Emmanuel Macron était très attendu au Congrès des maires. Comment allait-t-il être accueilli par les élus ? Comment le président de la République, souvent accusé de mépriser ces derniers, réagirait-il face aux critiques d'un nouveau président de l'AMF, David Lisnard, qui retient rarement ses coups ?
L'accueil déjà : respectueux à défaut d'être extrêmement chaleureux. Pas de sifflets, des applaudissements, pas à tout rompre mais peut-être que les téléphones brandis pour prendre l'arrivée du président en photo les empêchaient-ils...
C'est ensuite à une "attaque" en deux temps qu'a dû faire face Emmanuel Macron.
La première, rude, du 1er vice-président de l'AMF, le maire socialiste d'Issoudun, André Laignel, présentant une résolution adoptée à l'unanimité (voir encadré), très critique de l'attitude et des actions de l'Etat. La seconde plus mesurée mais destinée à enfoncer le clou, de David Lisnard.
Propos francs
"Le débat est toujours ouvert et fructueux à l’AMF", avait promis la maire de Paris Anne Hidalgo en introduction de la séance de clôture. "Un esprit incarné pendant 7 ans par François Baroin", avait-elle ajouté en hommage. Les propos en tout cas ont été francs. Notamment donc, ceux d'André Laignel. Morceaux choisis :
"Depuis de trop nombreuses années, les lois concernant les collectivités, dont le projet de loi 3DS est la dernière illustration, s’apparentent plus à un catalogue de petites mesures, parfois bienvenues, mais manquent singulièrement de souffle et ne constituent en aucun cas une politique à la hauteur des enjeux."
"Tantôt pointés du doigt par l’Etat pour leur supposée inaction, tantôt dénoncés pour leur propension à générer de l’étalement urbain, les maires sont sous le feu d’injonctions contradictoires et infondées."
"Ce ne sont certainement pas de grands discours, parfois caricaturaux, qui feront sortir nos banlieues de l’état de relégation dans lequel elles sont plongées."
"La décentralisation n’est pas à l’arrêt, elle recule".
"Dialogue, négociation, confiance : est-ce trop demander ? Et pourtant c’est ce que nous n’avons pas pu avoir ces quatre dernières années. Espérons que la future mandature qui s’ouvrira en 2022 le permettra enfin, car la gravité de la situation le nécessite."
Des propos repris de manière moins abrupte par David Lisnard qui a proposé des "mesures immédiates qui peuvent et doivent être prises pour que nous nous sentions respectés".
Parmi elles on retiendra notamment le report des échéances de l'objectif de Zéro artificialisation nette - "qui ne rend pas toujours zen et qui descend d’un seul bloc dans un calendrier irréaliste dans nos documents d’urbanisme" a dénoncé David Lisnard.
Ou encore la fin de certaines autorisations administratives : "Aucun maire ne peut se voir, lors d'un projet de rénovation empêché par un ABF d’installer des fenêtres en PVC ou des panneaux solaires et se voir dans le même temps imposer des éoliennes".
"Il suffirait que l’Etat renonce à la prétention d’être seul pour que très vite il soit accompagné par les collectivités. Il suffirait que l’Etat renonce à la prétention d’être tout pour qu’il ne soit plus seul", a conclu David Lisnard.
Parade-riposte
C'était alors enfin au président de la République de conclure. Et c'est avec une habileté qui a quelque peu déstabilisé son auditoire qu'il a paré les coups et riposté.
Après un petit exercice d'humilité - "Il se peut qu’il y ait eu des malentendus au début. Il se peut qu’il y ait eu des préjugés. Je l’avoue je n’ai pas été bon. Mais j’ai appris. Et je pense être le président de la République qui a le plus parlé avec les maires." - très vite compensé par une comparaison flatteuse : "Je ne suis pas le seul président à ne pas avoir été maire. J'ai compris qu'on honorait beaucoup le général de Gaulle ces derniers temps, il se peut qu'il ait eu le même défaut" - le président de la République a entrepris une relecture acrobatique de la somme de critiques énoncées par André Laignel pour en faire un bilan positif de son action.
"Si on voulait faire le bilan, il suffirait au fond d’écouter André Laignel. Vous avez parfaitement montré que j’ai fait ce que j’avais dit", a commencé le président de la République. "Il n’y a pas eu de grande réforme institutionnelle comme je m’y étais engagé. La dotation globale de fonctionnement a été sanctuarisée. J’ai été pragmatique. En partant du terrain : notamment avec les plans Action cœur de ville et Petites villes de demain. Nous avons avancé vers la différenciation en essayant de mettre le maire davantage au cœur de la décision."
L'autonomie fiscale et financière réclamée par l'AMF ? "La taxe d’habitation était devenue un impôt mauvais que la majorité des gens ne payaient plus et que l’Etat compensait… Il faut sanctuariser une stabilité des dotations. L’autonomie fiscale c’est l’autonomie jusqu’au bout. Nous avons besoin de pluri-annualité, de visibilité et de clarté des règles."
La décentralisation ? "Nous avons trop souvent confondu décentralisation et délégation de compétence. Ce n’est pas la même chose. Je crois à, à court terme, à une déconcentration. Ce mouvement a commencé. Ce n’est pas une guerre de tranchée pour savoir si la responsabilité doit être d’un côté ou de l’autre. C’est remettre de l’action publique au plus proche des citoyens. Je crois à cette action publique territorialisée par la déconcentration et par la contractualisation."
Quant à la simplification : "C’est ce qu’il y a de plus compliqué à faire vu le nombre de conservatismes qu’il y a derrière chaque norme… Nous avons commencé. Mais on peut faire mieux et il faut une petite révolution culturelle qui ne se fera pas en un jour."
Sur le ZAN enfin, le président de la République a laissé entrevoir une adaptation du calendrier : " Il y a cet objectif de zéro artificialisation nette. Je veux être clair : cet objectif n’est pas d’arrêter toute construction ou de stopper les projets. C’est plutôt de ralentir le rythme qui nous conduisait à supprimer l’équivalent d’un département de terres agricoles et d’espaces naturels tous les dix ans. Il faut l’adapter aux réalités des territoires et, là-dessus je vous ai entendus, laisser le temps pour que ce soit bien fait".
"Nos compatriotes attendent de nous que nous soyons à la hauteur de notre fonction", a conclu Emmanuel Macron sous les applaudissement.
L'AMF demande une loi sur les libertés locales
Présenté par André Laignel, le texte que l'AMF "appelle de ses voeux" s'appuierait sur trois grands principes :
- Organisation décentralisée de la République : "la place de la Commune doit être protégée au sein de notre loi fondamentale en inscrivant la clause de compétence générale dans la Constitution", demande l'AMF. "La grande loi de décentralisation que nous appelons de nos voeux doit remettre le Maire au coeur des grandes décisions d’aménagement de son territoire, qu’il s’agisse du logement ou, par exemple, d’implantation d’éoliennes. La compétence en matière de PLU doit être réaffirmée comme une compétence communale par définition et intercommunale par exception. Le Maire seul a la légitimité démocratique pour engager l’avenir et la transformation de son territoire."
- Garantir l’autonomie financière et fiscale
Pour l'AMF, "le principe d'autonomie financière énoncé par la Constitution n’est plus qu’un principe bafoué". L'AMF propose une fiscalité dédiée à chaque strate de collectivité. Elle demande également que les dotations de l'Etat soient "sanctuarisées, indexées, mais également libres de toute affectation". L'AMF souhaite enfin "une loi de finances annuelle spécifique retraçant l'ensemble des relations financières et fiscales avec l'État".
- Donner du corps au principe de subsidiarité
"Il nous faut ouvrir le chantier de nouveaux transferts de compétences aux communes pour que la proximité du service public devienne une règle d’or", a affirmé André Laignel.