En matière d'impôt de solidarité sur la fortune (ISF)
Imposition de la nue-propriété au titre de l'ISF
En application des dispositions de l'article 885 G du code général des impôts (CGI), l'usufruitier est redevable de l'imposition sur la valeur de la pleine propriété au titre de l'ISF. Le nu-propriétaire, en contrepartie, n'a en principe rien à déclarer au titre de l'ISF puisque l'administration considère qu'un bien démembré n'entre pas dans son patrimoine.
Effet du démembrement de propriété sur la valeur du bien au regard de l'ISF
Le démembrement de propriété a-t-il une incidence sur la valeur du bien concerné ? En d'autres termes, peut-on se prévaloir du fait que le bien est détenu par des personnes détenant des droits concurrents pour prétendre que sa valeur est moindre ? D'aucuns avaient pu espérer - non sans raison - pouvoir soutenir que la valeur d'un bien démembré était inférieure à celle d'un bien détenu en pleine propriété, et qu'en conséquence un abattement pouvait être appliqué sur celle-ci pour tenir compte du démembrement. Selon le juge judiciaire, l'article 885 G du CGI, qui prévoit que les biens ou droits grevés d'un usufruit sont, sauf exceptions, compris dans le patrimoine de l'usufruitier pour leur valeur en pleine propriété, a pour but de faire obstacle à la prise en compte du démembrement pour la détermination non seulement du redevable, mais aussi pour l'assiette de l'ISF et s'oppose à l'application de tout abattement dont l'objet serait de constater une diminution de valeur du bien au titre de ce démembrement (Cour de cassation, ch. com., 20 mars 2007, n° 05-16751, récemment confirmé par Cour de cassation, ch. com., 27 octobre 2009, n° 08-11362).
Mais ce principe de taxation n'est pas absolu et supporte des exceptions, dont la plus significative - outre les droits du conjoint survivant dans certaines hypothèses visées par le code civil - concerne le cas de la personne qui a cédé la nue-propriété d'un bien dont il a conservé l'usufruit. Dans ce cas la valeur du bien est répartie entre l'usufruitier et le nu-propriétaire selon le barème de l'article 669 du CGI, et chacun d'entre eux déclare la valeur de son droit. Toutefois, cette exception ne joue que si celui qui acquiert la nue-propriété n'est pas l'héritier ou le légataire du cédant, ou une personne interposée (par personne interposée, il faut entendre personne physique). Ainsi, l'administration a eu l'occasion de préciser, pour l'application de l'article 751 du CGI en matière d'impôt sur les successions - mais la solution semble transposable à l'ISF puisque les règles d'assiette applicables en matière de succession sont transposables à l'ISF -, que si la nue-propriété était cédée à une SCI interposée entre l'usufruitier et les enfants, l'usufruitier était taxable sur la seule valeur de l'usufruit, sauf abus de droit !
En matière de revenus fonciers
La situation de l'usufruitier
L'usufruitier est imposable au titre des revenus fonciers à raison du loyer perçu et peut déduire les charges déductibles qu'il a effectivement supportées. De ce fait, les travaux de grosses réparations, incombant au nu-propriétaire, mais qu'il aurait effectivement pris en charge, sont déductibles. Finalement la règle est simple, voire simpliste, car le droit fiscal est pragmatique : qui paye peut déduire (Conseil d'État, 7 février 1975, n° 90196 et Conseil d'État, 28 novembre 1980, n° 12074). Quelle que soit l'origine du démembrement du droit de propriété, l'usufruitier peut imputer sur son revenu global les déficits fonciers qu'il subit dans les conditions de droit commun : imputation sur le revenu global au titre de l'impôt sur le revenu dans la limite annuelle de 10 700 euros et, pour la fraction excédant cette limite ainsi que la fraction relative aux intérêts d'emprunt, imputation sur les revenus fonciers des dix années suivantes.
La déductibilité des dépenses supportées par le nu-propriétaire
Démembrement et dépenses éligibles
L'acquéreur de la nue-propriété ne perçoit aucun revenu de son investissement, il n'a donc pas de revenu à déclarer. En revanche :
- lorsque le démembrement résulte d'une succession ou de certaines donations, il peut déduire les dépenses de grosses réparations définies par l'article 606 du code civil et qui sont à la charge du nu-propriétaire en vertu de l'article 605 du même code (plus la condition de la location de l'immeuble). Attention, ce régime, applicable avant le 1er janvier 2009, vient de faire l'objet de profondes modifications ;
- le nu-propriétaire peut aussi déduire les dépenses ordinaires d'entretien, de réparation et d'amélioration qu'il a effectivement exposées dans l'intérêt de l'immeuble (normalement à la charge de l'usufruitier par l'application de l'article 605).
mécanisme du régime de déductibilité
S'agissant des dépenses ordinaires, dont le nu-propriétaire a supporté la charge sans obligation, ainsi que les dépenses de grosses réparations engagées lorsque le démembrement ne répond pas aux conditions, ci-dessus, elles peuvent générer un déficit foncier qui sera traité selon le droit commun : imputation sur les autres revenus fonciers ou sur le revenu global dans la limite de 10 700 euros et, pour l'excédent (de même que pour les intérêts d'emprunt), sur les revenus fonciers positifs constatés des dix années suivantes. Pour cela, il est nécessaire, selon l'administration, que l'usufruitier soit taxable dans la catégorie des revenus fonciers.
En l'absence pour le nu-propriétaire de revenu foncier, le déficit foncier qui correspond aux dépenses ordinaires, pour la quote part excédent 10 700 euros, et aux intérêts d'emprunt, est imputable exclusivement sur les revenus fonciers des dix années suivantes.
Mais ces diverses possibilités de déduction ou d'imputation sont subordonnées à la double condition que l'immeuble soit donné en location nue et à titre onéreux (et non lorsque la location est consentie meublée), et que les produits de cette location soient imposables dans la catégorie des revenus fonciers.
La déduction ne peut donc s'envisager si l'usufruitier est imposé au titre de l'impôt sur les sociétés. Dès lors, il faut se méfier des schémas de défiscalisation dans lesquels l'usufruit temporaire est détenu par une société commerciale. Le traitement fiscal des dépenses de grosses réparations vient de faire l'objet de profonds amendements expliqués dans les paragraphes suivants (art. 85 de la loi de finances rectificative pour 2008 du 30 décembre 20008, n° 2008-1443).
En matière de plus-value immobilière
Le traitement fiscal du démembrement de propriété est-il plus simple en matière de plus-value que d'impôt sur le revenu ? La réponse est malheureusement négative, car il faut faire la disctinction :
- selon que nu-propriétaire et usufruitier vendent conjointement leur droit réel ou qu'ils cèdent chacun leur droit ;
- selon que ce droit a été acquis isolément ou après que l'un d'entre eux ait été plein propriétaire du bien ;
- selon les modalités d'acquisition de ce droit ou de cette pleine propriété ;
- selon que le bien est détenu en direct ou par l'intermédiaire d'une société civile translucide !
Ces différentes situations sont complexes et nous nous limiterons aux rappels des règles applicables aux deux hypothèses les plus fréquemment rencontrées : l'usufruitier et le nu-propriétaire cèdent leurs droits ensemble ou la pleine propriété est cédée après réunion de l'usufruit et de la nue-propriété.
Cession conjointe de l'usufruitier et du nu-propriétaire
L'opération est susceptible de dégager une plus-value imposable au nom de chacun des titulaires des droits démembrés. Chacune de ces plus values est en principe calculée en application des règles de droit commun. Certaines particularités propres au démembrement de propriété doivent être soulignées.
Le sort du prix de vente
Pour le calcul de la plus-value imposable chez l'usufruitier et le nu-propriétaire, le prix de cession global, tel qu'il est stipulé dans l'acte, doit être ventilé de façon à faire apparaître distinctement le prix de cession de la nue-propriété et celui de l'usufruit, en fonction de leur valeur réelle au jour de la vente (art. 621 du code civil). En pratique, il est admis que cette ventilation puisse être effectuée en appliquant le barème fiscal prévu par l'article 669 du CGI tenant compte de l'âge de l'usufruitier au jour de la vente (Q. de V. Pécresse, n° 30367, JOAN du 15/12/03, p. 9557, rép. ministère de l'Économie, JOAN du 30/11/04, p. 9435).
Le prix d'acquisition
Lorsque le droit cédé (usufruit ou nue-propriété) a été acquis isolément, son prix d'acquisition est celui effectivement acquitté par le cédant, tel qu'il a été stipulé dans l'acte (ou la valeur vénale retenue pour le calcul des droits de mutation s'il s'agit d'une acquisition à titre gratuit).
Attention toutefois, lorsque le démembrement a pour origine une succession et non une donation antérieure à 2004, cette valeur (déterminée lors de la succession par application du barème de l'ancien art. 762 du CGI) est réévaluée par application du barème de l'article 669 du CGI, en retenant l'âge de l'usufruitier au jour de la cession (art. 150 VB, I du CGI et instruction fiscale n° 135 du 4 août 2005, BOI 8 M-1-05, fiche n° 10).
Vente de la pleine propriété après réunion de l'usufruit et de la nue-propriété
Le prix de cession à retenir est le prix réel tel qu'il est stipulé dans l'acte. La question du prix d'acquisition est plus délicate et suppose de distinguer les situations suivantes :
- la nue-propriété et l'usufruit ont été acquis à titre onéreux ou à titre gratuit. Il convient de retenir la somme des prix d'acquisition ou valeur déclarée pour chacun des droits démembrés stipulés dans chacun des actes d'acquisition ;
- la nue-propriété a été acquise à titre gratuit (donation ou succession) et l'usufruit à titre onéreux : il convient de retenir la somme de la valeur vénale de la nue-propriété retenue lors de la donation ou de la succession et du prix d'acquisition de l'usufruit ;
- la nue-propriété a été acquise à titre gratuit ou à titre onéreux et l'usufruit par extinction : d'une manière générale, lorsque l'usufruit a été acquis par voie d'extinction, son prix d'acquisition est nul (art. 1133 du CGI). Toutefois, l'administration admet de retenir, pour le calcul de la plus-value immobilière imposable, la valeur vénale de chacun des droits (donc la valeur de la pleine propriété) à la date d'entrée de la nue-propriété dans le patrimoine du cédant. La durée de détention doit être décomptée à partir de la première des deux acquisitions, qu'elles soient à titre onéreux, à titre gratuit ou par voie d'extinction naturelle (instruction fiscale n° 135 du 4 août 2005, fiche n°16).