Le projet de loi relatif aux collectivités territoriales émet un certain nombre de propositions qui impactent directement les régions. Où en est la proposition sur le regroupement volontaire des régions et la modification de leurs limites territoriales ?
Je crois que ce point est complètement écarté dans la mesure où il n'a pas de sens : les régions européennes sont aussi différentes en taille les unes que les autres. Nos trois voisines espagnoles, la Navarre, le pays Basque espagnol et l'Aragon ont toutes des budgets nettement supérieurs au nôtre et toutes des populations inférieures. Le problème n'est donc pas la taille des régions, mais quelles compétences elles exercent et pour quel budget. Regrouper deux régions avec des petits budgets ne changera rien aux moyens d'intervention des régions. L'intérêt de la décentralisation tient dans la proximité et l'adaptation des moyens dont nous pouvons disposer aux besoins de l'innovation, de la solidarité, de l'aménagement du territoire.
Qu'en est-il de la disparition de la clause générale de compétence pour les départements et les régions ?
Je ne pense pas que la clause générale de compétences soit supprimée. Parce qu'aujourd'hui, le problème n'est pas entre régions et départements, mais entre Etat d'une part, régions et départements d'autre part. L'Etat s'étant désargenté, mis en surendettement, par une fiscalité qui a supprimé beaucoup de ses moyens, ne peut plus intervenir. Il a besoin des collectivités locales. Je pense que cette suppression est un leurre dans le projet. La vraie bataille parlementaire portera sur la création du conseiller territorial, et sur la réforme de la fiscalité locale.
La réforme entend qu'il existe beaucoup de recoupement de compétences entre conseils généraux et conseils régionaux ?
Une étude a été faite par l'Assemblée des départements de France et l'Assemblée des régions de France qui montre que 80% des budgets des départements et des régions portent sur des politiques totalement différentes. Il y a un recoupement, effectivement, sur les actions culturelles, les équipements territoriaux, sur le tourisme. Pour prendre un exemple, la part du budget du conseil régional de Rhône-Alpes qui porte sur des actions des conseils généraux est de 5%. En revanche, la part de recoupement avec l'Etat est de 20%. Le millefeuille des compétences existe, mais il n'est pas horizontal, il est vertical. Vingt ans après, l'Etat n'a jamais accepté d'abandonner les compétences qu'il a transférées aux collectivités locales.
Parmi ces compétences, y en-a-il dont les responsabilités devraient être clarifiées ?
Dans beaucoup de domaines, en fait. Aujourd'hui, dans les deux principales politiques qui préoccupent les Français, le logement et l'emploi, il n'y a pas de pilote. En matière de logement, par exemple, c'est le maire qui signe le permis de construire, puis ce sont l'intercommunalité, la région et le département qui accompagnent, garantissent, subventionnent. Enfin, l'Etat met en place le prêt locatif aidé, ou bien autorise des établissements publics fonciers pour aider à la construction de logements sociaux. Il n'y a pas de pilote unique. Il serait intéressant de confier aux intercommunalités la responsabilité du logement, singulièrement du logement social, de manière à ce qu'on puisse mieux assurer la mixité sociale, mieux dynamiser le rattrapage du logement social en France, répondre plus vite aux normes environnementales. Cela permettrait aussi d'éviter les dérives de la défiscalisation, ruineuse pour la société et qui entraîne un surcoût qui désolvabilise les jeunes ménages, par la spéculation foncière qu'elle entraîne. En matière d'emploi, la région pourrait s'imposer comme chef de file : elle connait le monde de la formation initiale, les entreprises, et pilote l'apprentissage. D'ailleurs, la Ministre de l'Economie lors du débat LME avait indiqué qu'une expérimentation confiant aux régions le pilotage de la politique de l'emploi était possible. Mais le projet de loi n'apporte pas de réponse à ces questions.
A partir de 2014, les conseillers territoriaux seraient élus un scrutin de liste uninominal à un tour. Quelle est la position de l'ARF sur ce sujet ?
C'est un retour de 30 ans en arrière, où le conseiller régional n'avait pas d'existence politique. On va avoir une élection cantonale, fût-ce de grand canton, et c'est ce territoire, sa légitimité et ses problèmes qui va être transporté au niveau de la région. Le choix sera simple : la salle polyvalente -dont on pourra couper le ruban, contre l'innovation et les politiques de formation. C'est une régression jamais vue dans l'histoire institutionnelle française. Quel débat démocratique pourrait-on avoir sur le bilan de la région, en même temps qu'un débat sur le bilan d'un département qui pourra être de sensibilité politique différente ? Ce ne sera plus un vote sur des bilans et des projets, mais sur des étiquettes politiques. Cela condamne la région à être, comme dans les années 80, un super département. Les présidents de conseil généraux viendront dans les régions pour faire leur marché...
Que pensez-vous de la création des métropoles ?
Je pense qu'il faut développer l'intercommunalité dans notre pays, mais j'observe qu'il n'y a pas de progrès dans le mode d'élection de ces métropoles. Le simple fléchage des conseillers communautaires n'est pas suffisant. Si l'on veut renforcer les métropoles, il faut renforcer aussi le débat démocratique, qu'il y ait une part des élus communautaires qui soient élus au suffrage universel. La vraie réflexion est le rapprochement entre l'intercommunalité et le département. J'ai peur que toutes les politiques régionales, nécessaires à la France, d'innovation, de formation, de recherche, d'université, celles qui ne s'inaugurent pas, qui ne sont pas des politiques à ruban à couper, soient passées à l'as au profit du terrain de boule, de la salle des fêtes, du rond-point et d'un plan piscine.
Quelle est votre réaction sur le projet de remplacement de la taxe professionnelle par un mode de taxation fondé sur la valeur ajoutée des entreprises ?
Comme président de région, je suis hostile à la taxe professionnelle. J'observe que la contribution à la valeur ajoutée n'ira peut-être pas suffisamment loin, c'est un moyen pour baisser la contribution des entreprises à la charge publique. Or les entreprises ont besoin de formation, de services, d'accessibilité, d'éducation, de recherche. La fiscalité va se transférer lourdement sur les ménages, donc sur les classes moyennes, qui vont payer toujours plus en fiscalité directe, indirecte et en taxe carbone. Je suis favorable à une fiscalité d'entreprise qui ménage l'activité industrielle, parce qu'elle est essentielle à la production de richesse et à la compétition internationale.
Lors de votre intervention au congrès de l'Assemblée des départements de France hier à Clermont Ferrand vous évoquiez un retour du jacobinisme dans l'appareil de l'Etat.
On assiste selon moi à une offensive sans précédent contre la décentralisation. D'un côté, on bloque les recettes des collectivités locales, que l'on transforme en dotations dont nous n'avons pas la maîtrise. Et de l'autre, on nous transfert des charges, sans les garantir comme dans d'autres pays européens, par des fractions de l'impôt sur le revenus ou les sociétés. Un résultat direct de l'hypertrophie technocratique de retour dans l'appareil de l'Etat, qui a sans doute très mal vécu la décentralisation.