4. Le contrat global, technique souple de délégation de l’aménagement

Urbanisme et environnement -

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Objectifs du contrat global

L’exposé des motifs du projet de loi relatif au Grand Paris présente enfin ce qui deviendra l’article 22 de la loi comme un «mécanisme souple » permettant aux communes et EPCI signataires du contrat de développement territorial de « confier à un tiers l’élaboration d’un projet d’aménagement dans toutes ses étapes, de la conception de l’opération à l’adaptation des documents d’urbanisme puis à la maîtrise d’ouvrage ». Ce dispositif, censé faire « usage des dispositions en vigueur concernant les contrats de partenariat », viserait à « encourager l’émergence d’idées nouvelles et de visions globales (scénarios) pour les territoires ». Autant le CDT peut s’analyser comme une forme de partenariat public-public, autant le contrat global s’attache à promouvoir le partenariat public-privé.

Initiative et parties au contrat global

Le recours à cet outil n’est ouvert qu’aux signataires d’un CDT, à l’exclusion d’ailleurs de l’État. Par ailleurs le contrat global ne peut intervenir que « pour la mise en œuvre des actions et opérations nécessaires » à un CDT, formule ambiguë qui peut donner lieu à une interprétation extensive ne limitant pas son utilisation aux seuls projets listés par le CDT. Dans la mesure où l’objet est de confier, par un contrat conclu « avec une personne morale de droit public ou privé » la conception et la réalisation d’un « projet d’aménagement » ou de « l’opération d’aménagement », les deux expressions étant utilisées par le législateur, on songe immédiatement à comparer cet outil contractuel avec les concessions d’aménagement prévues par l’article L300-4 du code de l’urbanisme.

Portée du contrat global

Cet outil a tout d’abord une portée plus large que les concessions d’aménagement. En effet pour ces dernières, les études préalables doivent intervenir en amont de la signature de la concession d’aménagement dans la mesure où elles ont pour objet d’éclairer le choix de la personne publique qui a pris l’initiative de l’opération et de l’autorité compétente pour l’autoriser sur son opportunité (Sylvain Pérignon, « Les études préalables à la concession d’aménagement », revue Construction-Urbanisme, décembre 2001, p. 5). Sur ce premier point, le contrat global de mise en œuvre déroge au droit commun de l’aménagement puisqu’il permet de confier en même temps la conception et la réalisation d’un projet d’aménagement. Il se rapproche ainsi des marchés de travaux de conception-réalisation prévus par l’article 37 du code des marchés publics.

Financement du contrat global

Tout comme la concession d’aménagement, le contrat global confie au cocontractant « la maîtrise d’ouvrage des travaux d’équipement ». Le recours à ce type de contrat suppose en effet la présence d’une « opération d’aménagement » impliquant la réalisation d’équipements publics. Cette obligation découle du fait que les spécifications techniques préalables à la passation du contrat doivent comporter « la liste des équipements publics à réaliser » et que le dernier alinéa de l’article 22 évoque la mise à la charge du cocontractant du « coût des équipements publics ».

S’agissant des modalités de participation de la collectivité signataire à l’opération, soit par le biais d’apport financier ou d’apport de terrains, ou d’autres collectivités publiques, la loi ne prévoit aucune condition contrairement à l’article L300-5 du code de l’urbanisme qui impose au traité de concession d’aménagement, « à peine de nullité », d’indiquer les formes et le montant de cette participation ainsi que les modalités de contrôle exercé par le concédant. Outre les garanties de transparence qu’apportent ces dispositions, elles permettent d’apprécier l’existence réelle d’un risque financier assumé par le concédant et donc le fait qu’un contrat en question ne masque pas en réalité un marché public de travaux.

Dans la mesure où le texte évoque « les futurs habitants ou usagers des constructions à édifier dans le périmètre fixé par la convention », se pose la question de la participation de ces derniers au financement des équipements publics. En effet contrairement à la zone d’aménagement concerté (ZAC), aucune disposition ne prévoit la possibilité d’échapper à l’ancienne taxe locale d’équipement (TLE) et, depuis le 1er mars 2012, à la nouvelle taxe d’aménagement (TA). Ce qui signifierait que cette dernière pourrait également s’appliquer dans ces périmètres mais conduirait les constructeurs à supporter deux fois le financement des équipements publics ? Il paraît ainsi plus « sain » de prévoir la conclusion, sur le périmètre de l’opération, d’une convention de projet urbain partenarial (PUP).

Enfin il faut rappeler que l’article 21 de la loi impose que la moitié des excédents dégagés par les opérations d’aménagement prévues par les CDT soit versée à parts égales au syndicat des transports d’Ile-de-France (Stif) et à la SGP pour financer le réseau de transport public du Grand Paris. Il nous semble là également de bonne prudence que le contrat global de mise en œuvre prenne la précaution de rappeler cette obligation législative…

Une mise en compatibilité

Le troisième objet du contrat global est de permettre au cocontractant d’élaborer une « proposition de révision ou de modification du document d’urbanisme ». On imagine en effet que l’évolution du document d’urbanisme s’avère nécessaire pour mener à bien la réalisation du projet d’aménagement. Une telle perspective signifie qu’en amont, lors de l’élaboration du CDT, cette évolution n’a pas été envisagée puisque le mécanisme de la déclaration de projet permet théoriquement la mise en compatibilité du document. D’autant plus que l’ordonnance du 5 janvier 2012 portant clarification et simplification des procédures d’élaboration, de modification et de révision des documents d’urbanisme étend l’hypothèse de mise en compatibilité par le biais de la déclaration de projet pour la réalisation d’un projet « privé » de travaux, de construction ou d’opération d’aménagement. Par ailleurs l’association de « l’aménageur » aux évolutions du document d’urbanisme n’est pas en soi une innovation juridique. Le dernier alinéa de l’article L300-4 du code de l’urbanisme prévoyait en effet, dans sa rédaction antérieure à la loi de 2005, que « la convention publique d’aménagement peut prévoir les conditions dans lesquelles l’organisme cocontractant est associé aux études concernant l’opération, et notamment à la révision ou à la modification du plan local d’urbanisme ». Certes cette possibilité n’était réservée qu’aux personnes publiques et aux SEM, mais la technique d’association n’est pas radicalement différente sur ce point. Elle soulève néanmoins, comme on le verra, la question de la contractualisation de l’évolution des règles d’urbanisme.

Préemption et expropriation

Comme le notent Michèle Raunet et Malicia Donniou, on peut s’interroger sur les fonctions qui peuvent être confiées au cocontractant dans la mesure où le texte est muet sur les autres missions d’aménagement habituellement dévolues à un aménageur : à la différence de la concession d’aménagement, pourra-t-il acquérir les biens nécessaires à la réalisation de l’opération par voie d’expropriation ou de préemption ? (« Grand Paris : une nouvelle vision de la gouvernance de l’aménagement en Ile-de-France », BJDU, 06/2011 p. 426). La qualité d’expropriant nécessite une habilitation législative, ce qui est d’ailleurs le cas pour les contrats de partenariat (article L1414-1 du code général des collectivités territoriales). En matière de préemption, l’article L213-3 du code de l’urbanisme prévoit une faculté de délégation uniquement à des personnes publiques ou « au concessionnaire d’une opération d’aménagement ». La personne morale de droit privé signataire d’un contrat global ne pourra donc bénéficier d’une telle délégation. Et il va de soi que la commune ou l’EPCI ne pourra confier la réalisation d’une opération d’aménagement de type ZAC en utilisant ce contrat ; seule la concession d’aménagement de l’article L300-4 du code de l’urbanisme est habilitée à la faire. De même le rapprochement qui est opéré par l’exposé des motifs avec le contrat de partenariat est insatisfaisant, car s’il s’agit bien de confier éventuellement la conception des équipements, le contrat global de mise en œuvre n’a pas vocation, contrairement au contrat de partenariat, à confier l’exploitation ou la gestion des équipements.

Passation du contrat global

Une des caractéristiques majeures de l’article 22 de la loi du 3 juin 2010 est de se montrer extrêmement laconique sur les modalités de passation du contrat global. La loi impose simplement à la commune ou l’EPCI de formuler des « spécifications techniques » pour la définition des besoins qui « comportent au moins le programme global de construction de l’opération d’aménagement avec une répartition indicative entre les programmes de logements, d’activité économique et la liste des équipements publics à réaliser ». Plusieurs remarques s’imposent s’agissant de ce programme global de construction.

D’une part il nous semble qu’il doit obligatoirement comporter une part de logements. Le recours au contrat global pour un programme de construction uniquement dédié à l’activité économique nous semble illégal. Cette position est renforcée par le fait que la loi impose de « tenir compte » des programmes locaux de l’habitat existants dans les programmes de construction et interdit aux communes déficitaires au regard du quota de logements sociaux imposé par l’article 55 de la loi SRU d’y recourir sans intégrer dans ce programme « une augmentation du pourcentage de logements locatifs sociaux » – condition éminemment floue. On peut enfin noter que, dans le cadre de la concession d’aménagement, des doutes existent sur la capacité à confier à l’aménageur la réalisation d’un programme de construction. Le contrat global permettrait donc de dépasser cette limite.

Notons que le texte n’impose aucune formalité de publicité ou de mise en concurrence préalable à la passation de ce contrat. Il conviendra donc, comme le soulignent Michèle Raunet et Malicia Donniou, d’analyser « au cas par cas si le contrat relève du marché ou de la concession de travaux ou de service pour en définir les règles de passation » (article précité). Cette incertitude nous paraît grandement fragiliser le recours à ce type de contrat compte tenu de l’insécurité juridique dans laquelle elle installe les parties. D’autant plus qu’à la différence des concessions d’aménagement (article L300-5-1 du code de l’urbanisme), le titulaire du contrat global n’est soumis à aucune formalité pour les contrats qu’il sera amené à passer pour l’exécution de ses missions.

Résiliation du contrat global

Une autre difficulté concerne les modalités de résiliation du contrat. Dans l’esprit des promoteurs du contrat global, celui-ci devait offrir au cocontractant une certaine sécurité et garantie que son offre (son « package ») serait retenue par l’administration sous réserve d’une indemnisation en cas de refus. C’est pourquoi le projet de loi relatif au Grand Paris prévoyait : « Le contrat précise les conditions de l’indemnisation du cocontractant au cas où sa proposition ne serait pas retenue à l’issue de la procédure de révision simplifiée et de l’enquête publique. » Cette formulation ambiguë – évoquait-on la proposition globale ou uniquement celle relative à la révision du document d’urbanisme ? – avait pour effet de garantir au cocontractant un droit à indemnisation en cas de non-aboutissement de son projet. Une telle perspective a suscité un certain nombre de critiques lors des travaux parlementaires. Ainsi le député Yves Albarello, rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, estimait nécessaire que « le décalage entre la proposition formulée par la tierce personne et la révision retenue porte sur un point majeur rendant impossible la concrétisation du projet. Il importera également que le montant de l’indemnisation soit proportionnel à l’état de conceptualisation du projet et repose sur la fourniture de justificatifs aisément vérifiable par la personne publique » (rapport enregistré à l’Assemblée nationale le 12 novembre 2009, n° 2068). Cette perspective a conduit la commission des lois à repréciser les conditions d’indemnisation du cocontractant, sans d’ailleurs que cette réécriture ne donne lieu à des débats ou explications. Au final, l’article 22 de la loi évoque une résiliation (totale ou partielle) du contrat « à l’issue de la procédure de révision ou de modification du document d’urbanisme ou de l’enquête publique ». Le législateur a-t-il ici entendu déroger aux principes généraux gouvernant les contrats administratifs en interdisant toute résiliation unilatérale, soit à titre de sanction, soit dans l’intérêt général, avant que ne soient passées ces étapes ? Qu’en est-il si le projet ne nécessite in fine aucune évolution du document d’urbanisme ni enquête publique ?

La loi prévoit que les parties sont en droit – ce n’est qu’une faculté – de préciser les conditions selon lesquelles elles « peuvent s’accorder, sans attendre la liquidation définitive du solde et l’indemnisation du cocontractant, sur le montant d’une provision dont elles acceptent le versement anticipé à ce dernier ». Cette disposition, calquée d’ailleurs sur l’article 95 du code des marchés publics, tend à démontrer que, s’il y a solde, c’est donc bien qu’il y a paiement d’un prix par l’administration et que l’on est donc en présence d’un marché…

PlanificationVersusProjet ?

En fin de compte, on a plutôt le sentiment que les dispositifs dérogatoires au droit commun de l’urbanisme développés par la loi du 3 juin 2010 répondent davantage aux contraintes de gouvernance propres à la région Ile-de-France qu’à la nécessité de porter la réalisation d’un équipement public exceptionnel. Ils s’inscrivent également dans un contexte visant à « ringardiser » la règle d’urbanisme au nom du projet. Un certain nombre d’élus s’en sont émus au cours des débats parlementaires, rappelant que la loi SRU avait mis le projet urbain au cœur de la planification stratégique, à travers notamment l’élaboration du PADD et sa discussion préalable à l’arrêt du document. Ces derniers soulignaient en outre que la simple signature d’un CDT permettait de bousculer les équilibres consensuels patiemment obtenus pour l’adoption d’un document d’urbanisme. Dans le contexte de mise en œuvre de l’urbanisme de projet, ces élus planificateurs sont bien en passe de devenir les « hérétiques » de demain…

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