Quel est l’intérêt pour une métropole comme Rouen de disposer d’un comité scientifique local ?
Disposer d’un comité scientifique local veut dire disposer de données locales. Le Giec de Rouen métropole est précurseur, il a été créé en 2018, soit un an avant le Giec Normand. Et il est à ma connaissance le seul comité scientifique à exister à cette échelle en France. Quand la métropole est venue me voir pour présider ce Giec j’ai dit oui immédiatement car il est très intéressant de travailler à l’échelon d’une agglomération qui possède de nombreuses compétences pour agir. Par ailleurs pour pouvoir s’adapter efficacement au effets du changement climatique, il faut bien connaître son territoire. Par exemple la métropole Rouennaise est composée pour 1/3 de ville, 1/3 de forêt et 1/3 de zones agricoles. Rendre visible concrètement l’impact du changement climatique dans les prochaines années sur ce territoire permet d’aider élus, architectes, urbanistes, techniciens et citoyens à mettre en place des projets prenant en compte ces enjeux. Travailler à ce niveau permet aussi de mettre en évidence les données qui manquent encore pour pouvoir mener d’éventuelles études complémentaires.
Quel est l’objectif d’un événement comme Rouen capitale du monde d’après ?
Il s’agit justement de mieux faire connaître aux décideurs mais aussi au grand public les données qui existent et le niveau d’urgence. C’est dès aujourd’hui qu’il faut agir, il n’est pas possible d’attendre 10 ans ! Par exemple pour protéger les entreprises Seveso du risque d’inondations, qui va s’accroitre sur la métropole à cause de l’augmentation de la fréquence des pluies intenses mais aussi de l’élévation du niveau de la mer qui freinera l’écoulement de la Seine, il va falloir faire rapidement des choix lourds de conséquences : protéger par des digues, abandonner des territoires à l’eau, délocaliser certaines entreprises, …. Ces réflexions doivent se faire avec tous les acteurs. Grâce aux données du Giec Local nous rentrons pleinement dans cette phase de réflexion concrète.
Quelles solutions peuvent être développées ?
En tant que scientifique nous ne sommes pas là pour donner des solutions mais pour aider les décideurs. A Rouen, dans le cadre de l’élaboration du plan d’adaptation à 30 ans nous participons ainsi à la réflexion sur les mesures à mettre en place et leur hiérarchisation dans le temps. La métropole a déjà lancé beaucoup d’actions comme la débitumisation et la végétalisation. Ces solutions sont très intéressantes car elles jouent sur plusieurs tableaux. Elles permettent de capter du carbone, de favoriser l'infiltration, donc de lutter contre les inondations et de ramener des îlots de fraicheur. La Métropole de Rouen est en effet très sujette aux îlots de chaleur. Nous avons constaté des écarts de température allant jusqu’à 8 °C entre le cœur de ville et la périphérie. Il s’agit aussi de mieux préparer populations aux vagues de chaleur.
Comment préparer les populations ?
Il s’agit d’expliquer les bons réflexes à une population qui n’a pas l’habitude des grandes chaleurs. Ainsi, lors de la canicule de 2003 le taux de mortalité a été ici supérieur de 35 % à celui de Toulouse ou Strasbourg qui ont cette culture de la chaleur. Il s’agit aussi de planifier les projets d’urbanisme en tenant compte de ces nouveaux paramètres. Les plans d’aménagement réalisés il y a 5 ou 10 ans doivent être repensés à l’aune de ces nouvelles contraintes. Nous faisons des projections pour 2100, on nous dit que c’est loin mais non. Nos petits enfants seront touchés et de nombreux projets en cours seront encore là en 2100 !
Qu’est ce qui permettrait de faciliter cette prise en compte des effets du changement climatique dans tous les projets des collectivités ?
Il s’agit déjà de pouvoir disposer de données assez fines à l’échelle des territoires en disposant d’outils de type Giec, observatoire du climat... Ensuite les collectivités ont besoin de « moutons à cinq pattes » disposant de compétences scientifiques en climat, sols, agriculture, santé … et capables de communiquer les données aux autres acteurs et d’identifier les éventuelles études complémentaires à réaliser. Nous avons besoin de former ces nouveaux spécialistes rapidement. A la vue des émissions de gaz à effet de serre actuelles qui ne diminuent pas, le réchauffement climatique semble avoir peu de chances d’être contenu sous les 2°C à l’horizon 2100, comme visé par l’accord de Paris.
(*) Vice-Président de l’Université de Rouen Normandie, Développement Durable & Responsabilité Sociétale, Professeur des Universités en Géosciences et Environnement et membre du GIEC (Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat) et vice-président du GIEC Normand.
Un Giec Local
À l’instar du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) chargé de fournir des évaluations détaillées de l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique, la Métropole Rouen Normandie se fait accompagner depuis 2018 d’un groupe d’experts intitulé « GIEC local ». Sous la présidence de Benoît Laignel, il est composé de 15 experts dont l’ambition est de fournir une expertise approfondie au niveau local du changement climatique et de ces conséquences, afin d’aller vers des solutions d'atténuation et d’adaptation appropriée au territoire. Une convention a été signée récemment entre ce groupe d’expert et la Métropole Rouen Normandie.
Six synthèses disponibles
Le Giec Local a déjà publié en 2020 six synthèses dressant l’état des lieux des impacts et des conséquences au niveau du territoire : évolution du climat, ressource en eau et inondations, représentations et attitudes des populations, forêts, qualité de l’air et santé publique. Elles sont disponibles sur http://www.notrecop21.fr/les-3-premieres-publications-du-giec-local-sont-parues
Cinq autres synthèses sont en construction pour cette année : biodiversité, urbanisme, architecture, agriculture, mobilité et deux autres sont déjà programmées pour 2022 en économie et énergie.
La Métropole Rouen Normandie a fixé dans son plan climat air énergie territorial l’ambition d’accompagner le territoire vers un modèle « 100 % Énergies Renouvelables » et de réduire de 80 % les émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2050.