale du château, et des prairies sèches sur toutes les autres parties. On cheminera sur des allées en pierre calcaire, pierre historique de construction de la ville, mais celle-ci sera extraite dans le bassin parisien pour résister au gel.

Le chemin de ronde sera également réaménagé, dans sa partie sud, pour le rendre accessible au public, créant « un belvédère sur la ville » et sur les douves. Les tours de garde, jusqu’à présent fermées au public, seront libérées des bureaux administratifs qu’elles abritent. Le traitement de ce bâti historique a nécessité la création de deux lots spécifiques dans le marché, attribués à l’entreprise Les Métiers du Bois pour la menuiserie et la charpente et à Lefèvre pour la taille de pierre. Le sol sera creusé et dallé autour du donjon pour le faire réapparaître.

Un bâtiment d’accueil et un verger
Un nouveau bâtiment de 600 m2, destiné au regroupement des services administratifs et à l’accueil des publics, sera construit au centre du parc, visible depuis les deux portes d’accès, mais appelé à se fondre dans le paysage. « Ce pavillon se distinguera uniquement par l’emploi du matériau bois, au milieu des autres constructions en pierre », explique l’architecte. Il se déploiera sur trois volumes en arc de cercle, pour éviter l’aspect massif. En rez-de-chaussée, l’accueil et la librairie-boutique seront apparents derrière des baies vitrées. L’éclairage du site sera le plus minimaliste possible pour protéger la faune et la flore : pas de mâts, mais des bornes de lumière au sol, dont le volume s’intensifie au passage des piétons.
Parmi les 97 arbres existants, 27, qui gênaient la lecture du site, ont été coupés, « mais 143 nouveaux seront plantés au total », précise le paysagiste. Des espèces locales, érables, chênes et hêtres, et des essences plus « exotiques et décoratives », séquoias, cèdres et mélèzes, ainsi qu’une trentaine d’arbres de vergers.

Inscrite au contrat de plan Etat-région, l’opération est estimée à 21 millions d’euros TTC, financés par la ville de Caen (7,4 millions d’euros) avec le soutien de l’Etat (130 000 euros), de la région Normandie (5 millions d’euros) et du département du Calvados (5 millions d’euros). Le projet bénéficiera également du financement des fonds européens au titre du Feder.
Durant toute la durée des travaux, soit deux ans, la ville met en place l’opération « Château en chantier », des rendez-vous réguliers pour dévoiler les dessous du chantier : découvertes des métiers et techniques à l’œuvre, rencontres, ateliers, évènements culturels… La livraison est prévue pour le premier trimestre 2025, à l’occasion du Millénaire de la ville.