« La dette n’est pas le mal absolu ». Par une formule volontairement un peu choc, Olivier Sichel, le directeur général délégué de la Caisse des dépôts s’est exprimé devant les membres de Villes de France réunis en congrès annuel ces 2 et 3 octobre à Sélestat (Bas-Rhin) autour du thème « Remparts face aux crises »(1). Selon l’association des communes et intercommunalités de 10 000 à 100 000 habitants, il reste des marges de manœuvre pour actionner le modèle traditionnel de financement des projets publics par l’emprunt, sans mettre en péril des comptes publics dont l’état de tension n’a échappé à personne. « A condition d’installer l’ingénierie nécessaire dans nos services » en réponse à la « complexité » croissante des dossiers, prévient cependant Thierry Repentin, maire de Chambéry (Savoie) et président de la communauté d’agglomération qui a recruté récemment un cadre dédié à cette ingénierie.
Car les financeurs changent aussi de paradigme, en passant à une logique d’« examen projet par projet » et non plus de « répartition d’une enveloppe globale », rapporte Laurent Gimenez, directeur des marchés institutionnels de la Caisse d’épargne Grand Est Europe qui assure que cette approche modifiée ne signifie pas « des contraintes supplémentaires », ni un durcissement des critères.
Stop au stop and go
Le mètre linéaire de clôture est passé de 4,21 à 16,97 euros et celui du mètre carré de carrelage de 11,58 à 54 euros
— Marie-Claude Jarrot, maire de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire)
La complexité vient aussi et surtout de la hausse des coûts. Maire de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), Marie-Claude Jarrot apporte des exemples très concrets de cette problématique elle aussi bien connue, en comparant les factures des mêmes matériels et matériaux posés en 2016 puis en 2022 sur deux équipements publics assez similaires. D’un projet à l’autre, « le mètre linéaire de clôture est passé de 4,21 à 16,97 euros et celui du mètre carré de carrelage de 11,58 à 54 euros », rapporte-t-elle. L’élue déplore aussi que l’Etat ne se montre pas facilitateur, du fait du « stop and go » de ces politiques, incarnée par le soutien d’abord massif puis estompé aux désimperméabilisations des cours d’école, mentionne l’édile, qui appelle à « cesser le changement permanent des règles du jeu ».
« Les ressources d’endettement sont là, et à des taux abordables. Mais le déclencheur de la décision reste le niveau des subventions, et celles de l’Etat avant tout. Or, celles-ci baissent », avertit également Frédéric Chéreau, maire de Douai (Pas-de-Calais) et administrateur de Villes de France.
Loin des seuils d’alerte
Le bloc communal, en particulier, va bien, sa capacité de désendettement évolue entre 4 et 5 ans, très loin des seuils d’alerte.
— Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des dépôts
Avancer au milieu de ces obstacles, les collectivités le font et elles n’ont donc pas à hésiter à recourir aux prêts. « Le bloc communal, en particulier, va bien, sa capacité de désendettement évolue entre 4 et 5 ans, très loin des seuils d’alerte », poursuit Olivier Sichel.
Egalement directeur de la Banque des territoires, il invite les collectivités, communes et intercommunalités en premier lieu, à se montrer plus audacieuses sur la durée des prêts, constatant leur tendance à la limiter à quelques années. « Une bonne règle consiste à caler au mieux la durée de l’emprunt sur celle de l’actif. Or, quand on parle d’un immeuble, d’un réseau d’eau, ou d’un pont, on raisonne en terme de plusieurs décennies », expose-t-il. « 15 à 20 ans nous paraît un optimum pour la durée d’emprunt », répond Frédéric Chéreau.
La réponse des « clients » est au rendez-vous : pour cette année 2024, Olivier Sichel annonce un cumul de financements de la Caisse des dépôts « supérieure à 20 milliards d’euros, contre 16 en 2023 et 12 en 2022 » auprès des collectivités locales et des bailleurs, « et ce sont les premières où ils croissent le plus vite ».
Une ministre « plutôt rassurante »
Le congrès de Sélestat a été marqué par la participation de Catherine Vautrin. Pas d’annonce particulière de la ministre des Partenariats avec les territoires, mais des propos centrés autour des termes de « relation de confiance » et « dialogue » que les responsables de Ville de France ont jugé « plutôt rassurants », après le « tacle par derrière » de Bruno Le Maire sur la situation financière des collectivités, renforcé par la proposition de la Cour des comptes de supprimer 100 000 emplois dans la fonction publique locale. « Je vais demander à son premier président s’il faut alors supprimer la police municipale, le service de propreté et de tous les autres, à gros effectifs dans une ville comme la mienne », rétorque Frédéric Chéreau le maire de Douai.
(1) Les autres thèmes de débat ont porté sur les déserts médicaux, les transitions écologique et énergétique, les commerces de proximité et la réponse qu’y apporte le programme Action Cœur de Ville ainsi que l’enjeu pour celui-ci de bien prendre en compte les entrées de ville.