Dans les années 1970, les pouvoirs publics engagent une politique de répartitions fonctionnelles de l’espace. L’heure est au « zoning » et aux plans d’urbanisme. Le patrimoine est dissocié du territoire. Les architectes sont alors missionnés dans le cadre de programmes précis de sauvegarde d’un bâti historique. La décennie suivante voit le lancement de la planification stratégique qui se veut plus itérative. Désormais, les schémas de développement intègrent le patrimoine architectural et culturel. La politique territoriale connaît un nouveau processus d’urbanisation non plus basé sur la rationalisation de l’espace, mais sur la mise en valeur du territoire. Dans ce domaine de l’ingénierie culturelle, nous avons perçu très tôt les nouveaux enjeux auxquels les collectivités ont dû faire face et les aider à révéler l’identité d’un territoire à travers leur patrimoine. Véritable alliance entre la ville et son bâti, l’urbanisme culturel est né de la volonté commune des acteurs publics et privés de rétablir le lien entre les citoyens et leur espace de vie.
Rétablir le lien. De grands aménagements sont désormais menés à l’échelle municipale, à l’exemple d’Aix-en-Provence qui, entre 1991 et 2001, a lancé un nouveau schéma directeur fondé sur la valorisation de son patrimoine architectural et culturel. L’urbanisation effrénée des dernières décennies avait retiré à la ville son rôle de socialisation. En menant une restructuration complète de son tissu urbain, Aix-en-Provence souhaitait rétablir ce lien entre ville et citoyens. Le projet Sextius-Mirabeau et la réhabilitation de l’usine « des Milles » apparaissent comme le dispositif central de cette politique. Les anciens bâtiments industriels retrouvent une nouvelle fonction dans la ville. Ils permettent aux citoyens de réinvestir des lieux abandonnés en recréant un espace fédérateur. Il en est de même pour la Cité du Livre, installée dans l’ancienne manufacture des « Petites Allumettes », qui donne au nouveau quartier Sextius son identité culturelle. Enfin, l’usine « des Milles » illustre la cohabitation possible entre activités économiques et activités culturelles. Le suivi des opérations à Aix-en-Provence a favorisé la perméabilité entre les quartiers et contribué à unifier le tissu urbain. La volonté d’intégrer la mémoire plurielle de la ville, combinant friches industrielles et témoignages de la déportation avec le noyau aristocratique primitif, a étendu une image, jusqu’alors circonscrite au centre, en direction des faubourgs.
Sur le même principe, la municipalité de La Charité-sur-Loire (Nièvre) entreprend en 2002 une réflexion globale autour du développement et de la mise en valeur de son patrimoine architectural permettant au centre ancien et à l’enceinte prieurale de retrouver leurs fonctions sociales. Le diagnostic conduit à la réhabilitation des entrées de la ville, des portes et des espaces publics du centre historique afin de disséminer cette volonté d’humanisation de la ville. La multiplication des librairies spécialisées, la profusion des manifestations consacrées à la lecture ont guidé la rénovation urbaine. L’aménagement des places et des circulations, les cheminements piétons, ont suivi ce fil conducteur. La municipalité a renoué avec une activité ouverte à tous et conquis une nouvelle dénomination « La Charité-sur-Livre ».
Révéler une identité. En 2003, la commune de Fontenay-le-Comte (Vendée) s’engage, elle aussi, dans la voie de l’urbanisation culturelle à travers la création d’une médiathèque, abritée dans l’ancien hôtel des impôts. L’objectif est de réinsérer le bâtiment dans le tissu social urbain en imposant une façade et une nouvelle fonctionnalité. La façade porche, en pierre et en verre, expose les différentes fonctions publiques d’accueil et d’animation tout en respectant la dynamique urbaine contemporaine.
Pour les collectivités territoriales, l’enjeu est bien de réorganiser l’espace urbain en façonnant une image plus humaine dédiée à leurs citoyens. Il est donc essentiel pour elles de créer, maîtriser et révéler une identité qui leur est propre.
L’urbanisme culturel instaure ce dialogue entre espace public, patrimoine et population. Il se veut un moyen d’intervention sur l’espace prenant l’élément culturel comme centre de la réflexion. Les plans de quartiers, les aménagements urbains et paysagers, la définition de la circulation et le mode de vie des usagers s’élaborent ainsi en concertation avec la spécificité culturelle des lieux, qu’elle soit architecturale ou mémorielle.
