Elargissant la piste ouverte par la loi Engagement national pour le logement du 13 juillet 2006, la loi relative à l’accélération des programmes de construction et d’investissements publics et privés (Lapcipp) renforce le régime des opérations d’intérêt national devant permettre à l’Etat – dont ce texte marque le renforcement du rôle – de mettre en œuvre des programmes stratégiques en passant éventuellement outre à l’opposition des collectivités territoriales.
L'opération d'intérêt national (OIN), notion longtemps discrète du Code de l'urbanisme, connaît depuis quelque temps une faveur nouvelle, révélatrice de la volonté de l'Etat de retrouver un rôle majeur dans le domaine de l'aménagement.
On sait que la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, en même temps qu'elle transférait l'essentiel des compétences d'urbanisme aux collectivités territoriales, faisait une place particulière aux opérations d'aménagement occupant une place stratégique dans les politiques de l'Etat qu'il s'agisse d'aménagements ou d'infrastructures. Le régime de ces opérations d'intérêt national qui résulte des articles L. 121-2 et L. 121-9 du Code de l'urbanisme est resté assez sommaire. L'article L. 121-9 du Code de l'urbanisme autorise le Gouvernement à les désigner. Leur liste figure à l'article R 121-4-1 du Code de l'urbanisme. Quelques autres dispositions du Code en précisent la portée tant en ce qui concerne les documents d'urbanisme que les procédures d'aménagement et de construction.
Jusqu'à la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement (ENL) la qualification d'OIN était réservée à de très grosses opérations d'aménagement du territoire (agglomérations nouvelles, aménagement de la Défense, de Seine-Arche à Nanterre, Euroméditerranée, aménagement de Saint-Etienne, aménagement du secteur du Mantois-Seine aval), des grandes infrastructures industrialo-portuaires (Antifer, Verdon, Dunkerque, Fos-sur-Mer) ou au développement des aérodromes de Paris-Charles-de-Gaulle, de Paris-Orly et de Paris-Le Bourget.
La loi ENL du 13 juillet 2006 a procédé à un véritable changement de nature de l'OIN et a permis de qualifier comme étant d'intérêt national (même si c'est pour une période limitée, voir supra) des programmes de logements réalisés sur les terrains de l'Etat alors même que la portée stratégique de ces programmes n'avait rien à voir avec les grandes opérations citées ci-dessus. L'article premier de la loi ENL précité prévoyait à cet effet que des décrets pouvaient, jusqu'au 1er janvier 2010, délimiter des périmètres dans lesquels les opérations visant à réaliser des logements immeubles appartenant à l'État ou à ses établissements publics ou cédés par eux à cet effet avait les effets d'opération d'intérêt national.
L'objectif de cet élargissement de l'OIN (l'exposé des motifs de la loi ENL est clair sur ce point) était en fait de permettre à l'Etat, confronté à la pénurie de logements, d'imposer à des communes qui s'y opposaient. La réalisation de programmes de constructions sur ses propres terrains. En effet, le fait de déclarer ces programmes "opérations d'intérêt national" au sens de l'article L 121-2 du Code de l'urbanisme avait pour effet de dessaisir les communes ou le maire de certaines de leurs compétences ordinaires : le préfet retrouve la compétence pour créer des ZAC les concernant (Code de l'urbanisme L 311-1) ou pour délivrer les autorisations d'urbanisme. Par ailleurs, les documents d'urbanisme doivent "prendre en compte" les OIN et, en cas de conflit, l'Etat peut imposer la révision du PLU par le jeu de la procédure des projets d'intérêt généraux.
La seule possibilité pour les communes réfractaires à la réalisation de programmes de logements résidait dans la possibilité pour celles-ci de préempter les terrains vendus par l'Etat. C'est pour parer à ce risque que la loi de 2006 a exclut du champ du droit de préemption prévu à l'article L. 213-1 du Code de l'urbanisme, les aliénations d'immeubles de l'État visant à la réalisation de programmes de logements entrant dans le périmètre d'une opération d'intérêt national. Dans le même sens (Code de l'urbanisme art. L. 240-2 al. 3) la loi ENL disposait que le droit de priorité accordé aux communes pour acquérir les terrains de l'Etat n'était pas applicable, dès lors que la cession s'inscrit dans le cadre de la mise en œuvre de ces programmes de logements d'intérêt national.
La Lapcipp s'inscrit dans cette ligne. Comme l'indiquent clairement les travaux préparatoires de la loi, "la possibilité laissée à une collectivité territoriale de constituer une réserve foncière sans garantir la mise en œuvre à court ou moyen terme d'une opération d'aménagement serait contre-productive à l'égard des projets de l'État sur ces territoires et de l'objectif de bonne valorisation du foncier public" (Doc. Ass. Nat. n° 1365 précité).
Ce sont donc toutes les cessions de l'État en opérations d'intérêt national qui échappent désormais tant au droit de préemption des communes de l'article L 213-1 du Code de l'urbanisme qu'au droit de priorité que leur accordent les articles L 240-1 et suivants.
L'outil d'intervention de l'Etat dans le domaine de l'aménagement que constitue l'opération d'intérêt national est donc renforcé et peut laisser présager une politique plus active de celui-ci dans ce domaine pour peu, bien évidemment, qu'il en ait les moyens tant humains que financiers.
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