Le point de droit tranché par la troisième chambre civile de la Cour de cassation le 30 mars est technique, il concerne la caractérisation du dol, qui libère l’assureur de la couverture des dommages causés par cette faute de son assuré. Mais cette décision « aura des conséquences très pratiques en matière de construction », estime Pascal Dessuet. Si bien que le directeur délégué construction immobilier d’AON y a consacré un petit-déjeuner d’information le 28 juin, réunissant des professionnels du secteur, afin de les alerter sur les tenants et aboutissants de l’arrêt. Lequel sera publié au rapport annuel 2023, la Cour montrant ainsi l’importance qu’elle lui accorde.
De quoi s’agit-il ? Par cette décision, la 3e chambre civile (chargée notamment du contentieux de l'assurance construction) s’aligne sur la position de la 2e chambre civile (chargée notamment du contentieux de l'assurance) concernant la qualification du dol. « Cette transposition à la construction n’est pas sans poser problème », avertit Pascal Dessuet.
L'autonomie du dol par rapport à la faute intentionnelle retenue par la 2e chambre civile...
Il rappelle qu’au terme d’une longue évolution jurisprudentielle, la 2e chambre civile de la Cour a opté définitivement en 2020 pour l’autonomie du dol par rapport à la faute intentionnelle en droit des assurances. Les deux notions ne se confondent plus. Schématiquement, si les deux fautes supposent un agissement volontaire, la faute intentionnelle se caractérise par l’intention de causer le dommage tel qu’il est survenu, tandis que la faute dolosive suppose simplement « la connaissance ou la conscience du caractère objectivement inéluctable de ces conséquences », formule le professeur à l’ICH.
Des critères pas si simples à évaluer ! « Les motivations des décisions sont bien souvent sommaires quant au caractère objectivement inéluctable des conséquences, se contentant de mentionner la disparition totale de l’aléa. Or il est presque impossible de prouver que l’aléa a totalement disparu, mieux vaudrait abandonner cette approche ». Concernant la connaissance ou la conscience de ce caractère inéluctable, « la doctrine s’en donne à cœur joie, complète Pascal Dessuet. Faut-il distinguer connaissance et conscience ? La conscience s’apprécie-t-elle in concreto, ou in abstracto (i.e. le fautif ne pouvait ignorer...) ? Ce critère est suffisamment souple pour que la Cour de cassation puisse faire ce qu’elle veut, l’apprécier tantôt in concreto, tantôt in abstracto. »
... puis par la 3e
Là où les choses se corsent, c’est qu’avec cet arrêt du 30 mars 2023, la 3e chambre civile achève donc sa lente convergence vers la position adoptée par la 2e chambre civile avant elle. Elle retient en l'espèce la qualification de dol, en cessant d’exiger la démonstration d’une recherche du dommage par l’assuré. Ainsi, après avoir rappelé que « selon l'article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré », elle énonce que « la faute dolosive s'entend d'un acte délibéré de l'assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables » et qu’elle « n'impliquait pas la volonté de son auteur de créer le dommage ».
Sonder les consciences
Pour Pascal Dessuet, « c’est le début des incertitudes en matière d’assurance construction. De qui va-t-on sonder la conscience, pour caractériser le dol ? Si c’est du dirigeant de l’entreprise, alors cette jurisprudence risque peu d’être appliquée car bien souvent la faute est commise par un salarié ». Mais si l’on admet que c’est la conscience des personnels concernés qui doit être prise en compte, « il y a un risque de déstabilisation du système de l’assurance construction » met-il en garde. « Faute de pouvoir sonder les reins et les cœurs, les juges vont sans doute aller au plus simple, et examiner si les salariés concernés – par définition, des professionnels - ‘ne pouvaient ignorer’ les conséquences inéluctables de leur comportement. Et le dol pourra alors assez facilement être caractérisé. » Certes, reconnaît Pascal Dessuet, « la Cour de cassation, dans sa lettre d’avril, a voulu rassurer, disant que les juges du fond devront se montrer rigoureux dans leur appréciation. Mais démontrer que l’assuré "savait", c'est très difficile ! »
Aussi la doctrine unanime s’inquiète de ce que l’application de cette jurisprudence prenne des proportions dépassant ce qu’ont réellement souhaité ses auteurs, « en conduisant à de nombreuses exclusions de garanties, y compris à l’égard des maîtres d’ouvrage, en raison de fautes d’exécution sur les chantiers ! », conclut Pascal Dessuet.
Cass. 3e civ., 30 mars 2023, n° 21-21084, publié au Bulletin