« Depuis le premier rapport, la guerre est passée par-là, et avec elle, le choc énergétique. Cela est venu conforter l’essentiel de son armature», se félicite Patrice Geoffron, professeur de science économiques à Dauphine-PSL, membre du Cercle des économistes et co-auteur du rapport « Décarboner la route : une urgence écologique ».
La première version de ce dernier, parue en 2021 et commandée par Vinci Autoroutes, a été réactualisée suivant la conjoncture et certaines innovations techniques. Au-delà de l’augmentation du prix de l’énergie, c’est aussi l’urgence écologique qui a poussé la filiale de la major à faire évoluer sa trajectoire carbone : « Nous avons précisé la vision à court terme du rapport, ajoute Patrice Geoffron, notamment avec l’accélération de l’intégration des véhicules électriques sur l’autoroute. » De fait, Vinci Autoroutes doit aller très vite, et baisser les émissions de CO2 de plus de 30 % pour atteindre ses objectifs d'ici à 2030.
La route, le parent pauvre de la décarbonation
Vinci Autoroute ne le cache pas : le transport est le seul secteur qui n’a pas baissé ses émissions de carbones en dessous de celles de 1990. Il s’agit pourtant du secteur le plus polluant, représentant 32 % des émissions de GES en France. Dans ce dernier chiffre, la route en émet à elle seule 95 %. L’autoroute représente quant à elle 1 % du réseau routier français, mais 25 % des émissions. Etant donné que le report modal ne peut permettre de réduire qu’entre 10 et 15 % ces émissions, Vinci Autoroute est donc bien obligé de décarboner aussi bien ses infrastructures que leurs usages. De 129 millions de tonnes de CO2 en 2022, la route devra atteindre les 92 Mt en 2030 pour remplir ses objectifs de décarbonation.
Des superchargeurs pour poids lourds
S’il y a bien des avancées technologiques qui ont nourri les évolutions du premier rapport, ce sont celles dans le domaine du transport de marchandise. Christophe Hug, directeur général adjoint de Vinci Autoroutes, voit les véhicules lourds électriques à batterie « comme un axe nouveau. Nous misons à présent dessus et les attendons durant la deuxième moitié de la décennie. »
Pour le concessionnaire autoroutier, cette arrivée proche va demander des adaptations : « Les conducteurs de poids lourds doivent se reposer 45 minutes après 4h30 de trajet. Il faut donc mettre en place des infrastructures lourdes dédiées avec des superchargeurs adaptés à ces temps de pause. »
Cela va bien évidemment soulever certains enjeux de taille, comme le raccordement électrique de ces infrastructures, mais aussi leur alimentation. Vinci Autoroutes compte en partie sur son foncier afin d’y installer des panneaux photovoltaïques sur plus de 1 000 ha.
Même chose pour les véhicules électriques des particuliers. Les 180 aires d’autoroutes de Vinci sont équipées chacune de neuf bornes de recharges. Un chiffre suffisant pour une flotte française composée à 2 % de véhicules à batterie, mais bien loin d'amortir les 45 % de voitures électriques en 2035. « Il faudra alors imaginer des infrastructures avec 60 à 70 bornes de recharge en moyenne, de surcroît plus puissantes », estime Christophe Hug.
Vinci Autoroutes s’appuie aussi sur ce rapport pour encourager le subventionnement publique de ces bornes de recharge : « Le modèle économique n’est pas viable, et ce pour une raison simple : nous devons anticiper la demande pour encourager les usagers à passer à l’électrique, et sommes donc toujours en avance. » Le directeur adjoint de Vinci Autoroutes estime qu’il faut 4 Md € pour équiper ses autoroutes en bornes IRVE, sur les 60 Md € nécessaire au plan global de décarbonation de ces infrastructures.
Préserver les infrastructures du changement climatique
Depuis 2021, les phénomènes climatiques de forte intensité se sont multipliés, affectant les autoroutes, notamment avec des inondations. Ce deuxième rapport met donc en évidence plus précisément les adaptations de l’autoroute aux aléas climatiques grâce à deux démarches : en adaptant les infrastructures critiques, ou en protégeant des endroits précis qui permettent leur fonctionnement.
Avec des échéances aussi proches, les préconisations de ce nouveau rapport « ne sont pas de la science-fiction, affirme Christophe Hug. Nous avons d’ailleurs remporté le 12 juillet avec un groupement un appel d’offres pour le déploiement d’une portion d’autoroute test de 4 km avec pour moitié de la recharge de poids lourds par induction, et pour une autre moitié par rail conductif. » Une première mondiale en condition réelle d’autoroute, qui permettrait de recharger les poids lourds électriques alors qu’ils se déplacent.