Aménagement : l'art, accélérateur d'âme urbaine

La création contemporaine est l'invitée de grands projets d'infrastructures ou immobiliers. En ramenant du sensible dans la ville, elle aide le public à s'approprier de nouveaux lieux.

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En septembre, 12 nouveaux projets destinés à être installés sur les lignes du métro du Grand Paris Express ont été dévoilés, dont l’œuvre en azulejos que l’artiste portugaise Joana Vasconcelos a imaginée pour la gare Triangle de Gonesse, de l’architecte Jacques Pajot (Atelier Novembre)…

Les grands projets urbains sont-ils en passe d'inventer une nouvelle muséographie ? Aujourd'hui, l'émergence d'un quartier ou la construction d'une infrastructure s'appuie de plus en plus souvent sur la constitution d'une collection d'œuvres dans l'espace public. Usagers d'une nouvelle ligne de métro, habitants de secteurs fraîchement livrés ou simples passants naviguent alors de créations en créations, signées par des artistes tels que Daniel Buren, Susanna Fritscher ou Michelangelo Pistoletto…

Le recours à l'art comme source d'urbanité était déjà installé dans le paysage, notamment depuis que le directeur artistique Jean Blaise a tracé, pour la première fois en 2012, la ligne verte du « Voyage à Nantes » indiquant le chemin vers les œuvres installées dans toute la métropole de la Loire-Atlantique. Le même a fait émerger les créations d'« Un été au Havre », à partir de 2017. « Ces propositions fondatrices pensaient avant tout l'œuvre d'art en termes d'événement qui concourt au rayonnement de la ville, souligne Simon André-Deconchat, délégué adjoint aux arts visuels au ministère de la Culture. Les collections pérennes qui en ont résulté ont participé à la requalification de certains quartiers. »

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Le volet création est inscrit dans le déroulé opérationnel de programmes structurants

Dimension fédératrice. Avec des commandes artistiques liées à des opérations d'aménagement nouvelles, la logique a évolué. Les acteurs - maîtres d'ouvrage publics ou privés, collectivités territoriales ou aménageurs - comptent sur la dimension fédératrice de l'art pour accompagner les transformations urbaines. Le volet création est inscrit dans le déroulé opérationnel de programmes structurants tels que la réalisation d'une ligne de métro ou l'édification d'un pan de ville neuf. Dans l'espoir que ce supplément d'âme intégré facilitera l'appropriation du nouvel élément par la population.

Parmi les projets générateurs d'art, le Grand Paris Express (GPE) fait figure d'exemple avec un volet culturel remarquable tant par la qualité des propositions que par son ampleur et la hauteur de l'investissement financier. Le maître d'ouvrage, la Société du Grand Paris (SGP), consacre un millième de son budget à la commande artistique, soit environ 35 millions d'euros sur un budget global de 36,2 milliards, auxquels s'ajouteront des fonds privés de mécènes. Cela servira la création de 70 œuvres pour les 68 gares de ses futures lignes et, in fine, la constitution de la plus grande collection d'art in situ en France. « Un précipité de la création contemporaine », assure son directeur artistique, José-Manuel Gonçalvès. « La Société du Grand Paris n'envisageait pas ce projet sans dimension culturelle, confirme Pierre-Emmanuel Becherand, son responsable de l'architecture, du design et de la culture. La volonté d'associer une valeur symbolique forte à la dimension fonctionnelle des gares a animé les premières réflexions, dès 2014-2015. » Pour ce faire, la SGP s'est appuyée sur le principe du tandem artiste et architecte. Le 11 septembre dernier, elle a d'ailleurs dévoilé une liste de 12 nouveaux duos, tels que l'association de Prune Nourry avec le maître d'œuvre japonais Kengo Kuma pour la gare Saint-Denis Pleyel ou celle de la créatrice portugaise Joana Vasconcelos avec Jacques Pajot de l'Atelier Novembre, pour celle du Triangle de Gonesse. La plasticienne d'origine canadienne Julie C. Fortier travaillait, elle, déjà avec l'architecte de la future gare Antonypole, Eric Puzenat d'Ateliers 2/3/4/. « Nous partagions un désir commun de récit et une vision itérative de la conception », explique l'artiste qui a imaginé un nuage olfactif qui accompagnera les usagers et un calepinage évanescent pour les façades extérieures du bâtiment, en briques. « Ce travail de modénature renforce l'effet d'apesanteur recherché pour ce bâtiment “suspendu” au sol par deux points d'accroche », complète l'architecte.

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Contact quotidien. Autre projet majeur pour l'Ile-de-France, le village des athlètes des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, a aussi son projet culturel. Développé par la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo) et porté par le directeur artistique Gaël Charbau, le programme « Courants fertiles » prévoit la création d'un parcours autour d'une quinzaine d'œuvres pérennes. Partie intégrante de l'héritage olympique, il permettra à des milliers de personnes d'être au contact quotidien de ce fonds d'art public.

Une même volonté de démocratisation de la culture a motivé la régie toulousaine (Haute-Garonne) des transports Tisséo qui consacre, de son côté, quatre millions d'euros à une commande d'œuvres pour la troisième ligne de métro. De même à Rennes (Ille-et-Vilaine), la seconde ligne de métro a été livrée en 2022 avec sept installations, réalisées pour un montant de deux millions d'euros. « La fonction de repère de l'œuvre reste primordiale lorsqu'un nouveau morceau de ville advient », confirme Tristan Lahais, élu culture et jeunesse de Rennes Métropole. Première des créations à être dévoilée sur ce parcours de la ligne B, sur le parvis de la gare SNCF, Morvarc'h, le cheval don quichottesque de l'artiste Jean-Marie Appriou, n'a peut-être pas été apprivoisé immédiatement par les Rennais. Mais, la statue est depuis devenue un signal dans le paysage du pôle multimodal.

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L'art s'insinue aussi à l'échelle du bâtiment, notamment depuis qu'a été lancé en 2015 le programme « 1 immeuble, 1 œuvre », imaginé par le groupe Emerige et porté par le ministère de la Culture. Pas moins de 700 œuvres signées Hugo Servanin, Claudine Drai, Jordi Jorda ou encore Fabrice Hyber ont été produites pour prendre place sur les façades, dans les jardins, dans les halls ou même dans les parkings d'immeubles construits sur tout le territoire, non seulement par Emerige, mais aussi par tous les signataires de la charte du dispositif, promoteurs ou bailleurs sociaux tels que Vinci Immobilier, Bouygues Immobilier, Covivio, Bati Armor, Seqens… « Mobiliser le dispositif est perçu comme un atout par les collectivités dans les réponses des promoteurs, relève la chercheuse Clara Ruestchmann. Notamment dans le contexte des ZAC où la production artistique est souvent perçue comme un surcoût. »

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Ingénierie culturelle. Cette commande associée aux grandes opérations d'aménagement existe aussi parce que s'est constitué au fil des quinze dernières années un réseau de structures d'ingénierie culturelles et artistiques spécialisées. Par exemple, José-Manuel Gonçalvès, qui assure la direction artistique du GPE, est le directeur de l'établissement culturel du Centquatre-Paris et il s'est entouré d'un comité d'experts issus du monde de l'art. Le programme fait aussi intervenir l'agence Eva Albarran & Co et Manifesto, des sociétés expertes dans l'accompagnement de production de tels projets. Il revient à ces organismes de régler de complexes questions juridiques, techniques, administratives que soulève la présence d'une installation dans l'espace public. Tandis que l'artiste se consacre pleinement à son œuvre.

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