Sur les premiers croquis du duo Paul Chemetov-Borja Huidobro, lauréats du concours lancé en 1982 pour installer le nouveau ministère des Finances dans le XIIe arrondissement de Paris, s'imposait un volume de plus de 350 m de long porté par de gros piliers. Un véritable monument linéaire, baptisé Colbert, qui allait devenir l'épine dorsale d'un vaste ensemble comprenant les immeubles Vauban et Necker. Allaient s'y ajouter deux autres édifices, Sully et Turgot, confiés lors d'un autre concours à Louis Arretche et Roman Karasinski.
Livré en 1989, ce quasi-viaduc posé perpendiculairement au fleuve enjambe d'un côté la rue de Bercy, de l'autre les quais. De là, il s'avance au-dessus de l'eau et y plonge ses piliers, rétablissant d'un geste fort le lien historique entre la ville et son fleuve, rompu par l'autoroute urbaine des quais. « Cette prise de possession de la Seine était dans le programme, mais mettre les pieds dans l'eau était de notre part un coup de force », souligne Paul Chemetov. Le projet a ainsi rempli un rôle éminemment urbain en constituant une étape décisive dans le développement de l'est parisien.
L'incompris. Il revenait aussi aux architectes de marquer la présence de l'Etat, alors même que François Mitterrand affichait un désintérêt manifeste pour cet incompris parmi les grands travaux. Le président de la République trouvait au projet une forte ressemblance avec un « péage » et voyait surtout dans ce chantier l'occasion de libérer l'aile Richelieu du Louvre, jusqu'alors occupée par le ministère, et de la rendre au musée (voir « Le Moniteur » du 2 août, p. 24). Quant à Edouard Balladur, alors ministre de l'Economie et des Finances de la cohabitation, il tenta de refuser d'emménager dans le nouvel édifice en 1988 et fit revenir au Louvre des cartons déjà partis à Bercy.
Palais républicain. Paul Chemetov se souvient d'ailleurs, qu'au départ, « le cahier des charges était celui d'une cité administrative. Mais Borja Huidobro et moi avons décidé de faire un palais républicain qui prend sa place au niveau urbain ». Cet immense ensemble tertiaire présente ainsi bien des points communs avec les grands monuments classiques, à commencer par la pierre de Vilhonneur qui pare façades et murs intérieurs, choisie d'un commun accord avec Mitterrand parmi différents échantillons livrés à l'Elysée. Le hall Bérégovoy de 140 m de long est rythmé par des colonnes et son sol arbore un patchwork de 28 marbres différents comme dans les palais de la Renaissance. Les murs y sont ornés de toiles de maîtres aux titres qui sont parfois des clins d'œil sans ambiguïté, comme « Pactole » de Paul Rebeyrolle ou « Fluctuations » de Pierre Alechinsky.
Un axe monumental, bordé de jardins, dessert l'ensemble des bâtiments depuis la cour d'accueil, pour 6 000 fonctionnaires, jusqu'à la cour d'honneur, carrée comme celle du Louvre, pour ministres et VIP. La passerelle qui conduit au saint des saints -la zone des ministres -évoque la galerie des Glaces. Mais cette intemporalité se combine avec la technologie dernier cri (de l'époque), comme Télédoc, le système de distribution du courrier sur rails qui irrigue tout le ministère comme un petit train électrique. Les fonctionnaires disposent également d'un ordinateur pour quatre et de plus de deux téléphones chacun…
42 km de couloir. L'harmonie de ses proportions, Bercy la doit à la répétition de l'intervalle de la trame de bureau, fixée à 90 cm, pour bénéficier d'une modularité spatiale supérieure à celle habituelle de 135 cm. Impossible d'y échapper, ce pas se répète partout, dans les volumes bâtis, les espaces extérieurs, le second œuvre, le mobilier, les 42 km de couloir… Une trame si prégnante que l'acteur Romain Duris préfère claquer la porte du ministère, devant la perspective d'une existence aussi tramée, dans « L'Auberge espagnole » (2002), de Cédric Klapisch.
La semaine prochaine : Le parc de la Villette.
