Le ministre de l’Intérieur avait rappelé en début d’année que : « Le juge administratif contrôle la régularité des contrats de la commande publique en se fondant sur l'éventuelle existence d'un conflit d'intérêts (CE, 9 mai 2012, « Commune de Saint-Maur-des-Fossés », n° 355756) en examinant le rôle d'un intervenant dans la procédure d'attribution » (réponse ministérielle du 31 mars 2015, n° 61950). Le Conseil d’Etat s’est livré à une telle analyse dans un arrêt du 14 octobre 2015.
En l’espèce, une région avait lancé une procédure d’appel d’offres ouvert pour la passation d’un marché à bon de commande afin de mettre en place une carte dématérialisée. Une société évincée de la consultation avait obtenu l’annulation de la procédure en référé précontractuel du fait d’un doute sur l’impartialité de la procédure suivie. La région et l’entreprise attributaire portent l’affaire devant le Conseil d’Etat.
Le juge des référés avait annulé la procédure sur le fondement du conflit d’intérêts au sens de l’article 24 de la directive européenne du 26 février 2014 relative à la passation des marchés publics1. Mais pour la haute juridiction, ce fondement juridique est erroné car, à la date du lancement de la procédure, la directive n’avait pas encore été transposée en droit français. Elle annule donc l’ordonnance de référé et statue sur l’affaire. Pour autant, elle rejoint la position du tribunal administratif, mais en se fondant sur le principe général d’impartialité qui s’impose aux acheteurs publics comme à toute autorité administrative. Sa méconnaissance constitue un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.
Doute du fait de la récente collaboration à un haut poste
L’assistant à maîtrise d’ouvrage (AMO) avait aidé la région à rédiger des pièces du marché et à analyser les offres. Or, il avait exercé pendant plus de douze ans des responsabilités importantes, d’abord en tant que directeur qualité puis directeur des opérations et des projets, au sein de l’entreprise candidate désignée attributaire du marché. Il avait quitté ses fonctions moins de deux ans avant le lancement de la consultation. Le Conseil d’Etat estime que : « S'il ne résulte pas de l'instruction que l'intéressé détiendrait encore des intérêts au sein de l'entreprise, le caractère encore très récent de leur collaboration, à un haut niveau de responsabilité, pouvait légitimement faire naître un doute sur la persistance de tels intérêts et par voie de conséquence sur l'impartialité de la procédure suivie par la région ».
Prendre toute mesure pour lever le doute
Le Conseil d’Etat précise le rôle du pouvoir adjudicateur dans cette situation. « Il était au demeurant loisible à la région, qui avait connaissance [pour son AMO] de la qualité d'ancien salarié [dans l’entreprise candidate] […], de mettre en oeuvre, une fois connue la candidature de cette société, toute mesure en vue de lever ce doute légitime, par exemple en l'écartant de la procédure d'analyse des offres ». Chose que le pouvoir adjudicateur n’a pas faite. Il a ainsi méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Le Conseil d’Etat annule la procédure de passation.
A noter que l’ordonnance du 23 juillet 2015 transposant les directives européennes « marchés publics » (art. 48-5) a repris la définition du conflit d’intérêts au sens communautaire1.