Usage des locaux : le cadre législatif actuel est-il suffisant pour réguler les locations meublées touristiques ?

Face à l'accroissement des locations meublées touristiques, la législation sur l'usage apparaît comme une arme redoutable à la disposition des communes. Initialement dévolue à la stricte protection des locaux à usage d'habitation, elle permet aujourd'hui de réguler ce type de locations. Les communes ont notamment la possibilité, à l'image de la Ville de Paris, de subordonner la transformation de logements en meublés touristiques à des conditions de compensation très contraignantes. Il appartient ainsi aux investisseurs souhaitant développer une telle activité d'en respecter les modalités de mise en place, tant les sanctions encourues sont de plus en plus appliquées par les juridictions.

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Née dans le contexte particulier de l'après-guerre, durant lequel la protection et le développement du logement font partie des chantiers prioritaires, la législation relative à l'usage est aujourd'hui encore marquée par la nécessité accrue de préserver l'habitat. En témoigne notamment le développement sans précédent des locations meublées touristiques, qui doit davantage être encadré.

La législation relative à l'usage tire son origine de l'ordonnance du 11 octobre 1945 instituant des mesures exceptionnelles et temporaires en vue de remédier à la crise du logement, et plus particulièrement de son article 21 selon lequel « dans les localités où il existe un service municipal du logement, aucun local à usage d'habitation ne peut être transformé en local commercial ou industriel ou être affecté au fonctionnement de services administratifs sans autorisation préalable du ministre de la Reconstruction et de l'Urbanisme ».

Le dispositif relatif au changement d'usage s'organise actuellement autour de deux corpus juridiques principaux, à savoir, d'une part, le Code de la construction et de l'habitation (CCH), et, d'autre part, les règlements municipaux, lesquels sont établis au regard des spécificités locales.

Ces dispositions s'appliquent aux communes de plus de 200 000 habitants comme Paris, Marseille, Lyon, Toulouse, Nice, Nantes, Montpellier, Strasbourg, Bordeaux, Lille, Rennes ainsi qu'aux communes des départements des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Dans ces communes, le changement d'usage des locaux à usage d'habitation est soumis à la délivrance par le maire d'une autorisation préalable.

Un renforcement attendu de la législation

Il convient ici de relever qu'une proposition de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif en zone tendue déposée à l'Assemblée nationale le 28 avril 2023 (AN n° 1176) entend élargir le champ d'application géographique de la législation relative à l'usage à toutes les communes « situées dans une zone géographique se caractérisant par un déséquilibre important entre l'offre et la demande de logements entraînant des difficultés d'accès au logement sur le parc locatif existant ».

Les auteurs de la proposition de loi constatent notamment que le développement des locations meublées touristiques constitue une menace pour la préservation du logement et la vitalité des centres-villes : « Dans les zones particulièrement touristiques, comme les zones de montagne ou littorales, la part importante des résidences secondaires dans le parc total et l'essor des meublés de tourisme alimentent ce phénomène et génèrent un sentiment de frustration et de déclassement. Si l'offre de locations saisonnières a longtemps été insuffisante en France, eu égard à sa situation de première destination touristique mondiale, force est de constater que l'essor de quelques plates-formes de mise en location de logements touristiques de particulier à particulier a inversé la donne. »

Selon ces auteurs, le bilan des locations meublées touristiques est sans appel : le nombre de logements mis en location touristique est estimé à 800 000 pour l'année 2021 contre 300 000 pour l'année 2016, la part de résidences principales a diminué dans certaines zones touristiques, et l'intérêt des investisseurs pour ce type de locations a entraîné un renchérissement du coût du foncier de l'ordre de 40 % entre 2020 et 2023 entraînant à son tour une hausse des loyers que les résidents ne peuvent assumer.

La législation relative à l'usage, au-delà de son simple but initial de protection du logement, voit donc sa vocation étendue à la régulation du marché des locations meublées touristiques.

Locaux à usage d'habitation et locaux à usage autre qu'habitation

L'objet de la législation relative à l'usage est de contrôler la suppression de locaux à usage d'habitation. Depuis l'ordonnance du 8 juin 2005, il existe deux usages différents : l'usage habitation et l'usage autre que d'habitation.

Les locaux à usage d'habitation s'entendent par référence à la notion de logement, cette dernière devant être comprise dans un sens très large, éclairée par le critère de la résidence principale.

Aux termes de l' constituent des locaux à usage d'habitation toutes les catégories de logements et leurs annexes, en ce compris les logements-foyers, les logements de gardien, les chambres de service, les logements de fonction, les logements inclus dans un bail commercial ou encore les locaux meublés constituant la résidence principale du preneur ou donnés en location dans le cadre d'un bail mobilité. La notion de local à usage d'habitation recouvre donc tous les logements quels que soient les parcs dont ils relèvent, privé ou public, et leur date de construction. Parmi les locaux à usage autre qu'habitation figurent tous les autres types de locaux abritant des bureaux, des commerces, des hôtels, des locaux professionnels ou encore des entrepôts.

Par ailleurs, bien que la circulaire du 22 mars 2006 sur l'application des mesures relatives au changement d'usage de locaux d'habitation précise en son paragraphe I.1.2.1 que « le changement à un tout autre usage, sans autorisation préalable, de logements meublés à titre de résidence principale, en hôtel de tourisme, en location meublée saisonnière ou en location meublée à usage de résidence secondaire demeure irrégulier », l'application de la législation relative à l'usage aux locations meublées touristiques est longtemps demeurée ambiguë et sans cadre légal précis.

Ainsi, la du 24 mars 2014 est venue compléter l' afin de préciser clairement que « le fait de louer un local meublé destiné à l'habitation de manière répétée pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile constitue un changement d'usage au sens du présent article ». Les locaux correspondant à des meublés touristiques constituent donc des locaux à usage autre que d'habitation.

Cela étant, il est prévu que, lorsque le local à usage d'habitation constitue la résidence principale du loueur, l'autorisation de changement d'usage n'est pas nécessaire pour louer ledit local pour de courtes durées à une clientèle de passage qui n'y élit pas domicile (). Cette disposition doit être lue en parallèle de l' duquel il ressort que le local en cause reste la résidence principale du loueur si celui-ci n'est pas loué plus de cent vingt jours par année civile.

La détermination de l'usage du local

Un local est réputé être à usage d'habitation s'il était affecté à cet usage au 1er janvier 1970. La preuve de cet usage en 1970 peut être établie par tout moyen. Les fiches de la révision foncière de 1970, identifiant notamment la nature et la surface des locaux, sont généralement utilisées. Les permis de construire, les actes de vente, les baux ou encore les annuaires téléphoniques peuvent également être utilement mobilisés pour déterminer l'usage d'un local en 1970. En ce qui concerne les locaux édifiés postérieurement à 1970, l'usage du local est réputé être celui figurant dans l'autorisation d'urbanisme.

Il convient en outre de préciser que la Cour de cassation a rappelé à plusieurs reprises que des éléments de preuve faisant état de surfaces à usage d'habitation datés d'après 1970 n'étaient pas de nature à démontrer que de telles surfaces existaient réellement en 1970 1.

Le mécanisme de compensation

Par principe, l'autorisation de changement d'usage est personnelle, en ce sens qu'elle cesse de produire ses effets lorsqu'il est mis fin, au sein du local, à l'activité qui a justifié la délivrance de l'autorisation de changement d'usage.

Cela étant, l'autorisation de changement d'usage peut être subordonnée à l'apport d'une compensation, laquelle consiste en la transformation concomitante en habitation de locaux revêtant un autre usage. Dans ce cas, l'autorisation de changement d'usage a un caractère réel et est attachée au local et non à la personne. En d'autres termes, en cas de cession du local, l'autorisation ne s'éteint pas, et le changement d'usage reste attaché au local2.

Cette compensation, dont les modalités sont instaurées au niveau local par chaque commune, permet de reconstituer la perte d'un logement par la création d'un autre logement afin de ne pas aggraver l'insuffisance de logements et de préserver l'équilibre entre l'habitat et les activités économiques.

Le cadre réglementaire mis en place par la Ville de Paris en matière de compensation

À Paris, le régime des autorisations de changement d'usage avec compensation fait l'objet des articles 2 (cas général) et 3 (cas des locations meublées touristiques) du règlement municipal fixant les conditions de délivrance des autorisations de changement d'usage adopté le 15 décembre 2021 par le Conseil de Paris.

S'agissant du cas général, le règlement municipal parisien rappelle que la compensation consiste en la transformation en logement d'un local ayant un usage autre qu'habitation au 1er janvier 1970 ou ayant fait l'objet d'une autorisation d'urbanisme changeant la destination du local postérieurement au 1er janvier 1970.

Pour l'apport de la compensation, le demandeur de l'autorisation de changement d'usage peut soit lui-même transformer un local à usage autre qu'habitation en logement, soit acquérir un titre de commercialité, c'est-à-dire l'engagement d'un tiers de procéder à cette transformation.

En application du règlement municipal applicable à Paris, les locaux proposés en compensation doivent remplir deux conditions cumulatives à savoir :

- correspondre à la création d'« unités de logement », c'est-à-dire correspondre à des logements « entiers », et être de qualité et de surface équivalentes à celles des locaux faisant l'objet du changement d'usage ; ils doivent notamment respecter les caractéristiques du logement décent ;

- être situés dans le même arrondissement que les locaux à usage d'habitation faisant l'objet du changement d'usage.

L'article 2 du règlement municipal met par ailleurs en place deux secteurs, à savoir le secteur de compensation renforcée (SCR)3 et le secteur dit des 50 %4.

Au sein de ces secteurs, les règles de compensation diffèrent des règles générales. Dans le SCR, les surfaces d'habitation proposées en compensation doivent respecter un coefficient de deux mètres carrés de logement créés pour un mètre carré de logement supprimé, sauf si les locaux proposés en compensation sont transformés en logements sociaux auquel cas la compensation reste d'un mètre carré pour un mètre carré ; en revanche, la compensation en logements sociaux peut avoir lieu dans l’ensemble du SCR ; par ailleurs, le nombre de logements offerts en compensation doit être au minimum identique au nombre de logements supprimés.

Dans le secteur des 50 %, au moins 50 % de la surface d’habitation transformée doit être compensée dans l’arrondissement de la transformation.

S’agissant du cas des meublés touristiques, lors de l’adoption du nouveau règlement municipal le 15 décembre 2021, le mécanisme de compensation a été largement renforcé.

Alors qu’auparavant le règlement municipal exigeait une compensation dans le même arrondissement au coefficient un pour un pour les locaux situés en dehors du SCR et au coefficient un pour deux pour les locaux situés dans le SCR sauf si la compensation porte sur des logements sociaux, le nouveau règlement municipal a mis en place un dispositif prenant en compte le nombre de locaux meublés touristiques enregistrés et fonctionne par quartiers administratifs5.

Ainsi, concernant les locaux situés dans les arrondissements où le nombre de locations meublées touristiques enregistrées dépasse 50 pour 1 000 résidences principales (arrondissements 1 à 11 et 18), la compensation, qui doit avoir lieu dans le même quartier administratif, doit représenter trois fois la surface faisant l’objet de la demande de changement d’usage.

Concernant les autres arrondissements, le mécanisme antérieur est maintenu, à la différence près que la compensation doit avoir lieu dans le même quartier administratif et non plus dans le même arrondissement.

Ce dispositif très contraignant constitue effectivement un frein à la transformation de surfaces d’habitation en meublés touristiques.

Les sanctions applicables

En cas de transformation d'un local à usage d'habitation sans l'autorisation administrative requise, plusieurs sanctions sont encourues6.

D'une part, l'avant-dernier alinéa de l' prévoit que « sont nuls de plein droit tous accords ou conventions conclus en violation du présent article ».

À titre d'illustration, la location à usage de bureaux d'un local qui était au 1er janvier 1970 à usage d'habitation est susceptible d'entraîner la nullité de plein droit du bail. La Cour de cassation applique strictement cette disposition. Elle a par exemple approuvé la cour d'appel de Paris d'avoir prononcé la nullité d'un bail professionnel portant sur des locaux mixtes professionnels et d'habitation au motif qu'aucune autorisation de changement d'usage n'avait été préalablement obtenue par le bailleur en ce qui concerne les surfaces d'habitation7.

D'autre part, hormis la nullité du bail, les articles et du CCH prévoient des sanctions pécuniaires et pénales.

L'article L. 651-2 prévoit ainsi que toute personne qui enfreint les dispositions de l'article L. 631-7 s'expose :

- à une amende civile dont le montant ne peut pas excéder 50 000 euros par local irrégulièrement transformé ;

- au retour à l'usage d'habitation du local transformé sans autorisation dans un délai fixé par le juge, le non-respect de ce délai pouvant donner lieu au versement d'une astreinte de 1 000 euros par jour et par mètre carré utile du local irrégulièrement transformé ;

- à l'expulsion des occupants et à l'exécution des travaux nécessaires.

L'article L. 651-3 prévoit quant à lui des sanctions pénales pouvant aller jusqu'à un an d'emprisonnement et 80 000 euros d'amende.

En matière de meublés touristiques, la cour d'appel de Paris a condamné un propriétaire louant en meublé de tourisme un bien à usage d'habitation, dans le 7e arrondissement de Paris, sans avoir préalablement obtenu d'autorisation de changement d'usage, d'une part, au paiement d'une amende civile de 40 000 euros, et, d'autre part, à remettre à usage d'habitation les locaux en cause, ce sous astreinte8.

Les décisions de justice, de plus en plus rendues en ce sens, montrent donc que l'application des sanctions pour non-respect de la législation sur l'usage n'est pas uniquement théorique. Toutefois, force est de constater que les difficultés rencontrées pour prouver l'usage d'habitation en 1970 fragilisent les services de la Ville pour sanctionner les locations en meublés touristiques. Une réforme de la législation serait la bienvenue afin de permettre une meilleure sécurité juridique pour déterminer l'usage d'un local.

1 Voir notamment en ce sens : Cass. 3e civ., 28 novembre 2019, n° 18-23.769 ; ; .

2 En application des dispositions transitoires de l' relative au logement et à la construction, les autorisations accordées sur le fondement de l' avant l'entrée en vigueur de ladite ordonnance et qui ont donné lieu à compensation effective sont attachées au local et non à la personne. Toutefois, en application de la jurisprudence du Conseil d'État et de la Cour de cassation, il n'est pas possible de s'appuyer sur ces dérogations si le bénéficiaire a revendu l'immeuble ou a quitté les locaux entre la date de la dérogation et le 10 juin 2005, date d'entrée en vigueur de l'ordonnance du 8 juin 2005 ( ; ).

3 Arrondissements 1 à 9, 10 (en partie), 14 (en partie), 15 (en partie), 16 et 17 (en partie).

4 Arrondissements 1 à 9, 16 et 17.

5 Le quartier désigne la division administrative de l'arrondissement. Chaque arrondissement parisien est découpé en quatre quartiers administratifs.

6 Il ressort par ailleurs des et L. 631-8 du CCH que l'autorisation d'urbanisme portant sur la transformation des locaux ne peut être mise en œuvre qu'après l'obtention de l'autorisation de changement d'usage.

7 .

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Image d'illustration de l'article
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