Interview

« Penser que l’on pourrait moins investir dans la route est un leurre », Jean-Pierre Paseri, Routes de France

Pour le nouveau président de l'organisation professionnelle des entreprises de travaux routiers, de trop nombreux signaux négatifs s'accumulent à l'endroit de ce qui reste l'infrastructure de transport structurante.

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Jean-Pierre Paseri
Jean-Pierre Paseri a été nommé à la présidence de Routes de France au mois de juillet dernier.

Le marché reste marqué par une tendance inflationniste. Quels en sont les effets sur l'activité des travaux routiers  ?

La légère hausse d'environ 2 % qu'enregistrera notre chiffre d'affaires en 2023 sera sans doute entièrement absorbée par l’augmentation de nos coûts, sous l'effet d'une inflation routière estimée à 2,5 %. Cela devrait se traduire par un repli du volume des travaux accomplis de l’ordre de 0,5 %, et ce sans préjuger d’éventuels arrêts de chantiers liés aux intempéries sur le mois de décembre. Pour autant, nous sommes très loin du niveau d'inflation que nous avons subi il y a quelques mois. Nos clients peuvent donc consommer entièrement leur budget 2023, sans craindre un renchérissement des prix comme celui qu'ils ont dû intégrer en 2022 au plus fort de la crise.

La situation vous semble-t-elle propice à l’investissement des collectivités ?

Nous ne sommes pas spécialement confiants pour l’exercice 2024, alors même que nous devrions profiter d’un cycle favorable au niveau des communes. D’un point de vue global, leur situation budgétaire est plutôt bonne, mais une série d’éléments risquent de les amener à freiner des investissements pourtant absolument nécessaires pour assurer la qualité de leurs infrastructures routières.

La baisse des ventes dans l’immobilier ancien se traduit par une chute des droits de mutation qui pourrait atteindre 20% pour les départements.

—  Jean-Pierre Paseri, Routes de France

Parmi ces éléments, la crise de l’immobilier peut-elle avoir un impact sur vos activités ?

La période est difficile, que ce soit dans le neuf comme dans l’ancien. Moins de bâtiments neufs, cela veut dire moins de travaux de voirie associés. La baisse des ventes dans l’ancien nous préoccupe encore plus car elle se traduit par une chute des droits de mutation qui pourrait atteindre 20%. Ce sont autant de ressources en moins pour les départements qui représentent une part importante de nos clients.

Cette tendance peut-elle avoir un impact immédiat sur les entreprises de travaux routiers ?

Si l'on se place à l'échelle nationale, l’effet sera sans doute limité grâce aux départements qui pratiquent des plans pluriannuels, mais aussi grâce à la dynamique des métropoles, communautés d’agglomération et communes où l’on rentre dans le cycle plutôt favorable du mi-mandat. Néanmoins, il y a cette petite musique insidieuse qui s'installe et laisse penser que l’on pourrait moins investir dans la route et sa maintenance sans conséquences majeures. C’est un leurre. Si l’on s’y laisse prendre, nos routes deviendront impraticables, ce qui se traduira par des interdictions de circulation à certains endroits, la neutralisation d'axes en 2x2 voies... Mon propos n’est pas d’opposer la route au ferroviaire. En revanche, il ne faudrait pas que les besoins de cette infrastructure occultent ceux de la route.

Comment lisez-vous la baisse des moyens alloués à la route dans le cadre du volet mobilité des Contrats de plan Etat-région ?

J’entends les enjeux budgétaires auxquels fait face le gouvernement, mais c’est un signal négatif supplémentaire. Non seulement la part de la route diminue de moitié dans le volet mobilité des CPER, sans même prendre en compte l’impact de l’augmentation des coûts, mais elle est également faible dans le programme de planification écologique retenu par la Première ministre, suite à la remise du rapport du Conseil d’orientation des Infrastructures en février dernier. Même lorsque l’on regarde le budget de l’Afit France [Agence de financement des infrastructures de transports, NDLR], la route n’est plus le premier poste d’investissements. Bien sûr, il faut favoriser une approche multimodale des transports, mais cette accumulation ne me semble pas traduire l’importance stratégique d’une infrastructure routière qui emporte 85 % des marchandises et des déplacements au sens large.

A propos de signal négatif, comment recevez-vous les annonces du ministre des transports Clément Beaune qui évoquait, ce 26 septembre, la suppression à venir de certains projets autoroutiers ?

Il est toujours délicat de réagir à chaud à l’issue des déclarations d’un ministre. Nous pouvons toutefois noter que la route n’a été évoquée qu’à travers la suppression de projets autoroutiers qui n’auraient pas été au bout du processus des décisions politiques, juridiques et financières... et pas un mot sur l’entretien du réseau routier !

Quels projets pourraient être menacés ?

Le ministre n’a parlé que de projets autoroutiers, mais compte tenu du continuum dans lequel on nous annonce les mauvaises nouvelles, il ne serait pas surprenant que la liste s’étende à certains contournements ou autres projets structurants sur le modèle de ce que suggère le scénario médian présenté par COI.

La décarbonation, dont vous faites un axe structurant de votre présidence, ne peut-elle pas contribuer à changer le regard porté sur la route ?

Je l’espère et nous y travaillons constamment. Comme le montre l’étude FNTP/Carbone 4, la construction des infrastructures représente 3,5 % de l’empreinte carbone de la France [50 % est liée à leurs usages, NDLR]. Ce sont des millions de tonnes de CO2 que nous devons réussir à économiser. Notre feuille de route décarbonation pour le métier de fabrication et d’application d’enrobés a été lancée cette année. Pour la concevoir, nous sommes partis d’un chantier type que nous avons étudié dans toutes ses phases de réalisation et ses tâches élémentaires pour identifier avec précision les effets de levier de chacune. Conclusion : nous sommes capables de réduire l’empreinte de ces travaux de 57 % en 2030 et de 87 % en 2050 sachant que l’objectif européen « Fit for 55 » vise - 55 % sur la période 1990-2030, et la France au travers de la SNBC2 fixe une réduction de 85 % à un horizon 2050. Nous pouvons être au rendez-vous, mais il va falloir accélérer, avec le concours des pouvoirs publics, pour réaliser dans les 10 ans l’équivalent de ce qui l’a été en 30.

Ces objectifs peuvent-ils être atteints sans rupture technologique ?

Pour 2030, tous les leviers sont identifiés et il n’y a aucun verrou technologique. Les enrobés tièdes sont aujourd’hui parfaitement maîtrisés, de même que les enrobés à émulsion et le retraitement en place. Le futur sera conditionné par les énergies que nous pourrons utiliser. La première question, c’est donc de savoir si nous aurons assez de biocarburant, pour accélérer la décarbonation. D’où la démarche de la FNTP - évidemment soutenue par Routes de France - de garantir une part des volumes au secteur des travaux publics.

Comment vos clients s’emparent-ils des solutions plus durables ?

Sur le volet de nos activités en lien avec le secteur privé, ces solutions s’imposeront naturellement, dès lors qu’elles participeront à leurs propres objectifs environnementaux à un coût acceptable. Côté secteur public [66 % de l’activité des entreprises de travaux routiers, NDLR], les collectivités ne se saisissent pas encore suffisamment des variantes que le Code de la commande publique leur autorise. Pour autant, on sent depuis deux ans que les choses bougent. Renforcer le critère environnemental dans les appels d’offres pourrait contribuer à accélérer cette tendance. Une chose est certaine : nous sommes capables de faire, mais nous ne pourrons faire seuls.

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